Les réformes en France - 8ème vague de l’Observatoire Social de l’Entreprise

L’Observatoire Social de l’Entreprise, réalisé par Ipsos et le CESI en partenariat avec Le Figaro, permet de faire régulièrement le point sur le moral des chefs d’entreprise et des salariés du secteur privé mais aussi d’approfondir un thème en lien avec la vie de leur entreprise. La huitième vague de cet observatoire est consacrée au thème des réformes : quelle est la réaction des chefs d’entreprise et des salariés quand on évoque le thème de la réforme dans le domaine du travail ? La souhaitent-ils ? Approuvent-ils les mesures d’ores-et-déjà mises en place ou qui pourraient l’être à l’avenir ? Jusqu’où sont-ils prêts à aller ? 

Auteur(s)
  • Etienne Mercier Directeur Opinion et Santé - Public Affairs
  • Amandine Lama Directrice de Clientèle, Département Politique et Opinion, Public Affairs
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VOLET BAROMETRIQUE : LE MORAL DES CHEFS D’ENTREPRISE EST EN BAISSE. DE SOMBRES PERSPECTIVES D’AVENIR.

Les chefs d’entreprise se montrent particulièrement pessimistes sur les salaires et les possibilités d’embauche

Alors qu’ils étaient un peu moins négatifs lors des deux précédentes vagues, les chefs d’entreprise s’illustrent en ce début d’année 2015 par un fort pessimisme dans de nombreux domaines.

Seuls 32% se disent confiants pour les six mois à venir en ce qui concerne le développement économique de leur entreprise (-11 points par rapport à l’an dernier). Ils sont encore moins optimistes quand il s’agit de se prononcer sur la possibilité d’augmenter les salaires de leurs employés (23% ; -3) ou d’embaucher de nouvelles recrues (12% ; -14). Si la question des rémunérations a toujours suscité des réactions pessimistes de leur part, les évolutions à la baisse sont particulièrement marquées au sujet de leur croissance ou de leur capacité à recruter : jamais leur confiance n’avait été aussi limitée sur ces sujets depuis 2009.

Cette situation leur semble suffisamment critique pour redouter des effets négatifs sur le niveau de stress de leurs salariés : sur ce point également, on observe une baisse de 10 points par rapport à l’an dernier, avec un retour aux scores obtenus par le passé sur cet indicateur (58% de confiance). En définitive, seule la question du maintien de l’emploi dans leur entité suscite une confiance majoritaire (68%), sans évolution depuis 2014.

Dès lors, quand on leur demande de se prononcer sur l’avenir de leur entreprise dans les six mois à venir, seuls 14% pensent qu’elle sera en croissance (-4 points par rapport à 2014), quand 28% anticipent une baisse de leur activité. La majorité (51%) table toujours sur une stagnation.

Ce pessimisme fait écho à une perception également plus négative de leur part de la situation actuelle, notamment en ce qui concerne l’adhésion des salariés aux grandes orientations de l’entreprise (68% ; -4), les rémunérations (63% ; -5) et l’emploi (52% ; -11).  Si les résultats sont encore majoritairement positifs (ils se prononcent sur la qualité de la situation dans leur entreprise), ils sont en baisse et atteignent sur ces trois indicateurs leur plus bas niveau depuis 2011. 

Les salariés se montrent moins alarmistes que leurs dirigeants, mais eux aussi sont gagnés par un regain de pessimisme

Les salariés dressent un tableau moins sombre de l’avenir que leurs dirigeants. On observe néanmoins chez eux également une tendance à la baisse des résultats. S’ils ne se sentent globalement pas menacés dans leur emploi (76% restent confiants sur le sujet), ils sont en revanche plus circonspects quand il s’agit de se prononcer sur le développement économique de leur entreprise (52% se disent confiants ; -5 points par rapport à l’an passé) et ils se montrent franchement pessimistes sur la capacité de cette dernière à embaucher (31% ; -7) ou à augmenter les salaires (24% ; +1).

