L'avenir des marques : dégagisme ou reconnaissance de leur engagement ?
Dans le contexte actuel de polycrises et de dégagisme frappant une partie de la classe politique, les consommateurs-citoyens attendent des marques des solutions à leurs problèmes quotidiens, mais aussi des actions concrètes pour protéger la planète et améliorer la société. Ipsos a réuni, lors d’une conférence, ses experts et des responsables d’entreprise pour partager analyses, insights et recommandations sur l’avenir des marques.
Les crises ne se succèdent plus, elles se superposent ! Crise climatique, migratoire, sociale, identitaire, géopolitique, inflationniste… Dans ce monde de polycrises, les consommateurs-citoyens éprouvent de l’anxiété et arbitrent encore plus leurs achats. Ils ont besoin d’attention, de repères et de solutions quotidiennes.
« Les marques doivent faire face à deux enjeux : garder la préférence des clients en intégrant leurs nouvelles attentes et assumer qu’elles peuvent contribuer à changer la société », explique Alexandre Guérin, directeur général d’Ipsos en France.
Le challenge est d’autant plus difficile que les marques comme les politiques n’ont plus le contrôle du récit. Les réseaux sociaux diffusent informations et fake news à grande échelle, amplifiant le phénomène de dégagisme. Les consommateurs-citoyens se détournent de certaines marques politiques ou de certains de leurs représentants… et n’y reviennent plus. De la même façon, ils peuvent rejeter les marques commerciales, s’ils les considèrent déconnectées de leurs préoccupations et des défis sociétaux. Et là aussi, ne plus y revenir !
Les enseignements à tirer du dégagisme politique, pour les marques
En 2017, deux marques politiques historiques de la Ve République ont été « dégagées », lors de l’élection présidentielle, puis des législatives : le Parti socialiste et Les Républicains. Un rejet des électeurs qui s’est accentué lors des scrutins de 2022. « Ce dégagisme résulte de la combinaison de deux crises, analyse Brice Teinturier, directeur général délégué d’Ipsos en France. Il y a d’abord la crise de résultat : depuis les années 1980, gauche et droite se sont révélées impuissantes face au chômage et à la baisse du pouvoir d’achat. À cela s’est ajoutée une crise de la représentation, de plus en plus forte : les électeurs ont le sentiment profond que les politiques ne les écoutent plus. »
Se remettre en question, se renouveler, anticiper
Le magazine économique américain Forbes a ainsi adopté très tôt la pratique du web first. « Nous avons pris un risque à mettre en ligne, avant même la parution, certains dossiers très attendus comme la fameuse liste des milliardaires », avance Dominique Busso, directeur général de Forbes France.
La contribution au bien commun, nouveau critère de satisfaction
Est-ce envisageable pour les marques commerciales de prendre le relai des politiques, via la RSE ? Est-ce une opportunité ou un piège ? « Les entreprises ne sont pas là pour sauver le monde, mais pour faire du commerce avant tout, tranche Bertrand Cizeau, directeur général de Hello bank!. Ce qui change, c’est que la contribution des entreprises au bien commun fait maintenant partie des critères de satisfaction des consommateurs-citoyens, à côté du prix et de la qualité des produits ou services. »
Certaines marques s’engagent donc sur des causes, pour participer au bien commun. Sébastien Missoffe, VP et directeur général France de Google, déclare : « D’ici 2030, nous ambitionnons de fonctionner uniquement avec de l’énergie sans carbone, pour assurer notre mission de toujours : rendre l’information accessible et utile au plus grand nombre. » Et Bertrand Cizeau d’ajouter : « Les entreprises doivent, en effet, choisir avec sincérité leur combat à mener, sinon cela devient du green washing et il y a risque de dégagisme ! »
S’engager pour changer la société : du discours aux preuves…
Force est de constater que de plus en plus de marques s’impliquent pour essayer de relever les défis environnementaux et sociaux. « Mais attention, leur engagement peut être perçu par les consommateurs comme un simple moyen de répondre à un objectif commercial », met en garde Géraldine Michel, directrice de la chaire Marques & Valeurs à l’IAE Paris-Sorbonne Business School.
Deux leviers pour renforcer l’authenticité de l’engagement
Il est essentiel pour les marques d’activer deux leviers, pour que leur démarche soit jugée honnête. « Ce sont la prise de risque en termes d’image et de réputation, et la renonciation à des opportunités de marché qui renforcent l’authenticité de l’engagement. » Ainsi quand Nike choisi comme ambassadeur, le footballeur américain Colin Kaepernick, supporteur du mouvement Black lives matter, la marque embrasse de fait cette cause. Elle s’attire les foudres d’une partie des consommateurs, mais conquiert aussi de nouveaux clients.
De même est perçu comme positif le collectif Make Friday Green Again, à l’initiative de la marque de mode écoresponsable Faguo et qui réunit 1 300 entreprises renonçant au black Friday.
L’impact de l’engagement sur les causes défendues
Le prochain enjeu pour les marques engagées est de pouvoir mesurer leur impact sur les causes défendues. « Les consommateurs attendent des preuves, précise Géraldine Michel. Les entreprises doivent donc installer des indicateurs et communiquer dessus : indicateurs sur leurs processus de production et de distribution écoresponsables, mais aussi sur l’impact à l’égard des minorités qu’elles soutiennent, ce qui est le plus difficile à évaluer. »
Et cet impact, mesuré ou non, n’est pas toujours positif. Pour exemple, Decathlon a dû renoncer, en 2019, à la commercialisation de son hijab de running, suite à un déferlement de critiques. « Pour les consommateurs, les causes défendues deviennent légitimes, seulement si elles s’inscrivent dans la raison d’être des marques. »
Les marques peuvent-elles se positionner sur tous les territoires d'engagement ?