La publicité digitale : un nouveau contrat de communication pour les marques
En quoi la publicité digitale marque-t-elle une rupture profonde avec le passé ?
En premier lieu, il faut voir que la révolution digitale s’est faite pas mal sans les marques. La star du digital, c’est d’abord l’individu et, dans ce qui nous occupe, le consommateur. Il faut dire que bien souvent, il est en avance et oblige les annonceurs à réfléchir et à travailler différemment. Les marques doivent donc mettre en place un nouveau contrat de communication lorsqu’elles vont sur Internet ou le téléphone mobile. Elles doivent veiller à tisser un véritable échange avec l’internaute ou le mobinaute ; à créer un système participatif dans lequel elles dialoguent véritablement avec eux. C’est loin d’être encore le cas et beaucoup d’annonceurs traitent le digital comme une déclinaison des autres média ou de façon totalement différente, mais pas toujours lié à l’idée de marque.
Un exemple ?
Procter & Gamble a créé un dispositif très complet d’échanges, au travers notamment de communautés d’utilisateurs qui challengent l’offre. On est face à un géant de la grande consommation qui ne craint pas de se remettre en cause en créant des jurys de consommateurs aptes à juger ses produits, parfois même durement. Dans la communication digitale, s’agissant d’un média conversationnel, il faut que la marque accepte une relative perte de contrôle. Le consommateur peut rompre la communication ou, au contraire, décider de l’entretenir. L’engagement ou la préférence exprimée vis-à-vis d’une marque, quand on a vécu une bonne expérience sur le Web, peut être très fort.
Participation et pertinence
Conseillez-vous à vos clients de se ruer sur le digital ?
Je leur conseille surtout d’être cohérent dans leurs messages à travers les différents supports. Il y a 70 ans, Albert Einstein disait : « Notre époque se caractérise par la profusion des moyens et la confusion des intentions ». C’est toujours d’actualité. Il y a inflation de moyens mais on se pose assez peu la question du pourquoi et du comment, de la destination, du discours, des attentes… Pour moi, avec la publicité digitale, un facteur essentiel est trop souvent négligé : la pertinence.
Soyons pertinents et pas seulement communicants, c’est la condition ?
Trop d’annonceurs négligent de travailler sur la cohérence de leur dispositif et surtout sur une « meta-idée » de communication qui se retrouvera sur plusieurs points de contact. Avec le digital, le consommateur n’est plus passif. Il peut choisir d’y aller ou pas. Il faut donc être pertinent pour pouvoir vraiment solliciter son engagement et sa participation. L’exemple le plus réussi à mon avis d’une campagne de communication en 2009, c’est le produit Obama. Il y a 4 millions de personnes qui ont agit pour lui. Il les a recrutées par le Web et il a donné un rôle à chacune : verser un dollar, coller des affiches, faire le tour de ses voisins… C’est l’utilisation la plus habile du digital. Car ce qui est très intéressant dans le digital, c’est de pouvoir transformer le fait de recevoir une communication en une véritable expérience. Le consommateur de média digital est très différent du téléspectateur passif. Il est extrêmement réactif. Il faut donc le faire agir.
Révolutions digitales
La pluralité des médias est-elle synonyme de complémentarité ?
Avec la fragmentation des médias et de l’audience des médias, les gens peuvent autant se connecter sur Internet qu’aller sur leur Facebook mobile et regarder la télé ou écouter la radio. Il y a une sur-consommation et sur-exposition à des messages. Je ne suis pas certaine qu’ils soient suffisamment univoques et clairs pour que le consommateur s’y retrouve. On peut vite passer à la cacophonie.
Quel est l’impact de la crise ?
Le digital permet enfin l’accélération du fameux marketing one to one dont on parle fréquemment depuis quelques temps. Il est clair que cela permet de mieux cibler le consommateur. On n’est plus dans un marketing massificateur. On entre dans un modèle qui met au centre le consommateur en tant que personne à la fois unique et multiple avec ses goûts, ses multiplicités d’investissement dans différentes situations. Et c’est vrai que la crise affûte les choix des consommateurs ; ils ont moins d’argent et moins de possibilités, ils sont donc tentés de réfléchir davantage avant d’agir. On va donc automatiquement vers une accélération des démarches digitales à cibler un consommateur en tant qu’individu et non plus des consommateurs en tant que masse. La révolution digitale est une révolution pour les annonceurs et les agences. Elle l’est aussi forcément pour les instituts comme Ipsos. Nous n’allons probablement pas mesurer l’efficacité d’une campagne post-digitale comme à l’ère pré-digitale. Il faut réfléchir à d’autres types d’indices, d’autres types de rapport à la marque.