Le moral des salariés ne suit pas la reprise
Depuis plusieurs mois, les raisons ne manquent pour anticiper une amélioration significative du moral des salariés français. La gauche, qui fonde son assise électorale sur le soutien des milieux salariés, est au pouvoir. Son action est majoritairement soutenue par les Français, singulièrement parmi les salariés. Sa crédibilité sur le plan économique s’est renforcée au fil des mois, grâce notamment aux baisses successives enregistrés sur le front du chômage, préoccupation prioritaire des Français.
Depuis la dernière vague hivernale du baromètre de l’Observatoire du Monde du Travail, en février dernier, la succession d’indices économiques prometteurs annonçaient d’une nouvelle dynamique de confiance auprès des salariés. Cette référence du début 1998 avait, à ce titre, mis en évidence, une série d’améliorations tangibles dans la perception des salariés à l’égard de leur situation professionnelle. Réalisée dans la première quinzaine de juin, la septième édition du baromètre Ipsos ne confirme pas cette tendance. Les évolutions restent très modestes en niveau et concernent essentiellement, comme en février, les milieux aisés. La crainte pour l’emploi est en légère baisse : 77% des salariés ne craignent pas pour leur emploi, ils étaient 73% en février. Depuis la victoire de la gauche il y a un an et dans une conjoncture économique plus porteuse, ils qualifient désormais très majoritairement le discours de la direction de leur entreprise d’optimiste et la proportion de ceux qui décrivent une tendance à l’embauche progresse. Enfin les salariés se montrent plus sensibles qu’il y a trois mois aux effets positifs attendus de la loi sur les 35 heures, tant pour les entreprises que pour eux mêmes.
Au delà de ces quelques évolutions positives, tout semble se passer comme si le sentiment dominant d’inquiétude continuait à fabriquer des réactions d’anticipation négative de leur situation personnelle. Les femmes plus que les hommes, les " seniors " plus que les jeunes, les salariés employés et ouvriers une nouvelle fois, constituent les principaux noyaux où les réflexes de mécontentement perdurent. En neuf mois, l’inquiétude des femmes salariées a progressé d’une dizaine de points, rejoignant ainsi une tendance plus générale de préoccupation sociale enregistrée parmi les femmes dans d’autres enquêtes réalisées par Ipsos.
L’évolution des indicateurs chez les salariés de plus de 50 ans est elle aussi remarquable. En un an, les qualificatifs négatifs sont devenus majoritaires, en augmentation de près de 15 points.
A l’opposé, la spectaculaire amélioration du moral des jeunes salariés âgés de moins de 25 ans constitue la meilleure nouvelle de cette enquête. Cette génération d’actifs, moins marquée que ses aînés par la longue période de crise, semble avoir mieux entendu les multiples messages sur le retournement de conjoncture, notamment dans le domaine de l’emploi. Elle exprime en revanche plus nettement qu’en début d’année son scepticisme quant à l’impact des 35 heures sur les salaires. De ce point de vue cette catégorie exprime, comme d’autres, ses interrogations en matière de pouvoir d’achat.
Les anticipations négatives en matière de niveau de revenus, notamment dans le secteur privé, confirme bien cette spécificité aujourd’hui très française : les réflexes pessimistes des Français quant à l’évolution de leur niveau de vie continuent à rester vivaces. Au delà de ces indications relatives au moral, la préoccupation des salariés français relative au temps qu’ils consacrent à leur travail poursuit sa progression, lente et régulière. En deux ans, le débat sur le " temps " a surtout gagné du terrain dans la génération des 30-40 ans, dans le secteur des services et au sein des catégories de revenus les plus privilégiées. Il progresse aussi parmi les classes moyennes. Au delà du débat sur les 35 heures, cette tendance confirme que la transformation des rythmes de travail deviendra, à bien des égards, un débat de société majeur des années à venir.