Les électeurs de gauche entre désillusion, fractures et espoirs
À deux ans de la présidentielle, Ipsos, le Nouvel Obs et la Fondation Jean-Jaurès ont interrogé un groupe d'électeurs de gauche, sympathisants du Parti Socialiste, de la France Insoumise, et des Écologistes. Pendant trois heures, deux groupes soigneusement constitués pour coller au mieux à la diversité de l'électorat de gauche, ont "parlé politique". Une méthodologie qualitative inédite pour mieux comprendre leurs espoirs, leurs peurs… et leurs fractures.
Écouter la gauche pour mieux la comprendre

À l’approche de la présidentielle de 2027, Ipsos a conduit avec Le Nouvel Obs et la Fondation Jean-Jaurès une étude qualitative inédite. Deux groupes d’électeurs de gauche — l’un plutôt socialiste/écologiste, l’autre plutôt insoumis — ont été interrogés. L’objectif ? Donner la parole à ces Français souvent désabusés, mais toujours engagés.
« J’ai l’impression qu’il n’y a pas de gens de droite parmi nous », se réjouit Jacques, aide-soignant de 57 ans, en entamant les discussions. Un moment rare d’unité dans un tableau autrement plus contrasté.
Un moral en berne, même chez les progressistes
« Rien ne va ! » : le ton est donné dès les premières minutes d’échanges. Malgré leurs idéaux, les participants décrivent une France déclinante, violente, fracturée. « C’est le bordel généralisé », « On ne pèse plus dans le monde », s’inquiètent-ils. Le pessimisme domine, y compris sur des sujets censés rassembler : avenir climatique, immigration, santé publique ou éducation.
« C’était mieux avant », ose une électrice PS. Même l’espoir, pourtant ADN de la gauche, semble s’être évaporé. Les peurs sont multiples : « retour des privilèges », à la « montée de l'extrême droite » et au « racisme », selon les sympathisants LFI. « La France reste une terre d’accueil », nuance un participant, « l’élévation sociale y est plus difficile qu’ailleurs ».
Jamais la gauche ne m’est apparue aussi plombée. Même en 1993, quand elle était au plus bas électoralement, usée par l'exercice du pouvoir et minée par le mitterrandisme déliquescent, les électeurs conservaient des espérances"
Brice Teinturier
Directeur général délégué, Ipsos en France
Une défiance politique généralisée
La défiance envers le pouvoir est omniprésente. Les électeurs insoumis ont le sentiment que « les Français ne sont pas écoutés », que les médias « désinforment » même si « on est quand même en démocratie relative ». Et surtout un président Macron qui cristallise la colère. « Il a cassé le vieux système gauche-droite, il a pensé qu'il allait révolutionner le pays mais il ne connaissait pas la France », tranche un sympathisant PS.
Si des valeurs communes comme « l'humanisme », « le progrès », « le partage des richesses », « l'écologie » ou encore « la défense des minorités » sont revendiquées, les divergences idéologiques restent profondes. Les électeurs insoumis se présentent comme les défenseurs de « la vraie gauche », tandis que les sympathisants socialistes s’inquiètent de la « violence » du discours LFI.
Deux gauches, deux visions
La fracture se cristallise autour de deux pôles :
- LFI : perçue comme affirmée et clairement identifiée
- PS : jugé flou, parfois inaudible.
« La France Insoumise est une puissance d’affirmation, le Parti Socialiste ne dit plus rien »
Brice Teinturier
Directeur général délégué, Ipsos en France
Côté LFI, on défend un programme offensif contre les inégalités : « Il faut prendre l’argent où il est », clame une électrice. Un autre va jusqu’à dire : « On peut être riche à partir de 2 500 euros par mois ».
En face, les socialistes accusent les insoumis de « mauvais égalitarisme », voire d’utopie politique. Et les points de tension ne manquent pas : immigration, rapport à la laïcité, fiscalité, Europe…
Mélenchon, figure centrale… et controversée
Jean-Luc Mélenchon reste omniprésent dans les débats. S’il est reconnu pour sa combativité et comme étant un leader avec des qualités de tribun, il divise fortement. « Mélenchon, qui était très bien, est devenu toxique », confie un sympathisant LFI. Un autre tranche : « Si on veut un rassembleur, c’est pas lui ».
