Santé : la mutation des modes relationnels entre consommateurs et marques
L'époque où l'on organisait sa vie entre périodes d'anticipation et périodes d'action est aujourd'hui révolue. Ce ne sont plus les marques qui imposent « quand » et « comment » les consommateurs interagissent avec une marque et utilisent ses services, mais les individus qui décident de leur mode d'interaction. Les marques doivent désormais trouver leur place au sein des comportements des individus et non plus définir elles-mêmes ces comportements.
Comment parvenir à jouer un rôle dans le rythme de vie à présent personnalisé des consommateurs tout en continuant à répondre à leurs besoins et envies ? Les marques doivent redéfinir le « contrat de communication » dans son intégralité, mais aussi se différencier et gagner en cohérence et en pertinence. L'heure est venue de rembobiner, d'appuyer sur le bouton Effacer et de repartir à zéro en termes d'engagement afin d'élaborer une nouvelle vision, centrée sur l'individu et la manière dont il souhaite gérer son temps. Tenter de changer la donne est toujours un exercice étrange et quelque peu intimidant.
Cet article a vocation à présenter de nouvelles approches holistiques de la perception temporelle ainsi qu'à démontrer comment celle-ci est liée à l'engagement des consommateurs au moyen du marketing et de la stratégie de marque. Ces informations visent à éclairer la situation dans divers secteurs, notamment les cosmétiques, le bien-être et la santé.
Profiter du moment présent ou préparer l'avenir : un dilemme conditionnant toujours plus notre gestion du temps.
La digitalisation s'accélérant de jour en jour à l'échelle mondiale, notre rythme de vie devient plus personnel et notre quotidien est émaillé de nouveaux moments, de nouveaux gestes et de nouveaux signes. Les habitudes de consommation évoluent, de même que les moyens de les définir.
Au-delà des critères sociodémographiques traditionnels, les marques doivent écouter davantage (et plus attentivement) les consommateurs finaux, qui ne se comportent plus « comme ils le devraient », afin de répondre à leurs attentes de plus en plus paradoxales. Ce comportement contradictoire est surtout palpable dans les secteurs de la santé et du bien-être. Chacun d'entre nous aspire à rester en bonne santé le plus longtemps possible.
Toutefois, cela implique de prendre les choses en main, de s'occuper de sa santé et de son bien-être et d'adopter des habitudes synonymes de résultats à long terme, dont la plupart ne sont pas forcément immédiatement visibles et concrets.
Paradoxalement, nous constatons l'émergence simultanée d'un désir de profiter au quotidien : les individus apprécient le moment présent et sont confrontés à un dilemme véritablement hédoniste, presque fataliste, autour des choix à long terme ne débouchant pas sur un plaisir garanti et immédiat.
Ce constat pose la question suivante : faudra-t-il changer radicalement la donne ou la modeler progressivement ? La tendance en faveur du marketing post-démographique est tangible.
Face à ce nouveau rapport temps/valeur fondamentalement personnel, les marques ont l'obligation de rester à l'affût des nouvelles modes et tendances en utilisant des moyens de communication et d'écoute personnalisés, afin d'être au bon endroit au bon moment sans se retrouver déconnectées de la vie des consommateurs. Pour ces derniers, les marques doivent continuer de se demander qui sont leurs clients afin de conserver leur fidélité : tel est le nouveau manifeste du marketing post-démographique. Toutefois, il existe également aujourd'hui une tendance en faveur d'une évolution bien plus radicale : un changement de paradigme indispensable et une redéfinition intégrale du rôle d'une marque. Au lieu de n'intervenir que ponctuellement, à un moment précis de la vie d'un individu, les marques doivent accompagner les consommateurs en permanence et s'adapter aux moments d'attention que ces derniers leur accordent. Aujourd'hui, ce sont les marques qui doivent trouver le bon tempo. Cela est particulièrement vrai dans le secteur de la santé, car des conséquences sur la santé et la vie sont en jeu ; dans le même temps, les individus prennent de plus en plus la main sur les décisions relatives à leur santé grâce aux canaux d'information et d'interaction que leur offre l'environnement digital.