Sur ce dernier sujet, la perception de la situation actuelle de leur entreprise est toujours jugée majoritairement mauvaise (55%). Ils sont par ailleurs nettement moins enthousiastes que leurs patrons quand il s’agit de se prononcer sur le climat social en général (56% estiment que la situation de leur entreprise est plutôt bonne dans ce domaine, contre 81% des dirigeants), la charge de travail (56% contre 76%) ou l’adhésion des salariés aux grandes orientations de l’entité (51% contre 68%).

Une crise qui dure, une résignation qui s’installe

Si les salariés demeurent moins alarmistes que les chefs d’entreprise, ils font en revanche le même constat à propos de la situation du pays et pensent comme ces derniers que l’on ne peut plus considérer que la France est simplement « en crise ». Pour beaucoup, on assiste aujourd’hui à un véritable changement de paradigme qui vient bouleverser toutes les projections et toutes les certitudes quant à l’avenir.

Ainsi, lors des précédentes éditions de cet observatoire, on leur demandait de dire à quel moment ils envisageaient une reprise économique pour la France. D’année en année, les interviewés ne cessaient de repousser cet instant. Aujourd’hui, la question leur a été posée plus directement et les résultats sont sans appel : pour une majorité de chefs d’entreprise (56%) et de salariés (50%), la France ne connaît pas une crise passagère dont elle pourrait sortir, mais bel et bien une transformation durable des choses. Une reprise dans les mois qui viennent n’est envisagée que par 7% des premiers et 6% des seconds, les moins pessimistes tablant sur une reprise « dans plus longtemps » (respectivement 32% et 44%).

Ces résultats montrent bien le changement qui est en train de s’opérer dans l’état d’esprit des interviewés. Les réponses sont encore plus tranchées chez les chefs d’entreprise travaillant dans le secteur de l’industrie (69% considèrent qu’on ne peut plus parler de crise mais bien de transformation durable). Les ouvriers (54%) et les salariés de moins de 30 ans (54%) en sont également davantage convaincus que la moyenne.

Dès lors, les salariés expriment des inquiétudes quelque peu différentes par rapport aux précédentes années : si leur niveau de salaire (28%) reste leur principale préoccupation, elle est en retrait par rapport à l’an dernier (-4 points) et se rapproche de la question du maintien de l’emploi (27% ; -1), un sujet particulièrement critique pour les ouvriers (36%). Mais l’évolution la plus frappante est à chercher ailleurs : aujourd’hui, de plus en plus de salariés s’inquiètent de leurs conditions de travail (18% ; +3 depuis 2014, +5 depuis 2013), à un niveau jamais observé depuis 2009. Il est probable que pour nombre d’entre eux, il n’y a plus guère à espérer en termes d’évolution salariale. Le contexte étant par ailleurs beaucoup plus tendu qu’auparavant (les recrutements se font rares, la menace d’un plan social n’est jamais loin…), les salariés voient leurs conditions de travail considérablement se dégrader au point de devenir un réel sujet de préoccupation.

On pourrait penser qu’un tel état d’esprit pourrait conduire à une révolte sociale plus forte, mais il n’en est pourtant rien. Le potentiel de participation à un mouvement social ne connaît aucune évolution significative depuis plusieurs années : si ce type de mouvement se développait dans leur entreprise, seuls 52% des salariés auraient envie d’y participer (-1 point depuis 2014), dont seulement 15% qui le feraient de manière certaine. Si les cadres sont logiquement moins enclins à participer à ce type de manifestation (42%), les ouvriers ne se montrent pas massivement mobilisés (58%).

Les salariés semblent en fait de plus en plus résignés et fatalistes face à une crise qu’ils jugent inédite par son ampleur et sa durée.

Dès lors, comment appréhendent-ils la notion de réforme ? Leur paraît-elle indispensable ? Jusqu’où sont-ils prêts à aller ?

