Le modèle social européen dans la tourmente
La deuxième vague de l’Observatoire Ipsos/Crédit Agricole Assurances des attitudes des Européens face aux risques met en évidence un accroissement du sentiment d’exposition aux risques. Les angoisses progressent sur l’ensemble du spectre du risque, de la maladie grave à l’incapacité temporaire, en passant par le vol du véhicule et le cambriolage de son logement. Si les Européens se sentent de plus en plus exposés, c’est aussi parce que les systèmes de protection sont perçus comme de moins en moins efficients. Si les appréciations divergent sur l’efficacité du système de protection sociale dans chacun des pays concernés par l’enquête, le constat est unanime : il faut le réformer pour assurer sa pérénnité.
Sans grande surprise étant donné les conséquences toujours plus violentes de la crise économique sur le vieux continent et le sentiment d’une vulnérabilité accrue face à ces effets, les Européens sondés se montrent en moyenne plutôt critiques face à leurs systèmes de protection sociale respectifs : 57% considèrent que leur système national fonctionne mal, contre 43% qui jugent au contraire qu’il fonctionne bien.
Mais ces résultats moyens masquent des disparités nationales très importantes.
Dans trois des pays sondés, une large majorité de sondés considère que le système fonctionne bien : en Allemagne (65%), en Suède (64%) mais aussi en France (61%). En Allemagne et en France, les répondants ont d’ailleurs très largement le sentiment que leur système de protection sociale est plus avancé que celui de leurs voisins européens (70% le pensent en Allemagne et 62% en France). Les Suédois, peut-être moins chauvins, ne sont que 37% à le penser, soit à peine davantage que ceux qui considèrent que leur système n’est « ni plus ni moins avancé » que celui de ses voisins, eux-mêmes certes bénéficiaires du « modèle scandinave ». Ces trois pays sont ceux dans lesquels la part du PIB consacrée à la protection sociale est la plus importante (en 2010 d’après Eurostat : 33,8% en France, 30,7% en Allemagne et 30,4% en Suède).
En Pologne, en Italie et en Espagne, on juge au contraire très majoritairement que le système de protection sociale fonctionne mal : 86% des Polonais le pensent, tout comme 77% des Italiens et 70% des Espagnols. Dans ces trois pays, on considère donc sans surprise assez largement que le système national est moins avancé que celui des pays voisins (76% des Italiens le pensent, 75% des Espagnols et 71% des Polonais), sans doute pour des raisons diverses : frappé par les coupes budgétaires et sous pression en Italie et en Espagne, le système de protection sociale polonais reste quant à lui embryonnaire (les dépenses consacrées par la Pologne à la protection sociale ne représentaient en 2010 que 18,9% du PIB selon Eurostat, contre 29,4% de l’UE27) et les réformes du Premier ministre Donald Tusk sont contestées (santé publique, retraite).
En Grande-Bretagne, les jugements sont plus partagés : 55% des Britanniques considèrent que leur système de protection sociale fonctionne mal, contre 45% qui jugent au contraire qu’il fonctionne bien. Le modèle étatique britannique a en effet ses détracteurs du fait de ses limites : manque d’investissement dénoncé, lourdeur du système et longueur des listes d’attente pour bénéficier de soins. D’ailleurs, notons que si la Grande-Bretagne consacre une part plus importante que la moyenne des pays européens à la branche maladie, soins de santé et invalidité, elle dépense en proportion bien moins en ce qui concerne la branche chômage, une inquiétude pourtant particulièrement forte des Européens à l’heure actuelle. Malgré tout, une majorité relative de Britanniques considère que leur système de protection sociale est plus avancé que celui de ses voisins (47% contre 31% qui jugent qu’il l’est moins et 22% qu’il ne l’est « ni plus ni moins »).
Mais un constat unanime : la nécessité de réformer pour assurer la pérennité du système
Si la performance des différents systèmes nationaux est jugée diversement, les Européens sondés s’accordent sur la nécessité de les réformer : 95% pensent que leur système national doit l’être pour assurer son avenir. Parmi eux, 57% considèrent même qu’il doit être réformé en profondeur quand 38% jugent qu’il peut être réformé mais à la marge seulement. Seuls 5% des Européens considèrent au contraire que leur système de protection sociale peut rester tel qu’il est actuellement.
Assez logiquement, c’est dans les pays où l’on considère que le système de protection sociale fonctionne mal que l’on est le plus enclin à considérer qu’il faut réformer en profondeur : c’est le cas en Pologne (82% le pensent), en Italie (69%), en Espagne (52%) ou encore en Grande-Bretagne (50%).
Mais c’est également majoritairement le cas dans un pays où l’on considère que le système fonctionne bien mais où l’opinion publique se révèle particulièrement sensible à la nécessité de réduire les dépenses publique : la France. Il s’agit en effet du seul pays dont les ressortissants placent parmi les trois modèles de protection contre les risques qui répondent le mieux à leurs attentes actuelles « un modèle où l’on cherche le plus possible à résorber les dépenses et les déficits pour atteindre l’équilibre budgétaire » (43% de citations contre 33% en moyenne). Les Français sont très vraisemblablement conscients qu’aujourd’hui, leur système de protection sociale national est menacé. La situation financière des départements est aujourd’hui particulièrement problématique. Or une large partie des dépenses sociales de la France (RSA, aides pour les personnes âgées, prestation handicap…) repose sur eux.
