Observatoire Français des retraites
Une semaine après l’accord de principe entre le patronat et trois syndicats de salariés (CFDT, CFE-CGC, CFTC) sur les retraites complémentaires Agirc et Arrco, Ipsos / Sopra Steria et l’UMR ont souhaité, en partenariat avec Liaisons Sociales Magazine, prendre à nouveau la température de l’opinion sur le sujet des retraites, et notamment sur les mesures contenues dans cet accord.
Comment les Français envisagent-ils leurs conditions de vie lors de leur retraite ? L’actualité a-t-elle eu un impact sur la manière dont ils anticipent l’avenir ? Comment jugent-ils le contenu de l’accord sur les retraites complémentaires ? Quelles sont les mesures qu’ils jugent acceptables et celles qu’ils considèrent inacceptables ? Qui doit selon eux supporter les efforts permettant d’assurer la pérennité du système ? Les retraités devraient-ils selon eux être davantage mis à contribution ? Et qu’en pensent ces derniers ? Sont-ils prêts à un effort financier ?
L’INQUIÉTUDE À L’ÉGARD DES CONDITIONS DE VIE AU MOMENT DE LA RETRAITE RESTE IMPORTANTE MAIS CONNAÎT UN FORT RECUL
Au lendemain de l’accord de principe sur les retraites complémentaires (validé depuis), la confiance des Français dans leurs conditions de vie lors de leur retraite est en forte hausse : 59% des Français se disent désormais confiants en ce qui concerne leur santé et leur accès aux soins à ce moment de leur vie (+15 points par rapport à octobre 2014) et 59% également concernant leur capacité à vivre de façon indépendante (+16 points). En ce qui concerne les conditions matérielles de vie, la confiance reste minoritaire mais augmente fortement, qu’il s’agisse d’envisager son futur niveau de vie (43% ; +13) ou le montant de sa retraite (29% ; +9).
Cette hausse de la confiance s’explique en grande partie par l’accord sur les complémentaires retraites qui est intervenu juste avant la réalisation du terrain d’enquête, et a été présenté comme une bonne surprise permettant probablement aux yeux de beaucoup de sauvegarder le système, même si les Français sont peu au fait du détail des mesures qu’il contient.
Ce regain de confiance est particulièrement fort chez les retraités, largement épargnés par l’accord et qui ont vraisemblablement été rassurés quant à l’avenir du niveau de leur pension. Ils sont ainsi 67% (+27 points par rapport à il y a un an) à se dire confiants à l’égard de leur niveau de vie et 54% (+18 points) à l’égard du montant de leur retraite.
L’inquiétude reste en revanche beaucoup plus forte chez les actifs occupés : 79% sont préoccupés par le montant de leur future retraite et 67% par leur niveau de vie lorsqu’ils auront arrêté de travailler.
Les femmes restent également majoritairement inquiètes sur leurs conditions de vie matérielles au moment de leur retraite (69% inquiètes sur le montant de leur retraite et 59% sur leur niveau de vie à ce moment), mais le différentiel de confiance avec les hommes s’atténue.
SI L’ACCORD A EU UN EFFET POSITIF SUR LA CONFIANCE DES FRANÇAIS, NOMBRE DES MESURES QU’IL CONTIENT SONT JUGÉES INACCEPTABLES
Si l’aspect inattendu de la conclusion de l’accord de principe sur les retraites complémentaires a été souligné dans la presse et présenté comme un succès pour l’exécutif, les Français semblent avoir peu entendu parler du détail des mesures contenues dans cet accord.
Quand elles leur sont présentées, beaucoup sont jugées inacceptables, en tête desquelles le recul de l’âge auquel on peut toucher sa retraite complémentaire à taux plein de 62 ans à 63 ans : 62% des salariés du privé jugent un tel recul inacceptable. C’est particulièrement le cas des femmes (67% y sont opposées contre 58% des hommes) dont les carrières sont en général plus courtes et hachées que celles des hommes. Cette mesure apparaît également davantage inacceptable pour les catégories socioprofessionnelles modestes, plus souvent concernées par des métiers pénibles (69% des employés jugent ce recul inadmissible, tout comme 64% des ouvriers). Les cadres supérieurs sont quant à eux une majorité à considérer ce décalage acceptable (55%).
La désindexation des pensions par rapport à l’inflation pendant 3 ans est également jugée inacceptable par une majorité de salariés du privé (53%), et notamment par les femmes (57%) dont les pensions sont en moyenne plus faibles que celles des hommes.
L’augmentation du prix d’achat du point pendant 3 ans pour les futurs retraités est également rejetée une majorité de salariés du privé (51%), toujours davantage encore par les femmes (57%) et les CSP modestes (65% des employés), mais aussi par les salariés les plus concernés (57% des 45-59 ans).
Le décalage de la date de revalorisation des pensions d’avril à novembre divise, avec 43% des salariés du privé qui jugent la mesure acceptable, contre 42% inacceptable et 15% qui ne se prononcent pas, sans doute car la mesure apparaît technique. La mesure est néanmoins rejetée par une majorité d’ouvriers (50% contre 36% qui la jugent acceptable).