"Les marques doivent être facilement accessibles pour le consommateur final."
PLAY FAST, PAUSE, EJECT, RECORD :
Ces quatre principaux modes relationnels ont été identifiés comme les moteurs permettant de comprendre et d'analyser la nouvelle forme d'engagement avec les marques et les opportunités d'instaurer une relation durable avec les consommateurs finaux.
"Les marques doivent trouver leur place au sein des comportements des individus et non plus définir elles-mêmes ces comportements."
LE MODE
"PLAY FAST"
Le mode PLAY FAST traduit la « tinderisation » de notre société. Sous l'impulsion des modes de consommation plus ludiques, expérientiels et immédiats associés à la communication mobile, les marques sont en mesure d'agir instantanément et de susciter davantage d'émotions à l'aide d'images, de pictogrammes ou encore d'émoticônes. Dans notre culture actuelle, où le simple fait de balayer l'écran d'un smartphone du bout du doigt ouvre le champ des possibles, chacun dispose d'un pouvoir instantané et peut exercer une influence sans précédent, une nouvelle forme de puissance souvent associée à un risque accru de superficialité et d'ennui.
Cette tendance devient un défi majeur, notamment dans le secteur de la santé, car elle engendre un besoin crucial d'offrir de manière compétitive des services synonymes de plaisir et de bien-être immédiats.
À quoi sommes-nous le plus susceptibles de consacrer les 24 heures dont nous disposons chaque jour ? Profiter du moment présent ou mener une activité qui nous offrira une meilleure qualité de vie et un certain bien-être dans 10 ou 15 ans ? Pour notre génération, toujours plus férue de digital, les solutions de eSanté pourraient bien constituer l'outil idéal pour les marques du secteur souhaitant ajouter des facettes du mode « Play Fast » à leurs interactions avec les consommateurs finaux et les patients. À l'heure actuelle, l'impact le plus conséquent est généré par les applications smartphone dédiées au mode de vie (qui permettent par exemple l'analyse du sommeil, de l'activité physique ou encore de la consommation de calories), grâce auxquelles les grandes marques telles que Nike comme les start-ups jouent un rôle de coach de vie auprès du client final.
LE MODE
"PAUSE"
Contrairement au mode PLAY FAST, le mode PAUSE offre à chacun l'occasion de se ménager des moments de détente et de relaxation permettant de reprendre le contrôle de sa vie. C'est ce qu'illustrent notre quête de sens et notre souhait de redécouvrir la vraie vie en quittant la ville au profit de la campagne, en pratiquant une consommation lente, en se montrant plus réfléchis et sélectifs et en nourrissant de nouvelles attentes en faveur d'une communication plus authentique et transparente. Real Simple, Flow, ou encore Simple Things, les titres de quelques nouveaux magazines créés il y a peu, illustrent parfaitement cette tendance. Une récente étude menée en France indique que 16 % de la population s'adonne régulièrement au yoga ou aux techniques de relaxation. Parallèlement, la redécouverte des livres papier active des zones différentes de notre cerveau et nous permet de nous mettre momentanément en « mode pause ».
Dans le secteur de la santé, cela implique d'adopter des approches plus holistiques, associées à une optique de bien-être, afin d'offrir une maîtrise totale de son temps libre et d'intégrer des offres de service attentives et intégrées allant bien au-delà d'un simple produit ou service supplémentaire. Les patients ont exprimé leur désir de bénéficier de services de santé plus holistiques afin de régler ce dilemme lié à la gestion du temps. C'est cette évolution fondamentale entre marketing axé problème-solution et concentration sur le consommateur/patient qui est en jeu.
Lorsque Sanofi propose à ses patients diabétiques un dépliant expliquant comment gérer son alimentation au quotidien et contenant un livre de recettes spécifiques, il n'est plus du tout question de comprimés ou de piqûres. Les services d'oncologie de certains hôpitaux ont même dorénavant recours à l'aromathérapie, non pas pour compléter les traitements administrés, mais pour aider les patients à se détendre et à se calmer dans cet environnement stressant qu'est le milieu hospitalier. L'entreprise GE Healthcare a quant à elle révolutionné la pratique de la mammographie avec SensorySuite, qui offre aux patientes une expérience interactive multisensorielle.
