Relations franco-italiennes : de vives tensions qui se reflètent dans les opinions publiques, mais aussi de vraies opportunités pour une relance du dialogue
Dans la foulée des élections européennes et alors que les sujets de friction entre la France et l’Italie se sont multipliés au cours des derniers mois, le Comité scientifique des Dialogues franco-italiens pour l’Europe, organisés par Sciences Po et la Luiss Guido Carli en collaboration avec le think tank The European House Ambrosetti, a souhaité faire le point sur la perception par les opinions publiques des relations entre les deux pays. Pour ce faire, Ipsos, grâce au soutien d’EDF et d’Edison, a réalisé du 5 au 13 juin un sondage auprès de deux échantillons représentatifs de 1 000 Français et de 1 000 Italiens.
Les Français souffrent d’une mauvaise image en Italie ; en revanche, les Italiens restent assez appréciés de ce côté des Alpes
L’image que les Français se font de l’Italie reste relativement positive : 61% ont une bonne image de notre voisin transalpin, derrière la Suède (93%), l’Allemagne (81%) ou l’Espagne (80%), mais à égalité avec le Royaume-Uni et loin devant la Grèce (51%), la Pologne (41%) et surtout la Roumanie (21%). Ce sont même près des deux tiers des Français (64%) qui disent éprouver de la sympathie pour les Italiens, la part des personnes leur étant hostiles (6%) étant somme toute marginale. Cette opinion globalement positive s’appuie sur des stéréotypes largement répandus : les Français estiment très largement que le terme qui décrit le mieux les Italiens est « des séducteurs » (61%), loin devant un élément clairement positif (« des personnes accueillantes », 34%) et un autre très nettement négatif (« des mafieux », 24%).
L’image que les Italiens ont de la France et de ses habitants est en revanche beaucoup plus négative : seule une courte majorité (53%) d’entre eux a une bonne image de notre pays, loin derrière les autres grands pays d’Europe occidentale (89% pour la Suède, 81% pour l’Espagne, 74% pour le Royaume-Uni et 70% pour l’Allemagne) et même la Pologne (64%). Surtout, un tiers des Italiens (33%) éprouve même de l’antipathie à l’égard des Français, contre un quart (25%) qui ressent de la sympathie. Au final, c’est l’indifférence qui prédomine (42%) ! Un constat confirmé par les clichés tenaces dont nous souffrons de l’autre côté des Alpes : 29% des Italiens affirment que le qualificatif qui décrit le mieux les Français est « des personnes méprisantes », presque à égalité avec « des personnes peu accueillantes et malpolies » (28%) et « des donneurs de leçons » (27%). Seul point positif : nous sommes aussi considérés comme « des artistes » (27%) et « des personnes de culture » (20%) en Italie.
Si les Italiens jugent que les relations bilatérales sont désormais mauvaises, les Français sont de l’avis inverse
Une majorité de Français juge que les relations entre les deux pays sont aujourd’hui bonnes (63%), même si plus d’un tiers (37%) est d’un avis inverse. Mais les Italiens font un tout autre constat : seuls 45% d’entre eux estiment que la relation bilatérale franco-italienne est actuellement bonne, 55% étant d’un avis contraire.
On constate dans le détail que la question des relations entre les deux pays est assez clivante, notamment en Italie : 33% des Italiens pensent que la France fait partie des trois pays de l’Union Européenne avec lequel leur pays entretien les meilleurs rapports, quand 43% estiment au contraire qu’il s’agit d’un des trois pays avec lesquels les rapports sont les moins bons. Les relations avec la France suscitent donc des opinions très tranchées, et si la majorité de l’opinion s’avère assez francophobe, une partie non négligeable des Italiens est au contraire marquée par une réelle francophilie. Une polarisation moins marquée en France, où seuls 15% des sondés rangent l’Italie parmi les trois pays avec lesquels les relations sont les meilleurs, et 18% parmi ceux avec lesquels les relations sont au contraire les plus dégradées.
Une relation franco-italienne qui s’est dégradée récemment, notamment du fait des tensions liées à la crise migratoire
Si Français et Italiens s’accordent sur un point, c’est sur le constat d’une récente détérioration des relations entre les deux pays : 52% des Français et 59% des Italiens estiment qu’elles se sont dégradées au cours des dernières années, contre respectivement 9% et 7% qui pensent qu’elles se sont au contraire améliorées. Des deux côtés des Alpes, les opinions publiques ont donc bien perçu les multiples sujets de tensions de ces derniers mois : migrants, déficit public italien, avenir de l’Union Européenne, position envers les « gilets jaunes » ou encore crise libyenne. C’est d’ailleurs sans surprise « la crise migratoire » qui suscite les tensions les plus vives entre les deux pays : seule une petite minorité (16% des Français et 12% des Italiens) juge que les relations bilatérales sont bonnes sur ce point, les chiffres étant sensiblement plus élevés en ce qui concerne par exemple « les relations économiques et industrielles » (47% et 39%).
