E-santé : vers l’empowerment du patient
La quatrième édition des conférences Ip-Hop organisées par Ipsos et l’agence de relations publiques Hopscotch, a réuni des experts de la santé connectée le 21 juin dernier. Les échanges ont porté sur l’évolution de la relation patient-médecin autour d’une question centrale : comment les outils et services digitaux apportent-ils aux patients l’autonomie qu’ils recherchent ? Éléments de réponse.
Glucomètre connecté pour mesurer le taux de glycémie dans le sang, application pour smartphone de suivi des douleurs liées au cancer, téléconsultation d’un résident d’EHPAD par le gériatre d’un hôpital… Les technologies numériques bouleversent le domaine de la santé.
Sous ses différentes facettes (télésanté, santé mobile, télémédecine, systèmes d’information en santé…), la e-santé est aujourd’hui en plein essor.
Il y a convergence de deux phénomènes. D’une part, les médecins s’emparent des outils et services numériques, ils les recommandent à leurs patients. D’autre part, les citoyens-patients cherchent à prendre la main comme dans les autres domaines
Luc Barthélémy, directeur de clientèle, Ipsos Public Affairs
Les patients bénéficient d’un espace médiatique sur la santé, plus éclaté qu’avant, où le numérique tient un rôle important : par exemple, la chaîne santé Youtube “Dans ton corps”, la plateforme web “Voix des Patients” consacrée au quotidien des personnes souffrant d’une pathologie chronique (une initiative de la Fondation Roche), la plateforme web “Suis ton cœur” lancée par le laboratoire Novartis sur l’insuffisance cardiaque… Autant de moyens de s’informer et d’échanger.
On n’y parle plus seulement maladie, mais aussi bien-être, précise Paul Luce, consultant senior chez Hopscotch. Guérir ne suffit plus, on veut vivre mieux. La communication de ces médias investit le champ de l’émotionnel, car l’empathie devient un vecteur de confiance.
Paul Luce, consultant senior chez Hopscotch
Une relation patient-médecin plus collaborative
Mieux informés, les patients gagnent en autonomie et gèrent mieux leur santé. Ainsi en France, 70 % des patients qui utilisent les outils et les services de la télésanté le font pour améliorer leur niveau d’exercice, 36 % pour perdre du poids, 35 % pour s’intéresser à leurs propres données de santé.
Les patients prennent davantage soin d’eux-mêmes, c’est indéniable.
Yves Morvan, directeur de clientèle, Ipsos Healthcare
D’après les médecins généralistes, la télésanté va favoriser le partage de données sur le diabète (pour 76 % d’entre eux), sur l’alimentation (56 %), sur le calendrier vaccinal (38 %) ou encore sur le suivi des traitements des patients en situation de mobilité (32 %).
Quant à la télémédecine, elle apparaît comme une solution complémentaire aux actes médicaux nécessitant une présence physique. Cela permet de développer l’éducation médicale des patients et de les rendre acteurs de leur santé. Pour 91 % des médecins généralistes, la télémédecine va conduire les patients à consulter plus facilement un professionnel de santé. Une médecine préventive se dessine donc aux côtés de la médecine curative.
Tandis que la relation patient-médecin se nourrit de ces nouveaux échanges à distance sur un mode plus collaboratif, les patients étendent leur pouvoir : montée en compétences, capacité d’action élargie, participation aux décisions qui les concernent.
Pour autant, cet empowerment ne signifie pas que les patients se placent d’égal à égal vis-à-vis des médecins. « Même avec le développement de la e-santé, ils expriment toujours une forte attente de réassurance médicale, appuie Luc Barthélémy. S’ils souhaitent être mieux impliqués dans leur prise en charge, les patients veulent toujours se reposer sur l’expertise du corps médical. »
La e-santé au service de la qualité de vie des patients « empowered »
L’expansion des outils et des services de la santé connectée est une réponse aux nouveaux enjeux, auxquels doivent faire face les acteurs du système de santé : augmentation de la durée de vie des patients souffrant d’une affection chronique, développement des prises en charge hospitalières ambulatoires, approche globale de la maladie.
