Le luxe arabe : un luxe résolument tourné vers l’avenir

Le moyen orient occupe régulièrement le centre de l’actualité : conflit israélo-palestinien, progression de l’État islamique en Irak, guerre fratricide en Syrie, etc. Vue de loin, la région paraît engluée dans des conflits millénaires. Les différentes traditions religieuses s’y livrent à des batailles qui semblent irréductibles. Dans ce contexte, la région paraît peu propice au développement de secteurs comme la mode ou le luxe. Et pourtant, depuis plusieurs années, certains pays s’ouvrent à la consommation premium et certains émirats, comme Dubaï, revendiquent haut et fort le statut de plaque tournante privilégiée pour la consommation de biens et de services de luxe.

Comment expliquer le succès du luxe dans cette région ? Quels en sont les contours ? Existe-t-il des attentes spécifiques au sein de ces populations ? Pour le savoir l’Observatoire annuel des clientèles du luxe d’Ipsos et de l’Association des Professionnels du Luxe (World Luxury Tracking), déjà présent dans treize pays, a conduit une enquête au début de l’année 2014 dans la région, en se concentrant sur la population arabe en Arabie Saoudite et aux Émirats Arabes Unis. Dans chaque pays, un échantillon représentatif de la population appartenant aux nouvelles classes moyennes et supérieures a été interrogé au début de l’année 2014 (nationaux et expatriés arabes).

 

LES ARABES SONT FANS DE LUXE

Replacée dans une perspective internationale, le premier enseignement frappant de cette enquête au moyen orient réside dans le goût manifesté par les personnes interrogées pour le luxe. Dans chaque vague de l’Observatoire des Clientèles du Luxe, Ipsos demande aux individus d’exprimer leur appréciation du luxe sur une échelle de 1 à 10 (1 signifiant qu’ils n’apprécient pas du tout le luxe et 10 signifiant qu’ils l’adorent). En Arabie Saoudite comme aux Emirats Arabes Unies, les scores obtenus sur cette échelle du luxe sont les plus élevés de tous les pays couverts. Avec une moyenne de 8,5 (Arabie Saoudite) et 8 (EAU), ces deux pays se retrouvent au niveau de la Chine (8) — un autre eldorado du luxe mondial — et dépassent les États-Unis (6,9), le Royaume Uni (7,4) ou le Brésil (6,7).

Il faut souligner que l’engouement pour le luxe est général. Toutes les catégories de la population partagent cette appréciation positive : jeunes et moins jeunes, hommes et femmes ont tous des scores qui égalent ou dépassent 8 — une bonne nouvelle pour les marques de luxe pressées de satisfaire ces aspirations. Car la conséquence de cette disposition positive à l’égard du luxe se lit dans le potentiel de consommation. Ainsi 60% des Émiratis et 47% des Saoudiens ont l’intention de se faire plaisir en dépensant plus au cours de l’année 2014.

 

LE LUXE EST UN SYMBOLE DU FUTUR

L’enquête menée dans ces deux pays montre que les populations interrogées manifestent un optimisme à toute épreuve. En dépit des conflits qui gangrènent le territoire de leurs voisins (et parfois leur propre territoire) et malgré les risques de pénurie à long terme qui pèsent sur les réserves de pétrole, principale richesse de la région, 95% des personnes interrogées dans les deux pays se disent confiantes dans l’avenir économique de leur pays au cours des prochaines années. Ces scores, qui s’apparentent à de véritables plébiscites, sont nettement supérieurs à ceux enregistrés pour la même question en Chine (81% des Chinois se disent confiants) aux Etats-Unis (54% des Américains), au Japon (24% des Japonais) ou… en France (seulement 20% des Français).

Cet optimisme face à l’avenir est peut-être une des clés pour comprendre leurs attentes en matière de luxe. Car les consommateurs arabes ne recherchent pas à être rassurés comme dans la veille Europe à travers des marques aux héritages brillants et aux traditions illustres. Ils veulent avant tout participer de cette dynamique de la modernité économique et en posséder les symboles les plus prestigieux : automobiles, parfums ou accessoires de mode luxueux.

