La mutation du consommateur chinois
Idées préconçues et réalité
Les thèses les plus communément partagées par les médias à propos de la Chine font état d’un marché énorme, contrôlé et unifié par un gouvernement central fort, moteur d’une structure sociale relativement égalitaire.
Si la tradition d’un pouvoir central compétent et organisé différencie fortement la Chine de l’Inde, et si le discours idéologique valorise la dynamique sociale provoquée par une création de richesse (croissance du PIB) inégalée dans l’histoire de l’humanité, la structure sociale en Chine reste cependant fortement inégalitaire avec un indice Gini(*) de 0.45, en croissance. Les inégalités sont soutenues par une double fracture sociale entre ruraux/urbains et régions côtières/reste du pays.
En parallèle, la chine est souvent évoquée uniquement à travers sa dimension quantitative : envergure du pays, nombre de consommateurs et taille potentielle des marchés, gigantisme des nouveaux édifices, ampleur des catastrophes ou encore foisonnement des productions à bas coûts (usine du monde).
Si cette conception de la Chine reste actuelle, elle est, pour autant, à réinterroger dans une vision plus prospective de son développement et des attentes des consommateurs. Conséquence de la multiplication des scandales alimentaires et d’une pression populaire croissante, le gouvernement chinois prend de nouvelles dispositions légales avec l’augmentation des protocoles alimentaires, de la traçabilité et le durcissement des normes de santé avec une application à l’ensemble du pays via la SFDA. Cet accroissement des régulations va impacter profondément toute la chaîne de valeur depuis la sélection de la matière première jusqu’à la commercialisation.
Quel consommateur chinois pour demain ?
Le consommateur le plus visible est bien entendu le riche entrepreneur chinois de Shanghai, jeune, très attentif à son apparence, aux marqueurs de statut et grand consommateur de grandes marques de luxe sur Nanjing Road. Ce modèle de consommateur « hyper-matérialiste », soucieux de démontrer son ascension sociale est encore très présent.
Pour autant, nous voyons émerger dans cette strate de consommateurs très avertis, une posture plus européenne, « post matérialiste », où des dimensions telles que l’épicurisme prennent tous leurs sens. Les acteurs du marché des spiritueux ne s’y sont pas trompés en modifiant des communications très statutaires i.e. « Chivas Life » pour des communications où l’histoire, les codes d’honneur, la relation aux autres deviennent les dimensions clés i.e. « Live with Chivalry ».
Jusque maintenant, le « nouveau » consommateur chinois avait tendance à privilégier la dimension statutaire et le rapport fonctions/qualité/prix. La tendance est aujourd’hui à un mouvement vers une augmentation des critères de choix combinée à leur sophistication : exigence d’utilité personnelle (« what fits me »), qualité esthétique, impact santé (inquiétudes liées à la pollution), garantie sanitaire (matière 1ère, mode de fabrication, mode de procuration), enrichissement culturel par l’expérience, impact sur l’environnement ou encore comportement social de l’entreprise… Coca Cola a été poursuivi en 2010 pour des problèmes de qualité sur sa marque Sprite. Taobao, le ebay chinois vient d’investir plus de 20 millions d’euros dans le projet Tmall, une plateforme réservée à la vente de produits certifiées. Différents labels de qualité émergent : « wugonghai » (produits non pollués), « lüse Shipin » (produits verts) ou « youji shipin » (produits bios). Des marques bios se développent : « fieldschina », les légumes bios produits dans des « city farm » pour l’enseigne CityShop. Il faut également avoir en tête que les mères chinoises sont celles qui, dans le monde, font le plus attention aux ingrédients et à la composition des produits qu’elles achètent.
Cette évolution sera d’autant plus rapide et importante qu’Internet constitue un immense espace de liberté pour les bloggeurs où les Marques sont challengées, chahutées et défiées à l’égal, voire d’une façon plus manifeste que ce qui se passe en Occident. Weibo, l’équivalent chinois de Twitter, vient de dépasser 200 millions d’utilisateurs et a été à l’origine en août dernier d’une grande manifestation à Dalian dénonçant des risques de pollution liés à l’installation d’une usine chimique.
(*) Indice de Gini : Le coefficient de Gini est une mesure du degré d'inégalité de la distribution des revenus dans une société donnée