VOLET THEMATIQUE : UNE VOLONTE CLAIREMENT AFFICHEE DE REFORMER, MAIS DES CONSEQUENCES QUI FONT PEUR ET EXPLIQUENT CERTAINS FREINS

Un souhait de réforme apparemment massif

La réforme apparaît aujourd’hui pour de nombreux interviewés comme une véritable nécessité qu’il est difficile de remettre en question. Plus surprenant, c’est une réelle rupture avec la situation actuelle qui semble être souhaitée. Ainsi, 67% des chefs d’entreprise estiment qu’il vaudrait mieux réformer en profondeur les règles qui régissent le monde du travail (code du travail, charges, financement des retraites et de la protection sociale…) plutôt que de procéder à de simples aménagements pour ne pas risquer de blocage social (29%). Un point de vue partagé également par une majorité de salariés (53%), même s’ils sont plus nombreux (39%) à souhaiter qu’on règle les problèmes les plus urgents sans faire complètement « table rase » de l’existant. Quasiment personne (2% des dirigeants et 8% des salariés) ne pense que le statut quo serait une bonne solution.

Par ailleurs, entre le chômage et la sécurité de l’emploi, les salariés semblent avoir fait leur choix : les deux tiers privilégient un système dans lequel le nombre de chômeurs est faible, quitte à ce que la sécurité de l’emploi soit limitée, tandis qu’ils ne sont que 34% à préférer un système où certes, la proportion de chômeurs est plus élevée, mais où les garanties sont plus importantes pour ceux qui ont un emploi. Cette deuxième option, qui ne séduit qu’un salarié sur trois, est pourtant le système qui prévaut en France, quand on le compare notamment aux pays anglo-saxons. Il est probable que dans un contexte de fort chômage, toute solution qui permettrait de le réduire leur apparait préférable a priori.

Ces résultats signifient-ils que l’on assiste à une véritable évolution des mentalités et que la France serait loin d’être un pays aussi irréformable qu’on ne le dit ?

Rien n’est moins sûr, car les interviewés expriment dans le même temps de nombreuses réticences vis-à-vis des réformes, qui s’expliquent probablement par le sentiment largement répandu – et qui participe de leur fatalisme – que ces dernières seront forcément douloureuses et/ou inefficaces.

De réelles craintes associées aux réformes

Ainsi, les salariés se montrent très partagés quand il s’agit de faire le calcul « coût/bénéfice » d’une réforme. La moitié estime qu’on a plus à y gagner qu’à y perdre (53%), notamment chez les cadres (73%) et les personnes exerçant une profession intermédiaire (66%), mais l’autre moitié estime à l’inverse qu’il y a beaucoup plus à perdre qu’à gagner à réformer (47%), notamment chez les ouvriers (64%).

La réforme est donc loin d’être perçue comme étant par essence positive. D’ailleurs, quand ils entendent parler des réformes économiques et sociales destinées à faciliter la sortie de crise, ce sont essentiellement des sentiments négatifs qui émergent. L’inquiétude domine largement (50%) et la colère (18%) est le deuxième sentiment exprimé. L’espoir (15%) et la satisfaction (4%) sont nettement moins cités, tandis que 13% ressentent de l’indifférence.

Les interviewés ont également le sentiment que les réformes ne sont pas toujours appropriées ou efficaces. Ainsi, la perception d’un « trop plein de réformes » est réelle dans l’opinion (37% des dirigeants et 25% des salariés), même si la moitié d’entre eux (respectivement 51% et 49%) considèrent qu’il n’y en a pas eu assez ces dernières années. Il est probable qu’un certain scepticisme sur l’efficacité des réformes déployées jusqu’à présent existe. C’est d’ailleurs ce qu’expriment les chefs d’entreprise, pour qui les mesures de simplification administrative (51%), la lutte contre l’allongement des délais de paiement (55%), la réforme de la formation professionnelle (60%) et le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (56%) n’ont majoritairement pas eu d’impact sur leur entreprise. Notons tout de même que pour deux tiers des dirigeants d’entreprises de plus de 500 salariés, le CICE a eu un impact positif pour leur entité. 