Bien sûr, comme dans la plupart des pays du monde, le luxe dans cette région est un symbole de richesse et permet de montrer son statut social et sa réussite. À travers sa voiture grand luxe, sa montre sophistiquée, ses lunettes de soleil griffées ou ses chaussures de créateur, c’est son identité sociale que l’on révèle aux autres, et sa position dans l’échelle sociale. Mais pas seulement. Au-delà de cette composante ostentatoire somme toute «classique» dans la consommation de luxe, il est d’autres motivations qui sont d’autant plus remarquables que, dans ces mêmes pays, continuent à régner des traditions religieuses séculaires et, parfois, d’une grande rigidité.

Reflet de leur optimisme, tout ce qui est nouveau et qui anticipe le futur est plébiscité. En effet, la motivation la plus frappante révélée par l’enquête réside dans l’importance accordée à l’innovation. 90% des Saoudiens et 86% des Emiratis définissent le luxe comme «ce qu’il y a de plus pointu en matière d’innovation». De tous les pays couverts par l’Observatoire du luxe, ces deux pays sont les seuls à placer l’innovation dans le top 5 de leur définition du luxe. De fait, dans ces pays, le luxe est le symbole d’un avenir radieux. En conséquence, il se doit d’être étonnant, original, précurseur. Mais aussi, à l’image de l’architecture qui règne à Dubaï : créatif, grandiose, démesuré, audacieux, décomplexé. Le culte du « jamais vu» fait partie des attentes des clients arabes du luxe. 93% en Arabie Saoudite et 87% aux Emirats Arabes Unis attendent des marques de luxe qu’elles soient «innovantes» et leur offrent ce qu’il y a de plus «avancé».

C’est le paradoxe du luxe au moyen orient : dans une des régions les plus traditionalistes du monde, les attentes de luxe sont les plus « rupturistes ». Le consommateur de luxe veut du nouveau et de l’exclusif. Dernières éditions, séries limitées, produits personnalisés : ces caractéristiques du luxe plaisent d’autant plus qu’elles permettent de se distinguer du voisin.

 

LA CULTURE DES « SHOPPING MALLS »

Ce culte de la nouveauté trouve dans les gigantesques centres commerciaux (ou malls, comme chacun les désigne là-bas) les moyens à sa (dé)mesure. Car, en quelques années, la culture des malls s’est imposée comme le premier loisir dans ces pays. Parmi les plus grands et les plus luxueux du monde, ils accueillent les familles (la consommation se fait en groupe). C’est là que les clients achètent en priorité.

Même s’ils sont tous connectés et friands d’appareils technologiques dernier cri, les consommateurs arabes préfèrent l’ambiance des magasins. 91% des Émiratis et 77% des Saoudiens ne jurent que par les centres commerciaux. Ceux-ci remplissent une fonction de sociabilité décisive et se veulent la vitrine d’un nouveau monde. L’hédonisme consumériste qui s’y déploie à foison est incontestablement une des singularités de la région, et aussi, l’expression de son désir d’avenir.


A propos de l’Observatoire des Clientèles du Luxe (World Luxury Tracking)

Chaque année depuis 2007, Ipsos sonde les attentes des clientèles du luxe dans les pays développés et les pays émergents. En tout, 13 pays sont concernés par le dispositif : France, Allemagne, Italie, Grande Bretagne, Espagne, USA, Japon, Chine, Brésil, Inde, Russie, Hong Kong et Corée du Sud. Dans chaque pays, un échantillon national représentatif (entre 800 et 2000 personnes par pays) des classes moyennes et aisées est interrogé sur leur perception du luxe en général, leurs comportements d’achat, leurs marques préférées, etc. En 2014, ce dispositif a été étendu à l’Arabie Saoudite et aux Emirats Arabes Unis. 803 interviews en face à face ont été réalisées en Arabie Saoudite et 1009 aux Emirats. Les personnes interrogées étaient âgées de 21 à 55 ans. Zones couvertes par l’étude : Riyad, Djeddah, Dubaï, Abu Dhabi.

Pour en savoir plus sur le world luxury tracking

Crédit photo : Sanchai Kumar

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