Le règne animal
Vous menez régulièrement des études qualitatives dans le cadre d’innovations/rénovations de produits destinés aux animaux. Qu’observez-vous ?
Mare Navarro : ce qui est très caractéristique de ces groupes, c’est l’implication des gens. Lorsqu’en début de séance, par exemple, je leur demande de se présenter, la plupart d'entre eux sortent spontanément une photo de leur chat ou de leur chien. Ils se l’échangent, ils discutent. Sur des produits destinés aux enfants, il est rare de voir les parents échanger des photos de leur progéniture. Mieux : quand il faut juger de l’aspect ou la forme de croquettes, certains maîtres n’hésitent pas à y goûter. L’idée, c’est de dire : « Mon chien aimera ça ou pas. Moi, je suis capable de comprendre mon animal ; je connais ses goûts ». On ne sait plus très bien où la personne s’arrête et où l’animal commence. Il y a un phénomène de symbiose.
La relation maître-animal est-elle à ce point fusionnelle ?
MN : dans les groupes, j’entends souvent dire que l’animal de compagnie - le chat plus que le chien, d’ailleurs - dort dans le lit avec l’un des conjoints pendant que l’autre a le droit au canapé ! On avoue aussi souvent l’accepter à table. C’est entré dans les habitudes familiales. Le paradoxe, c’est que l’animal peut picorer dans l’assiette de l’enfant alors que l’on défendra à ce dernier d’avaler quelque chose tombé par terre. On a parlé de l’enfant roi. Là, c’est l’animal qui est au centre. Les membres de la famille qui ne seraient pas d’accord n’ont qu’à bien se tenir. Le sujet peut devenir sensible. Regardez cette campagne d’affichage réalisée récemment pour l'Observatoire International des Prisons (OIP), une association humanitaire qui milite pour le respect des droits des détenus. L’accroche disait : « Si ça peut vous aider à donner, dites-vous que cet homme est un chien ». La création est intéressante. Le fond du message est très bien mais pour ce qui concerne les millions de propriétaires d’animaux de compagnie, il y a de fortes chances que ce discours soit perçu comme culpabilisateur.
En temps de crise, l’animal de compagnie serait-il plus que jamais une valeur refuge ?
MN : si vous parlez de crise affective, oui. Ce qui s’installe de plus en plus, c’est la confiance avec l’animal. « Je suis déçu de mon entourage, tout s’écroule autour de moi : tout ce qu’il me reste, c’est mon animal de compagnie. Il est fidèle et notre relation est stable. » Il m’arrive assez souvent d’entendre les maîtres déclarer que c’est leur animal qui les a choisis et non le contraire. « C’est lui qui a décidé d’être mon ami… » C’est l’idée d’une amitié gratuite, d’un autre qui est venu vers moi sans contrepartie.
Finalement, il ne faut plus s’étonner de l’ouverture de restaurants pour chiens et chats ?
MN : il y a plusieurs années, nous avons testé le lancement d’un parfum pour chien au Japon. J’avais trouvé l’idée farfelue : aujourd’hui, c’est banal. Cela fait deux ou trois ans que les Américains ont inventé le Pet Fashion Week, le premier salon de la mode pour chiens et chats qui a lieu chaque année à New York. Au Etats-Unis toujours, des millions de chiens et de chats ont droit à une birthday party. Sur Internet, vous avez des sites comme toutoublog.com qui vous propose d’offrir un blog à votre chien !
Cela influence-t-il l’offre pet food ?
MN : en ce qui concerne la nourriture pour chat, notamment, l’offre devient extrêmement complexe avec des positionnements de territoires de marques qui se rapprochent de ceux de l’alimentation humaine. Dans ce marketing de plus en plus élaboré, il est fait une place croissante à la personnalité de l’animal. Il y a cette idée que j’achète la marque qui ressemble à mon chat. Les choses sont également en train de se repositionner au niveau des acteurs du marché. Les marques distributeurs sont de plus en plus présentes. Vous avez aussi des marques qui ne sont plus exclusivement dédiées à l’alimentation mais ont tendance à couvrir l’intégralité des besoins de l’animal de compagnie. Les territoires de marque sont en train de s’affirmer.
En matière de nourriture, y a-t-il un désir d’une alimentation plus naturelle ?
MN : la dernière étude que nous avons réalisée sur l’idée de naturalité dans la nourriture pour chat a montré que ce n’est pas quelque chose d’extrêmement ancré. La plupart des gens nous disent que la nourriture industrielle est mieux adaptée à leur animal de compagnie. Pour eux, elle est la mieux à même de combiner les bénéfices au niveau des minéraux, de la prévention des maladies, etc. Cela tient presque du médicament, avec cette idée que le naturel n’est pas assez fonctionnel pour remplir l’ensemble de ces rôles. Et puis, un chat risquerait de s’étouffer avec une sardine fraîche ! Les gens sont très clairs là-dessus : nourrir un chat de cette manière, c’est prendre un risque et c’est même dégoûtant. Au fond, le côté qu’ils n’aiment pas de leur chat ou de leur chien, c’est précisément le côté chien ou chat : par exemple, quand ce dernier ramène un oiseau ou une souris à la maison. D’un autre côté, les propriétaires d’animaux ont bien conscience que si le chat ne peut pas manger de l’herbe pour se purger, il faut lui donner un vermifuge. Ce qui est amusant, c’est que le packaging au contraire, doit exprimer une franche naturalité. Chassez le naturel, il revient au galop !