Européens et risques : des situations nationales contrastées

La deuxième vague de l’Observatoire Ipsos/Crédit Agricole Assurances des attitudes des Européens face aux risques met en évidence la diffusion d’un sentiment de vulnérabilité face aux risques. Derrière cet état des lieux global, se dessinent des perceptions nationales très variées dont les évolutions fournissent des clés de lecture particulièrement intéressantes de ce qui se joue actuellement au sein des populations européennes. La seconde vague de l’Observatoire Ipsos/Crédit Agricole Assurances dresse le panorama de ces perceptions et attitudes face aux risques et vient montrer à quel point celles-ci continuent d’évoluer face à une crise qui n’en finit pas.

Auteur(s)
  • Amandine Lama Directrice de Clientèle, Département Politique et Opinion, Public Affairs
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Dans certains pays, la situation s’est fortement dégradée. Le cas polonais illustre à quel point l’évolution de la situation économique peut aujourd’hui générer des changements très rapides et violents au sein des populations. Rattrapés par la crise, ils se retrouvent dans un état de vulnérabilité que beaucoup ne semblaient pas vraiment imaginer en 2012. Leur rapport au risque s’en trouve considérablement modifié. Dans d’autres, comme en Allemagne, on observe des premiers signes encourageants.

Quant à la France, elle s’enfonce encore plus dans le pessimisme et l’angoisse. Les craintes progressent partout et le risque fait de plus en plus peur, même s’il continue aussi de fasciner les Français. Ils se sentent toujours plus vulnérables et semblent de plus en plus tentés par le repli même si le système de protection sociale est encore jugé efficace.

 

Les pays qui décrochent : l’Espagne, la Pologne et la France

La situation de l’Espagne, déjà très préoccupante au regard des résultats de l’enquête en 2012, s’est encore aggravée.

Le niveau d’inquiétude des Espagnols est aujourd’hui extrême. Onze des 17 risques testés sont désormais un sujet d’inquiétude important pour plus des trois quart des Espagnols (contre seulement deux pour la moyenne européenne). Les motifs d’angoisse sont multiples et les inquiétudes se renforcent, qu’il s’agisse d’envisager la mort d’un proche (87% déclarent que cette perspective suscite une crainte importante ; +12 points par rapport à 2012), une maladie grave pour soi (86% ; +3) ou ses proches (89% ; +4), mais aussi des événements généralement bien moins anxiogènes, comme une incapacité temporaire affectant un membre du foyer (84% ; +4 contre 65% en moyenne).

La crainte du chômage, particulièrement forte déjà en 2012 en Espagne, se renforce encore, et pour cause : il concerne plus d’un quart de la population active (27,2% en avril 2013). Pour désormais 51% des Espagnols (+4), il s’agit d’un des trois risques les plus inquiétants auxquels ils pourraient être confrontés (contre 38% en moyenne), devant les risques financiers (47% ; +3) ou les risques médicaux (42% ;-1), pourtant jugés plus inquiétants dans la moyenne des pays européens.

Face à la montée des inquiétudes, le risque est aujourd’hui massivement considéré comme un danger qu’il faut éviter (73% ; +7). C’est en Espagne (et de loin) que le risque est le plus considéré comme dangereux. Pourtant, les Espagnols croient toujours plus qu’aujourd’hui, il vaut mieux enseigner à un jeune que dans la vie, il faut savoir prendre des risques quitte à en payer le prix si on échoue (73% ; +3). Pour s’en sortir, les Espagnols semblent penser (encore plus qu’en 2012) qu’il faut tenter le tout pour le tout. Au risque de tout perdre.

 

La Pologne, rattrapée par la crise

Longtemps épargnée par la crise grâce à son dynamisme économique, la Pologne est à son tour frappée : l’activité économique ralentit, le chômage augmente mois après mois et les restrictions financières se multiplient.