LE MODE
"EJECT"
Le mode EJECT incarne le cœur de l'expression de cette nouvelle maîtrise du temps personnalisé à l'ère du marketing post-démographique. À la différence du ralentissement ou de la mise en pause (qui changent le tempo, et non les règles), le mode EJECT implique de pénétrer dans les comportements des individus, à l'instar d'un hacker, afin de réinventer les règles de la création d'une relation dans son ensemble. Dans le secteur de la santé, cette tendance est illustrée par l'essor des thérapies naturelles et alternatives. 41 % des Français affirment privilégier les médecines alternatives.
Pourtant, dans le domaine complexe et particulièrement réglementé de la santé, il n'est pas toujours possible de trouver immédiatement une alternative adaptée. Ainsi, s'agit-il d'une question de recadrage du dialogue entre les patients et les professionnels de santé ?
Le cas de Salvatore Iaconesi, un patient dont le cancer a été diagnostiqué en 2012, est un exemple intéressant. Son dossier médical était inaccessible, mais, refusant de laisser cet obstacle l'empêcher de trouver des réponses, il a piraté le système et est parvenu à « télécharger » son dossier médical, puis a invité des influenceurs du web à étudier son cas. Salvatore Iaconesi a mis au point sa propre stratégie thérapeutique à l'aide de son équipe de conseillers. Même s'il s'agit d'un cas extrême, cette histoire illustre à quel point même la confiance accordée au système de santé peut passer en mode Eject.
Autre exemple relatif au mode EJECT : le site web et l'application Ginger.io. Le phénomène des big data a permis à cette entreprise d'ouvrir la voie à de meilleurs soins de santé grâce aux smartphones. Cette application mobile peut être utilisée par les patients où qu'ils se trouvent et leur permet de traiter leurs maladies chroniques en s'adressant à un professionnel de santé directement via l'application. La relation qui les unit à leur médecin est ainsi permanente.
LE MODE
"RECORD"
Le mode RECORD, qui émerge paradoxalement aux côtés du mode EJECT, tire son origine de la volonté de revenir aux fondamentaux, aux origines et aux bases qui ont permis de tisser le lien entre les marques et leurs clients finaux.
La gestion de la relation, le respect et une attitude à la fois polie et bienveillante ajoutés à des capacités d'écoute appropriées font leur retour parmi les premiers leviers d'engagement que chaque marque devrait maîtriser.
Les aspirations relatives au mode RECORD semblent communes à tous les secteurs, qu'il s'agisse de la beauté, du bien-être, des BCE ou de la santé : un désir de réalliance et d'humanisation au service de la gestion individuelle en temps réel ou contribuant à valoriser les investissements et les bénéfices à long terme.
Par exemple, le programme Eye Mitra déployé par Essilor vise à former de jeunes Indiens au métier d'optométriste afin qu'ils soient en mesure de proposer des traitements de correction de la vue aux patients. Jusqu'à 2,5 millions de personnes pourraient être traitées d'ici la fin de l'année 2016.
Le projet e-NABLE, qui compte aujourd'hui plus de 5 200 membres dans le monde, se consacre à la conception et à la fabrication de prothèses de bras et de jambes imprimées en 3D. Les participants au projet contribuent de manière totalement bénévole et partagent entre eux leurs fichiers de conception, leurs idées et leurs instructions de montage ; en quelques années seulement, ce sont des milliers de prothèses accessibles qui ont été imprimées en 3D.
REMBOBINONS
Prenons un peu de recul et REMBOBINONS. Le temps nous a contraints à repenser les anciennes et les nouvelles règles de l'engagement, à commencer à répondre aux besoins uniques de consommation des individus et à respecter les modes de fonctionnement de la matrice de gestion du temps des consommateurs finaux. Restons en rythme avec eux, présents à leurs côtés lorsqu'ils passent d'un mode à l'autre et à l'unisson de leur mode de vie.
"Au-delà des critères sociodémographiques traditionnels, les marques doivent écouter davantage (et plus attentivement)."
Article paru dans le n° d'avril de MISC