Certains sujets ne sont plus tabous

Quelles pourraient donc être les réformes qui auraient un réel impact sur les entreprises en France ? Certaines pistes polémiques évoquées depuis années sont-elles rejetées en bloc ?

Certains sujets semblent susciter une opposition massive. La suppression du SMIC serait ainsi une mauvaise chose aussi bien pour les salariés (77%) que pour les dirigeants (54%). Si ces derniers sont moins catégoriques, c’est parce qu’ils jugent davantage que ce ne serait ni une bonne ni une mauvaise chose pour leur entreprise. Seuls 19% y voient quelque chose de positif (15% des salariés).

Le recul de l’âge de la retraite ne suscite guère d’enthousiasme non plus : solution massivement rejetée par les salariés (70%), qui ont déjà connu plusieurs réformes sur le sujet, elle n’est pas non plus approuvée par une majorité de chefs d’entreprise (29%), probablement car ces derniers ont déjà du mal à garder les séniors en poste jusqu’à 60 ans…

Le développement du travail le dimanche suscite des réactions contrastées : option approuvée par une majorité de salariés (52%) et par près de la moitié de ceux potentiellement concernés car exerçant dans le secteur du commerce (46%), elle suscite en revanche davantage d’indifférence chez les chefs d’entreprise, qui ne sont guère concernés pour la plupart. Notons que les entrepreneurs exerçant dans le secteur du commerce sont très partagés : 39% pensent que ce serait une bonne chose, 37% une mauvaise chose. L’opposition est par ailleurs plus marquée dans les petites entreprises de moins de 10 salariés que dans les entreprises de taille supérieure.

En revanche, deux réformes potentielles pourtant très polémiques ne génèrent pas de franche opposition des salariés.

La mise en place d’un contrat unique suscite logiquement l’approbation d’une large majorité de chefs d’entreprise (60%) - même si 27% ne voient guère quel pourrait être l’impact dans leur entreprise - et est loin de soulever une levée de boucliers de la part des salariés. Si ces derniers estiment davantage qu’il s’agirait d’une mauvaise chose que d’une bonne chose, on notera tout de même qu’ils sont 39% à considérer que cela pourrait être un élément positif, notamment chez les cadres (50%).

Enfin, la fin des 35 heures est souhaitée par la très grande majorité des dirigeants, qui estiment à 75% que cela représenterait une bonne chose pour leur entreprise, mais cette opinion est également partagée par près d’un salarié sur deux (44%), soit la même proportion ou presque que ceux déclarant qu’il s’agirait d’une mauvaise chose (46%). Les salariés sont donc très divisés sur le sujet, sans que cela ne soit réellement lié à leur statut : les réponses des cadres sont proches de celles des ouvriers. Le clivage est certainement plus politique que social sur ce sujet.

Qu’il s’agisse du contrat unique ou des 35 heures, les salariés sont donc moins hostiles à une réforme qu’on ne le dit parfois. D’ailleurs, une proportion non négligeable d’entre eux se dit prête en cas de difficultés rencontrées par leur employeur à renoncer à 3 ou 4 jours de congé dans l’année (47%) et à accepter une augmentation de leur temps de travail pour le même salaire (39%). S’ils se montrent beaucoup plus hostiles à toute mesure visant à réduire leur salaire (73% en ce qui concerne une baisse de leur temps de travail pour un salaire moindre et 87% en ce qui concerne une baisse de 10% de leur rémunération), ils sont en revanche plus disposés à discuter d’un éventuel allongement de leur temps de travail. Notons toutefois que ce sont surtout les cadres qui s’y disent prêts, tandis que les ouvriers désapprouvent majoritairement une telle option.

Les résultats de cette étude révèlent donc l’ambivalence dont font preuve les acteurs du monde du travail, à la fois très enclins à réformer et en même temps très inquiets des modalités concrètes des réformes qui seraient amenées à être en place. 

Auteur(s)
  • Etienne Mercier Directeur Opinion et Santé - Public Affairs
  • Amandine Lama Directrice de Clientèle, Département Politique et Opinion, Public Affairs

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