L’émergence du « Me Power »
« Nous sommes passés dans le luxe de l'ère de la marque « Suprématie » à l'ère du « Me-Power ». Ce n'est pas une perte de pouvoir de la marque sur son client, c'est une stratégie visant à mieux l'engager dans la relation avec la marque pour in fine, mieux le fidéliser ».
Valérie Chassé, Ipsos Insight
Face à ce nouveau contexte de remise en cause de l'autorité de la Marque par le consommateur, quelle attitude la marque doit-elle adopter?
L'ère post-moderne marque l'émergence d'un nouveau consommateur, plus éclairé, plus mature, qui prend sa vie en main ou en tout cas, qui pense en avoir la maîtrise. Les événements du 11 septembre ont d'ailleurs accéléré ce processus. Aujourd'hui, l'intérêt personnel est devenu une philosophie de vie. Le Moi n'a jamais été autant au centre. Cela impacte la relation entre la marque et le client. On assiste aujourd'hui à une inversion du rapport de pouvoir. La marque ne peut plus imposer ses diktats, elle se doit de composer avec un consommateur de plus en plus expert en consommation. Elle doit sans cesse réaffirmer auprès du consommateur son utilité, voire sa légitimité en se mettant réellement à son service… mais bien sûr, sans pour autant devenir servile.
L'ère de la marque suprême, celle qui impose ses diktats est révolue. Les marques ne peuvent plus être injonctives. Le « Just Do It » de Nike est dépassé. Nous sommes entrés dans l'ère du « Me-Power». Autrement dit, la marque se donne un nouveau rôle : un rôle de délégation de pouvoir au consommateur ; c'est lui qui décide de la relation qu'il veut avoir avec la marque, de son intensité, de sa fréquence.
Le « Me-Power », est-ce pour la marque une perte d'autorité ?
Non, pas à proprement parler. Car le talent des marques fortes réside dans le fait de savoir s'adresser à ce nouveau consommateur épris de liberté, d'individualité, voire d'infidélité… mais sans perdre le contrôle de la situation. La marque, dans le « Me-Power » ne perd pas son pouvoir sur le consommateur. En fait, elle nourrit son désir d'indépendance vis-à-vis d'elle, en lui donnant les outils de l'autonomie. Tout ceci dans le but final de mieux l'engager dans la relation avec la marque, pour in fine, le fidéliser.
La marque de Luxe doit-elle aussi entrer dans l'ère du « Me-Power »?
La marque de Luxe doit aller encore plus loin. Elle doit re-légitimer son pouvoir auprès du client, en lui donnant les preuves de son authenticité et de sa compétence. Mais pour que le client puisse être apte à évaluer la compétence de la marque, celle-ci se doit de le rendre compétent à son tour. Elle doit en faire un initié. Il suffit d'observer l'évolution des sites Internet des grandes marques de luxe qui axent une partie de leur contenu sur les preuves de leur authenticité et sur les rites d'utilisation des produits.
Et pourquoi, le Me ?
Face à un consommateur qui se veut de plus en plus au centre, les marques de Luxe doivent à leur tour devenir plus exclusives et plus uniques afin d'apporter à leurs clients de réels bénéfices d'« individuation » sociale et personnelle.
Comment cela se traduit-il concrètement ?
Cela se traduit par l'apparition de nouvelles formes de luxe qui mettent globalement l'accent sur les choix propres à l'individu et sur son style de vie. Le Luxe d'expérience par exemple, permet à chacun de vivre, tant dans sa sphère intime qu'extérieure, des moments intenses de luxe (équipement Home Cinéma, spas à domicile ou dans des lieux de prestige, lieux de vacances exclusifs, offres de services très haut de gamme…). Autre exemple, le Luxe du sur-mesure, de l'exemplaire unique, de l'adresse exclusive permet à chacun de se sentir considéré comme un initié.
Il s'agit globalement d'un luxe cocon, qui protège des tourbillons du monde extérieur.