Etats-Unis : pour les démocrates, une victoire à la Pyrrhus ? - Mathieu Gallard pour Les Echos

Le démocrate Joe Biden a nettement remporté la présidentielle américaine face à Donald Trump. Il échoue cependant à s'emparer des deux chambres du Congrès, ce qui est nécessaire pour faire passer bon nombre de réformes. Au regard de la sociodémographie américaine, c'était pourtant maintenant ou jamais, écrit dans une tribune Mathieu Gallard de l'institut Ipsos.
Etats-Unis : pour les démocrates, une victoire à la Pyrrhus ?

Tribune publiée sur lesechos.fr le 19 novembre 2020

Incertaine pendant plusieurs jours, la victoire de Joe Biden à la présidentielle américaine s'avère finalement nette. Le candidat démocrate a obtenu 306 « grands électeurs » (deux de plus que Donald Trump en 2016), faisant basculer cinq Etats qui avaient échappé à Hillary Clinton en 2016, au nombre desquels l'Arizona et la Géorgie, qui faisaient encore, il y a peu, figure de bastions républicains.

Au niveau national - et alors que plusieurs millions de bulletins de vote restent encore à dépouiller - Joe Biden a reçu 78,6 millions des suffrages (50,9 %) contre 73 millions à Donald Trump (47,3 %), soit près de 6 millions de bulletins d'écart. Selon l'analyse Nate Silver, lorsque le dépouillement sera définitif, Joe Biden devrait totaliser 7 à 8 millions de voix de plus que le président sortant, soit une solide marge d'environ 4,5 points d'avance.

Trump a résisté

Victoire nette de Biden donc, mais peut-on parler d'échec pour Donald Trump ? Certes, l'homme d'affaires est battu dans les urnes, mais par la grâce du mode de scrutin américain, sa défaite ne s'est finalement jouée qu'à quelques dizaines de milliers de bulletins de vote en Arizona (Joe Biden le devance à ce stade de 10.000 voix dans cet Etat), en Géorgie (14.000 voix d'avance), au Wisconsin (20.000 voix d'avance) et en Pennsylvanie (63.000 voix d'avance) - un argument qu'Hillary Clinton pourrait toutefois renvoyer au président sortant, elle qui avait été battue en 2016 par 77.000 voix de retard réparties dans trois Etats.

Surtout, en mobilisant sa base et en recueillant plus de 73 millions de voix - soit plus qu'aucun candidat à l'élection présidentielle hormis... Joe Biden - Donald Trump a démontré aux élus républicains combien sa force de frappe électorale restait forte après quatre ans au pouvoir. L'incapacité des principaux hiérarques du parti face aux dénonciations d'une fraude - imaginaire - par le locataire de la Maison-Blanche montre d'ailleurs bien combien ils sont en position de faiblesse face à un président capable d'électriser l'électorat conservateur qui lui est désormais massivement acquis.

Pas de vague bleue au Congrès

Surtout, cette victoire de Biden n'est pas une victoire des démocrates. Même si la composition définitive du Sénat reste incertaine du fait de deux seconds tours qui se tiendront le 5 janvier en Géorgie, le parti de l'âne n'a pas pu faire basculer plusieurs sièges qui étaient essentiels pour remporter une majorité solide à la chambre haute du Congrès. Quant à la Chambre des représentants, la majorité démocrate devrait y être réduite de quelques sièges, alors que la plupart des observateurs s'attendaient, au contraire, à un nouveau recul des républicains.

De plus, les résultats des élections au Congrès indiquent qu'une partie de l'électorat républicain modéré, s'il a voté pour Joe Biden à l'élection présidentielle par rejet du style ou de l'idéologie de Donald Trump, s'est néanmoins tourné vers les candidats républicains au Sénat et à la Chambre. Ainsi, les candidats républicains à la Chambre des Représentants totalisent 48,2 % des voix, soit 0,9 point de plus que le président sortant. Cela signifie qu'un candidat républicain moins clivant que Donald Trump pourrait espérer ramener à son parti une frange certes très minoritaire, mais néanmoins potentiellement décisive de son électorat traditionnel.

Pour Joe Biden, le mandat qui s'ouvre s'annonce difficile face à une majorité démocrate réduite à la Chambre des représentants et à des républicains qui ont toutes les chances de maintenir leur mainmise sur le Sénat. Il est donc peu probable que l'ambitieux programme économique, social et environnemental du prochain président ne puisse voir le jour, sauf à être largement amputé.

Le Trifecta de la dernière chance

Surtout, les perspectives électorales s'annoncent sombres pour le parti démocrate. Alors que durant les mandats de Barack Obama, la plupart des analystes s'accordaient à estimer que l'évolution sociodémographique du pays (montée des minorités et des diplômés du supérieur) annonçait une « emerging democratic majority », de plus en plus d'observateurs jugent désormais que les évolutions spatiales vont contrebalancer cette dynamique.

Ainsi, selon le professeur David S. Birdsell, 70 % des Américains devraient vivre dans les 15 Etats les plus peuplés d'ici à 2040. Sachant que chaque Etat américain, quelle que soit sa population, élit deux sénateurs, 70 % de la population américaine sera donc représentée par 30 sénateurs, le tiers restant de l'électorat désignant au contraire plus des deux tiers des sénateurs (70 sur 100).

Dans un contexte où les démocrates s'appuient de plus en plus sur un électorat urbain et où le vote aux élections au Congrès reflète de plus en plus étroitement le vote aux élections présidentielles, on mesure combien les démocrates risquent d'avoir à l'avenir peu de chances de réussir un Trifecta, c'est-à-dire le contrôle simultané de la présidence, du Sénat et de la Chambre.

Pour les démocrates, le scrutin de 2020 représentait une occasion en or de remporter ce Trifecta et de mettre en place des réformes visant à empêcher ce scénario apocalyptique pour eux tout en revivifiant la démocratie américaine : enregistrement automatique des citoyens sur des listes électorales nationales, établissement d'un jour férié pour les jours d'élections, entrée de Porto Rico comme 51e Etats des Etats-Unis, vote de Porto Rico et de Washington DC au Sénat, limitation des possibilités de découpages électoraux partisans... Il n'en sera probablement rien au cours des quatre années à venir, et chaque année qui passe rend un tel scénario de moins en moins probable du fait des évolutions de la société américaine.

Mathieu Gallard est directeur d'études au département « Public Affairs » d'Ipsos en France.

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