En Allemagne également, une majorité relative se prononce pour une réforme en profondeur (49% pour 45% « à la marge seulement »). Même en Suède, l’idée est loin d’être rejetée, même si la majorité des Suédois penchent pour une réforme « à la marge » (53% contre 39% « en profondeur »).
La fin de l’Etat-Providence omniprésent, opportunité d’émergence d’un nouveau modèle ?
Dans tous les pays sondés, une majorité d’habitants considère certes souhaitable que le secteur public / l’Etat augmente ses niveaux de prise en charge en matière de protection sociale. Les Polonais et les Espagnols sont les plus nombreux à souhaiter leur augmentation. Seuls les Français et les Britanniques considèrent les niveaux actuels suffisants (voire excessifs) en matière de politique familiale, d’indemnités chômage, ou encore de remboursement des médicaments et des consultations médicales (pour la Grande-Bretagne seulement). Les augmentations de prise en charge jugées les plus souhaitables sont celles qui répondent à des besoins liées au vieillissement de la population européenne : les pensions de retraite (79% des Européens jugent souhaitable qu’elles augmentent) ou encore la perte d’autonomie / dépendance (75%).
La réforme apparait néanmoins inéluctable et les Européens semblent résignés aux coupes budgétaires. Seuls les Allemands croient à une augmentation des niveaux de prise en charge publique, en particulier en ce qui concerne la politique familiale (60% pensent qu’ils vont augmenter), les pensions de retraite (54%) ou la perte d’autonomie / dépendance (52%). Cet optimisme qui dénote s’explique par le fait que l’Allemagne est le seul pays européen à afficher un excédent budgétaire en 2012, une situation qui rend évidemment les perspectives de coupes budgétaires moins pressantes. En revanche, en Italie et en Espagne, les politiques d’austérité sont toujours d’actualité et les répondants anticipent très majoritairement de nouvelles coupes.
Cette diminution anticipée des niveaux de prise en charge par l’Etat s’accompagne du sentiment que ce dernier va jouer dans les années qui viennent un rôle de moins en moins important (49% des répondants le pensent, contre 24% un rôle « de plus en plus important » et 27% « ni plus ni moins important ». Les Espagnols (63%), les Français (61%), les Polonais (59%) et les Italiens (55%) en sont particulièrement convaincus.
Mais pour les Européens, il est hors de question d’imaginer un système de protection sociale efficace sans rôle important dévolu à l’Etat. Seuls 14% estiment un tel système envisageable. Le modèle de l’Etat-Providence omniprésent, acteur unique de la protection sociale, n’a plus non plus le vent en poupe : seuls 30% des Européens considèrent qu’un modèle de protection sociale efficace est un modèle dans lequel l’Etat joue un rôle prépondérant (45% néanmoins des Britanniques qui restent très attachés à leur modèle). Une majorité d’Européens considère désormais qu’un modèle de protection sociale efficace est un modèle dans lequel l’Etat joue un rôle important mais agit en partenariat avec d’autres acteurs comme les assurances, les mutuelles et les associations (56% ; 63% en France et en Pologne).
Le principe de solidarité reste essentiel aux yeux des Européens, et à leurs yeux l’Etat en reste vraisemblablement le garant. Parmi une série de modèles qui leur étaient proposés, ils privilégient en effet « un modèle où chacun paye suivant ses moyens, les plus riches payant plus que les plus pauvres » (52%), « un modèle qui couvre aussi les personnes totalement démunies qui n’ont pas les moyens de payer pour leur protection » (46%) ou encore « un modèle de protection solidaire, entre générations, entre personnes sans emploi et salariés, riches et pauvres… » (39%). Le principe de solidarité inhérent au modèle social européen et qui a permis d’amortir le choc de la crise, continue donc de primer sur les logiques budgétaires (seuls 33% des Européens privilégient un modèle où on cherche le plus possible à résorber les dépenses et les déficits pour atteindre l’équilibre budgétaire ; 43% en France cependant) ou plus individualistes (27% appellent de leurs vœux un modèle qui permettrait de choisir son niveau de protection, dans lequel chaque individu contribue pour la couverture de ses propres risques et est couvert à hauteur de sa contribution ; 18% un modèle où les assurances privées et les mutuelles participent plus à la couverture des risques de chacun).
La France se distingue toutefois des autres pays en ce qui concerne les modèles sociaux plébiscités : les solutions les plus individualisées y suscitent davantage d’intérêt qu’ailleurs. Les Français sont les plus nombreux à attendre du système qu’il leur propose un modèle qui permette de choisir un niveau de protection où chacun contribuerait pour la couverture de ses propres risques (respectivement 34% contre 27% pour l’ensemble) et un système où le rôle des assurances privées et des mutuelles serait renforcé (26% contre 18% pour l’ensemble). En France, cette tendance fait écho à la montée du pessimisme qui empêche de se projeter dans le futur, au renforcement des craintes pour leur situation personnelle et au sentiment que le système de protection est en danger.
Retrouvez l’ensemble des résultats, analyses et réactions d’experts sur le site dédié observatoire.ca-assurances.com