Produits premium : la prime à la classe

Le consommateur inquiet pour son avenir et son pouvoir d’achat, se montre soucieux d’arbitrer ses dépenses. Il affiche aussi son besoin de compenser, de rompre l’ordinaire. Grâce au premium  pourquoi pas ? Les marques, si elles s’inscrivent dans cette tendance, cherchent avant tout à le faire avec pertinence et en cultivant leur différence, comme nous l’explique Karen Gombault, Directeur Général Ipsos Marketing CPG.

Dans un contexte économique dégradé, même si les signaux de reprise sont là, de nouveaux arbitrages se font en faveur du premium. Cela vous surprend-t-il ?

Karen Gombault : Non dans la mesure où on ne peut pas vivre éternellement sur la restriction, supporter la pression sans jamais la relâcher. Cela correspond à des cycles de détente tels que nous en observons aujourd’hui, où clairement les consommateurs veulent se faire plaisir. C’est un peu le principe de  l’élastique qui se tend et se détend. Le premium exprime, entre autres, ce besoin de compenser le poids de la crise, d’éloigner le spectre de la fracture sociale, la peur de l’avenir.

Également celui de se distinguer ?

K.G. : Le besoin de distinction, la quête ostentatoire, existe aussi bien sûr. Nos études montrent de manière constante, l’existence d’une population qui cherche ainsi à se valoriser à travers le produit acheté. Ce sont des segments où les gens sont très nettement poussés par l’image. Ce n’est pas uniquement vrai des ménages aisés. Cela se vérifie aussi parmi les consommateurs qui ont un pouvoir d’achat réduit voire extrêmement limité. Souvent d’ailleurs, je remarque que ce sont les hommes qui sont prêts à dépenser le plus pour un produit qui va les mettre en valeur.

Nous situons-nous pour autant uniquement dans des registres de plaisir et d’image ?

K.G. : Pour les produits premium, vous avez des populations qui dès lors qu’elles trouvent un bénéfice ressenti, une vraie pertinence dans le produit, sont prêtes à mettre le prix. C’est surtout vrai des marchés où existe une forte culture technologique, et moins de l’univers de la grande consommation. C’est typiquement ce qui arrive avec l’iPad 2 lancé en mars dernier, qui est en rupture de stock. Les gens avaient déjà aimé l’iPad1 ils savent que le suivant leur apporte un vrai bénéfice, en termes de puissance, de fonctionnalités. Ils en ont envie et « passent à l’acte ». Même succès pour les cafés en dosettes qui continuent de très bien marcher y compris avec le développement de l’offre « me-too ». On a là aussi une rupture technologique avec un vrai bénéfice, une pertinence, couplé aux besoins de compensation et de distinction.

Le développement d’une offre premium n’est-il pas le moyen pour la marque de se valoriser elle aussi, à l’instar du consommateur ?

K.G. : Les marques ont d’abord la volonté de s’ouvrir de nouveaux marchés. C’est ce que fait Nestlé en lançant le système de capsules de lait infantile BabyNes. On est clairement dans l’innovation de rupture, le bénéfice consommateur, la pertinence. Il y a là un vrai enjeu de protection de la valeur pour les marques. Depuis plusieurs années, elles ont surtout travaillé la promo ou les extensions de gamme. Ce sont des actions le plus souvent tactiques visant à répondre à une situation de crise. Mais ce n’est en aucun cas une stratégie de long terme. Les marchés ont tellement été secoués ces derniers temps, tant de choses ont évolué, qu’il y a un vrai besoin de comprendre pour remettre le consommateur dans son « nouveau » contexte. Nous le ressentons très fortement dans les études que nous menons. Quelles sont les attitudes des clients maintenant ? Qu’est-ce qui a changé ? Il faut décrypter les usages et besoins en profondeur dans la mesure où l’un des enjeux pour les industriels sur le long terme, c’est de générer cette pertinence, de créer cette différence, qui va leur permettre d’ajouter de la qualité et de la valeur dans leur offre.

Croyez-vous à la premiumisation du hard discount ?

K.G. : Au-delà de redorer un packaging, d’agrémenter les rayons, je vois mal une offre premiumness de produits premier prix. Il y a une incompatibilité de fond. En revanche, avec les marques de distributeurs (MDD), on y est déjà. Je pense à la gamme Carrefour Sélection ou aux produits Monoprix très ancrés sur le créneau premium. Les distributeurs ont développé des offres gourmet, terroir, en utilisant les codes graphiques du haut de gamme. Je pense à Mmm! d’Auchan. Une chose assez originale, à ma connaissance, que l’on peut remarquer, c’est cette récente campagne d’Auchan justement, dans le cadre d’une promotion sur certains produits de grandes marques, où s’était glissé un produit Rik et Rok. Or Rik et Rok, c’est précisément un label créé par Auchan ; une gamme de produits alimentaires et non alimentaires conçue pour les 6-10 ans. Là, il y a quelque chose de nouveau. Maintenant, il est certain que les grandes marques nationales restent par définition les mieux positionnées sur le segment premium. Parce que pour se hisser à ce niveau, la légitimité ne suffit pas. Je le redis, il faut proposer une vraie rupture, innover, clairement, avec un réel bénéfice. Les grandes marques en ont davantage la technologie et les moyens. Elles conservent l’initiative.

En laissant aux MDD le soin de fixer le juste prix ?

K.G. : D’une certaine manière oui, sur certains marchés. Parce que les distributeurs ont précisément atteint un niveau de qualité très voisin ou égal à celui des grandes marques. Aussi parce que le consommateur est beaucoup mieux informé aujourd’hui qu’hier, y compris sur les questions de marketing. Mais encore une fois, il faut raisonner en termes de valeur attribuée au produit par le consommateur. Et l’un des enjeux cruciaux pour les grandes marques nationales face aux MDD, mais également dans la concurrence qu’elles se livrent entre elles, est que leur légitimité future passe justement de plus en plus par la qualité des produits, l’innovation et la différenciation.

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