Voter à 16 ans ?

Faut-il abaisser l’âge de la majorité civique ? Notre démocratie y trouverait-elle un second souffle, et la jeunesse un nouvel intérêt pour la politique ? Un an avant la présidentielle, le journal LE 1 ouvre le débat avec Brice Teinturier, Directeur Général Délégué France d'Ipsos.

Auteur(s)
  • Brice Teinturier Directeur Général Délégué France, Ipsos (@BriceTeinturier)
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"Il y a, on le sait, plusieurs jeunesses en France. L’une est insérée et dispose de la formation et des codes qui l’inclut parmi les gagnants de la mondialisation. Elle le doit souvent à des parents qui disposent du capital culturel et financier pour préparer leurs enfants à ces défis : maîtrise des langues étrangères à coup de séjours linguistiques, identification et stratégies d’inscription dans les bonnes écoles, territorialisation adéquate dans les villes monde, là où il y a de la mobilité, de l’emploi et de la culture, transferts financiers précoces ou coups de pouce pour acquérir un premier logement, etc. Cette jeunesse-là trouvera demain sa place dans la société et une place de qualité. Elle n’a pas particulièrement besoin de droits politiques supplémentaires pour être reconnue et elle le sait.

Et il y a une autre jeunesse à qui l’on a ôté le bien le plus précieux, le seul que l’on ait véritablement à 15 ou 20 ans : une perspective d’avenir - et la dose de légèreté qui en découle.

Cette jeunesse là se vit dans la certitude d’un « no futur ». Elle est peu formée, peu instruite, reléguée territorialement et socialement, amère, en colère ou résignée. Elle alimente les bataillons de ce stock de 2 millions de jeunes âgés de moins de 30 ans qui ne sont actuellement ni dans la vie active, ni dans le système éducatif, ni en formation. Une bombe à retardement qui s’accroit chaque année.

Elle est massivement au chômage ou en CDD.

L’explosion depuis 30 ans du coût du logement a rendu pour elle inaccessible cet idéal d’émancipation, notamment dans les grands centres urbains. Elle vit par conséquent plus longtemps chez ses parents, par obligation et non pas choix. Ou en colocation mais pas forcément celle, sympathique et trompeuse, de l’Auberge espagnole.

Les transports enfin sont pour elle un enjeu clé : difficulté d’obtention et cherté du permis de conduire, cherté des transports en commun.

Enfin, elle n’a pas de véritable représentation politique.

Certes, il y a pour elle des mécanismes à l’œuvre de redistribution et d’insertion mais globalement, les choix faits par la collectivité sont bien plus en faveur des seniors et des retraités que de la jeunesse française.

C’est logique compte tenu du poids grandissant des seniors dans la société française mais aussi et surtout, de leur surreprésentation massive parmi ceux qui votent.

Cette jeunesse-là nourrit les bataillons de l’ébranlement démocratique qui traverse la société française. Aujourd’hui, 70% de nos concitoyens estiment que « le régime démocratique est irremplaçable, c’est le meilleur système possible » mais 30% – près d’un français sur 3 ! – sont d’un avis contraire et affirment qu’il « existe d’autres régimes politiques aussi bons que la démocratie » (cf. Étude "Fractures Françaises 2016"). Parmi eux, la proportion des moins de 35 ans est de 37%. Chez les moins de 35 ans précarisés, elle tangente les 50%.

Accorder le droit de vote à 16 ans ne résoudrait pas les problèmes de cette jeunesse là.

Son enjeu est d’abord économique. Et il faudrait encore qu’elle s’empare d’un tel droit pour le rendre effectif. Mais cela aurait l’immense mérite d’envoyer un signe à une population qui se vit comme non reconnue et reléguée. Un tel symbole serait inclusif et participerait du déverrouillage de la société.

Modifierait-il le rapport de force électoral ? Marginalement. En effet, les 18-24 ans votent un peu plus à gauche que l’ensemble de la population (35% contre 32%) mais aujourd’hui un peu plus à droite qu’à gauche (38% contre 35%) et très légèrement plus que la moyenne FN. 2 classes d’âges supplémentaires et sans doute peu participatrices ne changeraient donc pas grand chose."

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Auteur(s)
  • Brice Teinturier Directeur Général Délégué France, Ipsos (@BriceTeinturier)

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