Si les Polonais restent moins inquiets que la moyenne des autres pays européens, les craintes progressent dans tous les domaines, mais surtout en ce qui concerne le chômage. Aujourd’hui, la possible perte de leur emploi suscite une crainte importante chez 55% des Polonais (+12 points). Les risques les plus anxiogènes sont fortement dominés par l’économie : risques financiers (52% les jugent parmi les 3 les plus inquiétants ; +3 points) et risques de chômage (50% ; +6 soit la plus forte progression depuis 2012).

Le sentiment de vulnérabilité des Polonais se renforce dangereusement, le système social défaillant ne permettant pas d’amortir l’impact de la montée du chômage et des craintes. Par rapport à 2012, la donne est en train de changer profondément. Il y a encore un an, les Polonais considéraient que le dynamisme économique compensait en partie les faiblesses des mécanismes de protection sociale. Aujourd’hui, 79% des Polonais considèrent qu’ils ont plus de risques qu’il y a 5 ans de connaître des difficultés financières (+6 points), 83% plus de risques de basculer dans la précarité (+12 points) ou encore 79% plus de risques de perdre leur emploi (+14 points). Ces valeurs sont très supérieures à la moyenne européenne (de 17 à 28 points selon les items).

En conséquence, le rapport au risque (relativement décomplexé en 2012) change. Plus souvent considéré comme un danger (51% ; +9), on considère bien plus que l’année passée que pour réussir, il faut « plutôt faire attention à ne pas prendre trop de risques » (50% ; +11). Malgré tout, la Pologne demeure un des pays qui valorise le plus le risque, notamment en ce qui concerne l’éducation des jeunes : 70% (+1) considèrent toujours qu’il vaut mieux leur enseigner que dans la vie, il  faut savoir prendre des risques quitte à en payer le prix si en échoue.

 

La France s’enfonce dans le pessimisme et l’angoisse

En France, le niveau de préoccupation déjà élevé continue d’augmenter : désormais 11 des 17 risques testés préoccupent chacun plus de trois quarts des répondants (contre seulement 3 sur 17 en 2012 et 2 sur 12 pour la moyenne européenne en 2013). Les sujets d’inquiétude sont multiples et progressent tous, sans aucune exception, qu’ils soient plus ou moins connectés à la conjoncture économique. L’angoisse se diffuse d’ailleurs à la vie quotidienne : la France est aujourd’hui le seul pays d’Europe dans lequel les risques d’agressions et de vol sont les plus anxiogènes (41% contre 30% en moyenne qui les citent parmi les 3 familles de risques les plus inquiétantes). Les risques de la route sont également plus cités que dans la moyenne des pays interrogés (38% contre 34%) et arrivent en deuxième position, devant les risques de chômage (37% ; +3 points néanmoins par rapport à 2012).

Les Français, hantés par la crainte du déclassement (60% d’entre eux se considèrent en régression sociale par rapport à leurs parents à leur âge, le score le plus élevé parmi les pays sondés), ont le sentiment d’être beaucoup plus vulnérables qu’avant la crise, et ce sentiment se renforce : 68% (+7 points par rapport à 2012) pensent qu’ils ont aujourd’hui plus de risques de connaître des difficultés financières qu’il y a 5 ans ; 61% (+11) qu’ils ont plus de risques de basculer dans la précarité, 48% (+7) plus de risques de perdre leur emploi et 33% (+4) plus de risques de connaître des difficultés d’ordre familial. Malgré les mécanismes de protection sociale existant, une majorité relative de Français a aujourd’hui le sentiment d’être moins bien protégée face à ces risques qu’il y a 5 ans (41% ; +4).

En France, le rapport au risque reste ambivalent : toujours plus considéré comme un danger (67% ; +5), les Français ont très majoritairement le sentiment que la prise de risques n’est pas valorisée dans leur pays (71% ; +3). Une majorité d’entre eux considère cependant qu’il vaut mieux enseigner à un jeune que dans la vie, il faut savoir prendre des risques (57% ; +4). Pourtant, la plupart d’entre eux continue de penser que pour réussir, il faut plutôt faire attention à ne pas prendre trop de risques (53% ; +2). Deux positions qui résument bien les contradictions des Français face à la prise de risque.