La mise en place d’un système de bonus-malus, avec une décote pour ceux qui souhaitent toucher leur retraite complémentaire avant 63 ans et une surcote pour ceux qui partent plus tard, est davantage acceptée, sans doute car on perçoit un gain potentiel, et un possible départ à la carte : 53% jugent cette disposition acceptable, contre 43% qui l’estiment inacceptable. Les plus favorables à la mesure sont les hommes (57% contre 48% des femmes), les moins de 35 ans (67%) ou encore les cadres supérieurs (64%), mais aussi les ouvriers (57%) qui entrevoient sans doute une possibilité de majorer leur pension.
Enfin, sans surprise l’exemption de décote pour les retraités les plus modestes (qui pourront donc toucher leur retraite complémentaire à taux plein avant 63 ans s’ils ont cotisé suffisamment) est bien accueillie par une large majorité de salariés du privé (86% jugent la mesure acceptable contre seulement 9% inacceptable).
UN ACCORD AUQUEL UNE MAJORITÉ DE SALARIÉS DU PRIVÉ SONT PRÊTS À SE RÉSOUDRE NÉANMOINS, MÊME SI CERTAINES CATÉGORIES LE REGRETTENT, NOTAMMENT LES FEMMES ET LES CSP MODESTES
Une fois l’ensemble des mesures contenues dans l’accord rappelées, les salariés du privé sont 56% à juger au global ce projet acceptable, contre 35% qui le considèrent inacceptable, et 9% qui ne se prononcent pas.
L’acceptabilité de l’accord varie fortement en fonction du profil des salariés : si 62% des hommes sont prêts à s’y résoudre, c’est seulement le cas de 46% des femmes, pour les raisons évoquées précédemment. Les cadres supérieurs sont aussi plus nombreux à l’accepter (68% contre 51% des ouvriers et 48% des employés). Enfin, bien que l’accord soit présenté comme une victoire pour l’exécutif, il est jugé davantage acceptable par les sympathisants de droite (77%) que par ceux de gauche (50%).
Notons enfin que ce sont sans surprise les 45-59 ans qui se montrent les plus hostiles à cet accord (51% le jugent inacceptable dont 21% « tout à fait inacceptable »). Ce sont eux qui vont subir les conséquences les plus immédiates et qui voient s’éloigner la possibilité de toucher leur retraite complémentaire à taux plein.
Or si le projet prévoie que pour toucher sa retraite complémentaire sans décote, il faut avoir atteint l’âge de 63 ans, les actifs considèrent en moyenne qu’ils pourront rester en activité dans de bonnes conditions pour eux et pour leur employeur jusqu’à l’âge de 61 ans et 4 mois. Seuls 33% pensent qu’ils pourront attendre 63 ans ou plus, âge nécessaire désormais pour toucher sa retraite complémentaire à taux plein. Cet âge moyen varie en fonction de la catégorie socioprofessionnelle de l’interviewé, ce qui explique des niveaux d’acceptabilité différents de la mesure : les cadres supérieurs pensent pouvoir travailler dans de bonnes conditions jusqu’à l’âge de 62 ans et 7 mois en moyenne, contre 61 ans et 4 mois pour les professions intermédiaires, 60 ans et 8 mois pour les employés et 59 ans et 11 mois pour les ouvriers.
DES EFFORTS QUI DOIVENT SELON UNE MAJORITÉ DE FRANÇAIS ÊTRE RÉALISÉS PAR TOUS, Y COMPRIS PAR LES RETRAITÉS
Alors que le projet d’accord sur les retraites complémentaires réclame avant tout des sacrifices aux salariés du privé, les Français sont une majorité à considérer qu’il faut que tous participent pour assurer la pérennité du système de retraite (65%). Ils sont une minorité à réclamer avant tout un effort d’une catégorie spécifique, comme les fonctionnaires (15% souhaiteraient qu’on leur demande des efforts en priorité ; 22% des salariés du privé) ou les entreprises (12% ; 18% des fonctionnaires et seulement 11% des salariés du privé). Seuls 2% désignent en priorité les salariés du privé (2% des fonctionnaires) et 1% les retraités.
Si seulement 1% des Français considère qu’il faut en priorité demander une contribution aux retraités, 57% considèrent néanmoins qu’il faut leur demander un effort financier.
Parmi les 57% de Français qui considèrent que les retraités devraient contribuer aux efforts demandés, seulement 5% jugent que tous doivent le faire, une majorité considérant que seuls ceux dépassant un certain niveau de pension doivent faire un effort (52%). Selon ces derniers, c’est à partir de 3178€ en moyenne de pension par mois et par ménage qu’il est envisageable de demander aux retraités de faire un effort.
Mais si les retraités eux aussi considèrent majoritairement qu’il faut leur demander de faire un effort pour assurer l’avenir du système de retraite (63% des retraités le pensent), seulement 39% sont eux-mêmes disposés à le faire. C’est à peine plus pour les retraités dont le revenu mensuel net du foyer est supérieur ou égal à 3000€ (45%), le clivage sur ce sujet étant avant tout politique : 56% des retraités qui se sentent proches de la gauche se disent prêts à le faire, contre 37% de ceux qui sont proches de la droite.
Enfin, notons que leur opposition sur ce sujet est radicale : parmi les 60% de retraités qui ne sont pas prêts personnellement à mettre la main à la poche pour assurer l’avenir du système, 40% n’y sont pas disposés « du tout ».
Fiche technique :
14ème édition de l’Observatoire français des retraites, réalisée les 23 et 24 octobre 2015 auprès d’un échantillon national représentatif de 1008 Français âgés de 15 ans et plus.