Homme/Femme : tout bouge, rien ne change

La dichotomie sexuelle et culturelle homme/femme est-elle encore structurante ? Très clairement oui, nous dit Yves Bardon, Ipsos, Directeur de la Prospective, France. Le mélange des genres est-il pour demain ? Sans doute pas, répond l’auteur d’Ipsos Flair qui sent poindre cependant un vent de transgression. Entretien.

Auteur(s)
  • Yves Bardon Directeur du programme Flair, Ipsos Knowledge Centre
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L’axe fort d’Ipsos Flair 2010*, c’est la transgression. Cela remet-il en question la place de l’homme et de la femme, l’articulation des rôles, la manière de s’adresser à eux, etc. ?

Il serait très largement prématuré d’imaginer une réelle transformation des rôles. Ne confondons pas l’idéologie du changement et le changement lui-même. Nous voyons bien qu’en matière de rapports homme/femme, il y a des fondamentaux structurants qui sont liés au rôle de l’homme dans la société tel qu’il est construit, notamment par les médias, la communication, etc. et son alter ego féminin.

Vous signalez pourtant une orientation globale de la société, celle du « no limit » - qui fournit d’ailleurs son titre à Ipsos Flair 2010 -, pour montrer que les référents traditionnels s’effacent les uns après les autres.

Oui mais on est encore loin d’une remise en question de la dichotomie homme/femme et de son caractère profondément structurant. Comme le rappelle Ipsos Flair, dans le monde entier, les systèmes conceptuels et langagiers sont fondés sur des associations binaires qui opposent des caractères concrets ou abstraits et sont toujours marquées du sceau du masculin ou du féminin.

Les jeunes générations ne sont-elles en train de faire exploser ce schéma ?

On observe bien des tentatives comme, par exemple, l’émergence du queer à travers ceux qui ne se reconnaissent pas dans l'hétérosexisme de la société, qui remettent en question cette dichotomie fondatrice et renvoie à des sociétés pour lesquelles le genre ne va pas de soi. Mais ce n’est ni vraiment nouveau ni suffisamment fort.

L’homme converti aux tâches ménagères, ce n’est donc pas pour aujourd’hui ?

Non plus car la femme est toujours considérée comme la maîtresse de la maison aux sens ménagère et hôtesse du terme. Mais la transgression n’est pas forcément dans un échange des rôles. Il y a, par exemple, cette grève des ventres qui touche de plus en plus de femmes. En Allemagne, un tiers de celles qui ont accompli des études supérieures renoncent à enfanter. Au Japon, ce sont même 60 % des femmes âgées de 30 ans qui n’ont toujours pas d’enfant. En France, on se souvient du succès d’Être femme sans être mère, le livre d’Emilie Devienne. Ici, on est bien dans la transgression totale même si l’on comprend bien que ces attitudes puissent être motivées par la volonté des femmes de dissocier maternité et épanouissement. On en arrive au paradoxe suivant : les couples homosexuels rêvent d’enfants tandis que les femmes peuvent maintenant échanger leurs arguments sur www.childfree.fr pour expliquer pourquoi elles s’y refusent, quitte à adopter plus tard.

Autre exemple de transgression ?

Prenez le site de rencontre www.adoptunmec.com où la femme est accueillie en tant que cliente et l’homme comme produit. On passe alors dans une logique de femme consommatrice, prédatrice. Il y avait des comportements attribués aux hommes et des comportements attribués aux femmes par des idéologies dominantes. La mutation sociologique d’une part, l’accès des femmes comme des hommes à tous les types de contenus et d’informations, accélère une émancipation de ces attitudes idéologiques qui fait qu’aujourd’hui on peut parler de femmes « Cougar » comme dans série Cougar Town avec Courteney Cox, qui montre ces femmes seules, séduisantes, financièrement aisées, divorcées ou déjà veuves, avec des enfants suffisamment grands pour qu’elles puissent chasser en liberté. C’est une déprogrammation ou re-programmation sexuelle. Ce n’est pas parce que vous faites la vaisselle que vous ne regardez pas le garçon de 20 ans plus jeune ! Il faut savoir en outre que le nombre de mariages où l’homme a 10 ans de moins que la femme a doublé depuis les années 60 pour atteindre 5,4 % comme l’indiquait récemment le New York Times.

Vous voyez bien que les choses changent ?

De façon marginale. L’été prochain, ces milliards de messieurs ne vont pas assister à la Coupe du Monde foot féminin ! Cela étant, c’est vrai que l’on voit arriver des femmes dans des univers qui leur étaient jusque là interdits ou dont elles étaient relativement exclues. Je pense notamment aux jeux d’argent, en particulier au poker. Aujourd’hui, dans la médiatisation de ce jeu, il est de plus en plus question des femmes. Voyez cette joueuse professionnelle, Isabelle Mercier (http://www.isabellemercier.com) qui incarne à sa façon une transgression par rapport à un modèle qui interdit à la femme le jeu, le gaspillage, etc.

De même qu’il est mal vu pour un homme de se maquiller…

En France, les produits de beauté et les soins pour homme représentent un marché de 67 millions d’euros. Il est vrai que l’étape suivante, le maquillage, pourrait être une source de profit majeur. Au Japon, aux USA et au Canada, le marché des crèmes teintées et autres maquillages pour hommes connaît un développement accéléré. Mais dans la plupart des secteurs, comme l’automobile, la dichotomie homme/femme reste structurante. Dans la mode également, même s’il y a une tendance à la standardisation parce que le référent aujourd’hui, c’est le style inspiré par le sport : une mode ultra confortable qui masque les formes. Dans la musique, le rap et le r&b en particulier, on voit quand même à quel point la différence est marquée. On est même le plus souvent dans la caricature machiste. La dichotomie sexuelle demeure un élément clef dans l’image de soi que va communiquer tel ou tel modèle, en fonction de schémas et de codes sociaux dominants.

Le groupe Indochine a beau l’appeler de ses vœux dans son tube Unisexe (« nous serons les mêmes unis »), la synthèse homme/femme n’est pas à l’ordre du jour, en tout cas pas en matière de consommation et de
marketing ?

L’orientation psychologique et sociologique de la communication reste encore très féminine sur un certain nombre d’univers comme celui de la grande consommation, à l’exception de quelques produits comme le vin. Je suis désolé de le dire ainsi, mais quand on pense lessive, soupe, yaourts, on songe à une consommatrice sur un modèle qui est quasiment celui des années 60 ! Pour les marques et le marketing, l’intérêt n’est d’ailleurs pas de bâtir des communications qui aplanissent les différences susceptibles d’exister dans leurs cibles multiples parce que si vous unissez, vous standardisez. Indochine exprime sans doute une idée à laquelle croient des millions de gens mais on est loin du compte. Regardez dans le prêt-à-porter, Gautier n’est pas arrivé à féminiser la mode masculine. L’idée s’est heurtée aux contraintes de la vie quotidienne. Pas facile pour un homme de prendre le métro en kilt.


* Ipsos Flair est publié chaque année depuis 2006. Il s’agit d’une analyse sociologique de la situation en France, qui s’appuie sur les études réalisées par Ipsos et cherche à définir la grille de lecture de l’opinion.

Auteur(s)
  • Yves Bardon Directeur du programme Flair, Ipsos Knowledge Centre

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