 

Un pays qui stagne : la Grande-Bretagne

Le mot « stagnation » résume bien la situation actuelle de la Grande-Bretagne, aussi bien compte tenu des données économiques objectives disponibles (stagnation de la consommation et de la croissance) que des perceptions.

Le niveau de préoccupation des Britanniques reste modéré au regard de la moyenne européenne, même si les inquiétudes tendent à progresser dans tous les domaines. Les risques financiers restent les plus anxiogènes (46% ; -5 points néanmoins) mais les risques de chômage inquiètent bien moins les Britanniques que la moyenne des Européens (29% contre 38%).

Le sentiment de vulnérabilité des Britanniques face à la crise reste également relativement modéré au regard de la moyenne européenne. En Grande-Bretagne, on a moins souvent le sentiment d’avoir plus de risques aujourd’hui qu’il y a 5 ans de connaître des difficultés financières, le chômage, voire de basculer dans la précarité.

Les Britanniques restent néanmoins prudents, voire attentistes en ce qui concerne la prise de risques : ils la considèrent désormais très majoritairement comme un danger (59% ; +7) et sont même les plus convaincus des Européens que pour réussir, il faut « plutôt faire attention à ne pas prendre trop de risques » (69% ; +3). Ils ont d’ailleurs eux-mêmes bien moins le sentiment de prendre des risques que l’année passée (59% ; -7).

 

Les pays où l’on observe des signes encourageants : l’Allemagne et l’Italie

Des préoccupations en baisse en Allemagne

L’Allemagne, avec un budget excédentaire et une croissance qui repart, voit les inquiétudes de ses ressortissants reculer. Les Allemands restent malgré tout plus inquiets que la moyenne des Européens face aux 17 risques testés (12,1 risques sur 17 les inquiètent de manière importante contre 10,8 pour la moyenne européenne).

Par ailleurs, contrairement à ce que l’on observe en moyenne en Europe, seule une minorité d’Allemands a le sentiment d’être plus vulnérable aujourd’hui qu’il y a 5 ans face aux risques de connaître des difficultés financières (44% contre 62%), de basculer dans la précarité (42% contre 59%) ou encore de perdre leur emploi (30% contre 51%). Une majorité relative d’Allemands s’estime même dans l’ensemble mieux protégée face à ces risques qu’il y a 5 ans (41% ; +2).

Conséquence de ces évolutions positives, l’aversion culturelle des Allemands pour le risque (mise en évidence lors de la 1ère vague de l’enquête) est un peu moins forte qu’en 2012 : 41% (+3) ont désormais le sentiment que la prise de risque est valorisée dans leur pays, 39% (+2) que pour réussir, il faut « plutôt prendre beaucoup de risques » et 36% (+8) qu’il vaut mieux enseigner à un jeune « que dans la vie, il vaut mieux faire très attention et ne pas prendre de risques s’il y a un prix à payer en cas d’échec ». L’Allemagne reste néanmoins un des pays où paradoxalement, on déclare le plus qu’il faut se garder du risque, mais où soi-même on a le sentiment d’en prendre beaucoup (72% des Allemands ont le sentiment de prendre des risques, soit le score le plus élevé en Europe). Un paradoxe apparent qui résume bien la position de l’Allemagne aujourd’hui : les Allemands sont prêts aujourd’hui à prendre des risques mesurés pour eux-mêmes, mais pas (ou plus) à payer pour ceux pris par les autres.

 

En Italie, des signes d’accalmie

Si la crise économique (et la crise politique) reste d’actualité en Italie, on observe certains signes encourageants.