« Les médecins n’abordent plus les problèmes de santé uniquement sous l’angle des traitements et de leur efficacité, explique Luc Barthélémy. Ils prennent en compte tous les impacts de la maladie et des soins sur la vie quotidienne des patients, considérée comme un écosystème. »
À l’Institut Curie, spécialisé dans la recherche et le traitement du cancer, l’application “myCurie” a été lancée voilà deux ans. Entièrement personnalisée et sécurisée, elle donne accès, à chaque patient de l’établissement, à son parcours de soins avec notamment les informations utiles sur les effets secondaires de sa chimiothérapie.
MyCurie est le fil d’Ariane qui humanise et personnalise la relation patient-médecin, entre deux rendez-vous à l’Institut.
Alain Livartowski, responsable projet e-santé, l’Institut Curie
L’application a prouvé son utilité puisque, par exemple, elle a permis d’améliorer de 25 %, le taux de survie en cas de récidive du cancer du poumon.
Selon 39 % des médecins généralistes, les objets et services de santé connectés sont des moyens fiables pour mesurer l’évolution de l’état de santé des patients. « Les praticiens y placent beaucoup d’espoir, relève Yves Morvan, car ces objets aident les patients à être plus vigilants dans le suivi de leurs traitements : il est évident que l’observance thérapeutique est meilleure. » Du côté des patients « empowered », l’espoir est là aussi : 85 % affirment qu’ils sont prêts à s’équiper, si leurs médecins leur recommandent une solution de santé connectée pour améliorer leur prise en charge. « La confiance des patients à l’égard des médecins est le terreau indispensable à la diffusion de la e-santé », insiste Luc Barthélémy. Basé sur le lien de confiance patient-médecin, un bel avenir semble promis à la e-santé, puisque plus de 50 % des praticiens estiment qu’elle fera partie intégrante de la prise en charge, au même titre que la prescription de médicaments.
Les points de vigilance essentiels pour les acteurs de la e-santé
Les patients comme les médecins soulignent des points de vigilance à garder en tête, pour assurer le développement vertueux de la santé connectée : la protection des données médicales, les risques de déshumanisation de la relation patient-médecin ou les difficultés à pouvoir établir un diagnostic précis dans le cadre de la téléconsultation.
Et, préoccupation importante pour les praticiens, le risque de mal comprendre le vécu des patients, car ils n’en auraient qu’une connaissance partielle. En effet, pour certaines maladies (cancer, VIH, hépatite C, fibrome utérin, asthme…), les patients connectés préfèrent évoquer leurs problèmes de qualité de vie dans l’anonymat du web, plutôt qu’en consultation dans l’intimité du cabinet médical. Les médecins sont également préoccupés par la nécessité d’encadrer les technologies numériques : pour 74 % d’entre eux, leurs patients pourraient mal interpréter les conseils donnés via les dispositifs de e-santé. Et pour 69 %, la santé connectée pourrait venir alimenter les angoisses des profils hypochondriaques. Enfin, 72 % des praticiens pointent le risque d’inégalité d’accès aux soins entre patients qui auront les moyens d’utiliser les solutions de santé connectée et ceux qui en seront privés.
La e-santé demain
Si les outils et services digitaux ont fait évoluer les rapports patient-médecin vers une relation « gagnant-gagnant », la pérennité de la e-santé dépend d’une régulation concertée entre tous les acteurs du secteur : patients, médecins, autorités de santé et entrepreneurs du numérique. « Les perspectives de développement de la e-santé sont immenses, conclut Luc Barthélémy. Elles concernent trois domaines : l’optimisation des outils de collecte, d’analyse et de gestion des données médicales, la robotique au sein des blocs opératoires, et l’intelligence artificielle pour l’aide au diagnostic médical. »
[ENCADRÉ] Innovations de pointe dans la e-santé
Le développement de la e-santé repose sur les innovations des acteurs du numérique.
Racha Abu El Ata, directrice santé et social chez Microsoft France
En décembre 2017, le géant américain de l’informatique a ainsi contribué à une première mondiale de chirurgie augmentée à l’hôpital Avicenne AP-HP à Bobigny. Un chirurgien a pu mener à bien une opération de pose de prothèse d’épaule, grâce à un casque de réalité mixte. Le dispositif lui a permis de visualiser en hologrammes les modélisations 3D des clichés anatomiques du patient. Et lors de l’intervention, il a pu échanger par Skype avec des confrères installés dans d’autres pays, qui pouvaient interagir via des hologrammes également. Une réussite totale.