L’impact des leaders est ici très clair : Matteo Salvini, qui ne fait pas mystère de son hostilité sinon à la France, du moins à ses dirigeants actuels, bénéficie du jugement favorable de 48% des Italiens, 44% ayant une mauvaise opinion envers leur ministre de l’Intérieur. A titre de comparaison, seuls 27% (contre 58%) approuvent Luigi Di Maio, leader du M5S et principal représentant de la formation populiste au sein de la coalition gouvernementale au pouvoir à Rome. En revanche, en France, la popularité d’Emmanuel Macron est nettement plus faible avec seulement 31% de bonnes opinions contre 59% de mauvaises opinions. La capacité de Matteo Salvini a susciter l’adhésion d’une partie importante des Italiens autour de sa personne et de son programme explique sans doute en partie l’hostilité croissante de l’opinion publique transalpine envers la France.
La relation franco-italienne reste cependant importante aux yeux des opinions publique, et sa relance pourrait passer par la question culturelle
Malgré cette dégradation, les Français (93%) comme les Italiens (91%) restent très largement persuadés de l’importance de conserver de bonnes relations entre les deux pays : pour respectivement 42% et 38% d’entre eux, c’est même « essentiel ». En France, ce sont notamment les jeunes et les diplômés du supérieur qui partagent cette opinion.
L’amélioration des relations bilatérale pourrait s’appuyer sur les questions culturelles qui restent des marqueurs importants de l’identité des deux pays. Ainsi, pour les Français, c’est avant tout « le patrimoine historique et culturel » (61%) qui caractérise l’Italie ; le constat est similaire de l’autre côté des Alpes où 56% des personnes interrogées affirment que c’est là aussi « le patrimoine historique et culturel » qui est l’aspect le plus emblématique à leurs yeux de la France. Un constat renforcé par le fait que les habitants des deux pays estiment que c’est en matière de politique culturelle que les relations franco-italiennes actuelles sont les meilleures, ou en tous cas les moins dégradées : 66% des Français disent que la relation bilatérale est « bonne » en ce domaine (18% disent qu’elle est « mauvaise »), un chiffre qui atteint 48% en Italie (contre 39% qui jugent que les relations sont « mauvaises »). La relance du dialogue entre les deux pays et leurs habitants pourrait donc passer dans un premier temps par une coopération renforcée et des échanges plus nourris en matière culturelle.
Une europhobie qui reste contenue en France comme en Italie
Malgré la nette victoire de la Ligue lors des électeurs européennes en Italie (34,3% des suffrages) et la première place obtenue par le Rassemblement national en France (23,3% des voix), les positions europhobes restent nettement minoritaires dans les deux pays : 59% des Français et 54% des Italiens estiment que l’appartenance de leur pays à l’Union Européenne est « une bonne chose », contre respectivement 26% et 29% qui jugent au contraire qu’il s’agit d’une « mauvaise chose ». Dans le détail, l’hostilité à l’Europe n’est majoritaire que chez les sympathisants RN (52%), moins de la moitié des proches de la Ligue (46%) ou du M5S (41%) partageant ce rejet.
Par ailleurs, la volonté de revenir aux monnaies nationales, si elle n’est pas négligeable, n’en reste pas moins minoritaire dans les deux pays. Ainsi, près d’un tiers des Français (32%) sont favorables au retour au Franc, et 28% des Italiens se prononcent pour le retour de la Lire ; un résultat qui contredit certaines analyses croyant déceler une très forte poussée des partisans de l’abandon de l’Euro au sein de l’opinion publique transalpine.
Dans les deux cas, les sympathisants des partis de droite radicale sont de loin les plus favorables à un retour aux monnaies nationales. Toutefois, seuls les proches du RN sont majoritairement pour cette option (66%), et ce malgré le changement de position de leur parti sur ce sujet au cours des dernières années. Les sympathisants de la Ligue sont beaucoup plus partagés (46% étant favorables au retour à la Lire contre 54% qui y sont opposés), reflétant sans doute une sociologie électorale moins populaire que celle du RN et au contraire une plus forte présence parmi les commerçants, artisans et les petits entrepreneurs. Dans l’ensemble des autres partis des deux pays, la volonté de maintenir l’Euro est nettement majoritaire toutes couleurs politiques confondues.