Le niveau de préoccupation des Italiens reste certes très élevé mais recule légèrement par rapport à l’année dernière dans quasiment tous les domaines. Le risque de chômage apparaît légèrement moins inquiétant (47% ; -3).

Le sentiment de vulnérabilité face aux risques, s’il reste lui aussi élevé, tend également à diminuer, y compris en ce qui concerne le chômage. Les Italiens restent certes majoritairement convaincus d’avoir plus de risques qu’il y a 5 ans de connaître des difficultés financières (76%), de perdre leur emploi (64%) ou même de basculer dans la précarité (69%), mais ces sentiments reculent par rapport à l’année passée (de -5 à -8 points). Le fait que le pays se retrouve un peu moins aux prises avec les spéculations des marchés (en mai 2013 Bruxelles a levé les poursuites engagées pour déficit excessif) a probablement eu aussi un léger impact sur l’état d’esprit des Italiens.

Quant au rapport au risque, il évolue fortement : toujours majoritairement considérée comme un danger (59%, conforme à la moyenne européenne), la prise de risques semble attirer à nouveau les Italiens. Une majorité d’entre eux considère désormais que pour réussir, il vaut mieux « plutôt prendre beaucoup de risques (50% ; +23) et qu’il vaut mieux enseigner à un jeune que dans la vie, il faut savoir prendre des risques (54% ; +8). Un retour en grâce de la prise de risque qui ressemble à s’y méprendre à une reprise de la confiance.

 

La Suède, contre-modèle absolu et championne d’Europe de la confiance

Les Suédois, sondés pour la première fois cette année dans le cadre de ce baromètre, constituent un contre-exemple particulièrement parlant.

Leur niveau de préoccupation face aux 17 risques testés est tout d’abord très inférieur à la moyenne: aucun ne suscite d’ailleurs majoritairement une inquiétude importante (alors que c’est le cas de 16 sur 17 pour les autres pays sondés cette année). En Suède, seuls 21% des répondants se disent notamment préoccupés par le fait de se retrouver au chômage eux-mêmes (contre 56% en moyenne en Europe) et 11% pour leur conjoint / concubin (contre 49% en moyenne). D’ailleurs, les risques de chômage ne figurent pas en Suède parmi le trio de tête des risques les plus anxiogènes. Ils sont moins cités que les risques financiers, les risques médicaux, les risques de la route, les risques d’agression ou de vol ou même les risques informatiques.

Face à ces risques, les Suédois semblent plutôt confiants. Cas unique parmi les pays sondés, ils estiment même majoritairement être mieux protégés aujourd’hui qu’il y a 5 ans (51%). Logiquement, seule une minorité considère avoir plus de risques aujourd’hui de connaître des difficultés financières (38% contre 62% en moyenne), la précarité (37% contre 59%) ou encore le chômage (26% contre 51%).

C’est en Suède qu’on estime le moins prendre des risques au quotidien. Seuls 55% des Suédois ont le sentiment de manière générale de prendre des risques (contre 64% en moyenne dans les autres pays sondés). Pour les Suédois, le risque est en effet loin d’être omniprésent. C’est cette confiance plus marquée qui explique sans doute le sentiment qu’ont les Suédois de ne pas se mettre en danger. Cette impression ne témoigne en revanche en aucun cas d’une aversion pour la prise de risque.

D’ailleurs, les Suédois sont les Européens qui valorisent le plus la notion de prise de risque : 57% considèrent le risque comme un stimulant (contre 38% en moyenne dans les autres pays), 61% pensent que pour réussir, il faut plutôt prendre beaucoup de risques (contre 45%) et 68% qu’il vaut mieux aujourd’hui enseigner à un jeune que dans la vie, il faut savoir prendre des risques (contre 58%). Pourtant, seuls 9% des Suédois ont le sentiment aujourd’hui que la prise de risque est davantage valorisée dans leur pays que dans les autres pays de l’Union Européenne. Les Suédois, modestes, font pourtant figure aujourd’hui de champions d’Europe de la confiance.

 

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