Même parmi ses partisans, l’inquiétude monte. Beaucoup estiment qu’il entrave désormais toute union de la gauche. Pourtant, tous anticipent sa candidature en 2027 — sans réel espoir de victoire.
Qui pour incarner l’avenir ?
Aucun visage ne parvient véritablement à incarner la gauche « J'ai envie de quelqu'un qui me donne envie, qui que ce soit », avance un participant.
Olivier Faure est jugé peu charismatique. François Hollande ? « Il a tué la gauche », selon les insoumis. Raphaël Glucksmann séduit, mais paraît trop éloigné du quotidien. « J’ai peur que les petites gens ne puissent pas s’identifier à lui », glisse un électeur PS.
François Ruffin, Clémentine Autain, voire Fabien Roussel sont cités. Mais la surprise vient de Marine Tondelier, cheffe des Écologistes, saluée pour « son cran », « sa spontanéité » et le fait qu’« elle n’a pas peur de Mélenchon ». Elle incarne peut-être le trait d’union que beaucoup attendent, même si « un pays, ce n’est pas que de l’écologie », tempère un panéliste.
Une union toujours possible ?
L’union de la gauche semble à la fois une nécessité et une impasse. La peur d’un second tour Le Pen ou Bardella en 2027 nourrit le besoin de rassemblement. Mais les tensions idéologiques, les fractures culturelles et la question du leadership rendent cette union difficile. « On y a cru avec le NFP, rappelle une électrice LFI. Il y a eu un espoir, et puis chacun est rentré à sa boutique. »
La construction des “gauches irréconciliables” est plus affaire de feuilleton politique que d'obstacles militants. Après tout, l'univers sémantique et les évocations spontanées des groupes ne font que nous rappeler à l'histoire même de la gauche française, qui s'est toujours écrite au pluriel.
Dorien Dreuil
Expert à la Fondation Jean -Jaurès
Quand on demande aux panélistes de l’étude à quoi ressemble la gauche aujourd’hui, leur imagination est aussi vive que leur sévérité.
Dans le bestiaire symbolique, la gauche serait « un paresseux », « une marmotte » ou « une écrevisse qui marche à reculons »
Côté objets, l’inventivité ne manque pas non plus. « Un iPhone de 2008 qu'on a du mal à lancer » – dépassé, lent, obsolète. « Un pouf » – moelleux, certes, mais un peu trop propice à la sieste.
Si la gauche était un film ? Pour beaucoup, ce serait « Anatomie d’une chute ». Une enquête un peu trouble, où il est difficile de savoir qui est responsable de quoi.
Les socialistes, de leur côté, ne sont pas épargnés. L’animal qui les incarne ? « Un ours en hibernation ». Les objets ? « Une cruche », « un pot de fleurs », ou « un miroir dans lequel on se regarde trop ». Leur film ? « Titanic », le naufrage avec orchestre.
Les insoumis, à l’inverse, gardent une image plus combative. On les associe à des carnivores : « un guépard », « un chacal », « une hyène ». Leur arsenal symbolique fait lui aussi dans la radicalité : « une fourche », « une machette », ou « un haut-parleur ».
Quant aux écolos, les représentations oscillent entre agilité, opportunisme et mollesse tranquille : « un chat », « un coucou qui fait son nid dans celui des autres », ou « un animal qui mange des feuilles toute la journée ».
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A propos de cette enquête
Deux focus groupes de 3 heures réalisés en présentiel les 26 et 27 mai 2025 :
- Groupe 1 (8 participants) : Sympathisants PS et EELV proches du PS vs. LFI / Catégories moyennes supérieures ; de 25 à 70 ans
- Groupe 2 (9 participants) : Sympathisants LFI et EELV proches de LFI vs. le PS / Catégories moyennes ; de 25 à 70 ans
Avec dans chaque groupe :
- Moitié femmes / hommes
- Diversité de statut d’activité (actifs/inactifs)
- Mix salariés du privé / salariés du public
- Diversité du lieu de résidence (Paris Intra-muros vs. banlieue)
- Diversité des situations familiales (présence et nombre d’enfants)