45% des agriculteurs se sentent plus isolés que jamais
Tandis que les prises de conscience émergent quant à l'importance des productions locales, et alors que les Français se déconfinent peu à peu, Ipsos dévoile les chiffres de sa dernière étude menée avec AgriAvis et dresse le bilan des préoccupations de ces agriculteurs qui ont permis une continuité de la production sur tout le territoire. Si les agriculteurs expriment leur fierté du travail effectué, ces conditions très singulières de travail ont rendu ces dernières semaines moralement éprouvante : ils sont 45% à se sentir particulièrement isolés, alors qu’ils doivent faire face à un renforcement de leur activité, et à des contraintes de production et de distribution inédites.
CHIFFRES ET ENSEIGNEMENTS CLÉS DE L’ÉTUDE :
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L’isolement (45%) est la plus grande difficulté rencontrée par les agriculteurs en période de coronavirus, devant les problèmes de débouchés pour les productions (36%), et la baisse du chiffre d’affaire (19%).
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La crise a également généré quelques opportunités pour la filière : pour 37% des sondés, elle a permis de revaloriser leurs métiers aux yeux des Français.
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Plus d’1 agriculteur sur 10 a profité du contexte pour développer la vente en circuit court, ou directement auprès du consommateur
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Seuls 6% des exploitants interrogés ont fait face à une pénurie de main d’oeuvre.
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Près de 9 agriculteurs sur 10 craignent que la situation ait un impact économique durable et 76% des sondés redoutent un affolement des marchés agricoles.
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Pour traverser la crise, les agriculteurs sont favorables à des mesures de soutien : 79% souhaitent des prix de vente garantis, 72% sont favorables à un assouplissement des contraintes règlementaires, et 63% attendent une régulation des volumes produits.
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Pour faire face aux pertes de production, 62% des agriculteurs souhaitent un dédommagement financier.
Une activité à la hausse, mais qui n’empêche pas de réelles difficultés économiques.
Les agriculteurs des grandes exploitations agricoles ont vu leur activité augmenter pendant le confinement des Français, selon la dernière étude Ipsos & AgriAvis. Si majoritairement, la charge de travail des agriculteurs est restée la même, ils sont seulement 5% à être confrontés à une baisse ou cession de leur activité, tandis que 13% des sondés déclarent avoir une activité plus importante qu’en temps normal. Ainsi, la filière agricole est restée en pleine effervescence, même en situation de pandémie, permettant d’assurer l’approvisionnement du pays tout entier.
Toutefois, cette production globalement à la hausse s’accompagne de plusieurs freins économiques. Tout d’abord, un problème de débouchés pour les productions, rencontré par plus d’un agriculteur sur trois (36%). Les éleveurs (45%) et les petites exploitations (43%), déjà plus vulnérables, y ont été particulièrement confrontés. L’approvisionnement s’est également avéré plus compliqué : 30% des agriculteurs rencontrent des problèmes sur cet aspect, voire des pénuries (14%).
Pour 19% des agriculteurs, les difficultés ont été financières : la fermeture des marchés ou des fermes pédagogiques par exemple, ont eu un fort impact sur leur rentabilité. Une difficulté que 11% des agriculteurs ont tenté de pallier en développant plus de circuits courts et de vente directe pendant le confinement. Enfin, 6% des exploitants ont dû faire face à une pénurie de main d’oeuvre.
Si la période est exceptionnelle, près de 9 agriculteurs sur 10 craignent qu’elle ait un impact économique durable. 76% redoutent un affolement des marchés agricoles, et par conséquent, des difficultés financières dans un avenir proche (58%). Des craintes bien supérieures à celles liées à leur propre santé, qui n’inquiète guère plus d’un agriculteur sur trois (37%).
« Les agriculteurs interrogés expriment des craintes bien réelles, renforcées par le sentiment d’être les grands oubliés de la crise, sans visibilité ni soutien du gouvernement. Ils ne semblent ne bénéficier d’aucune aide gouvernementale, et souhaitent avoir droit à des mesures de soutien dont peuvent bénéficier entreprises ou même les particuliers : soutien économique, souplesse économique, administrative et réglementaire », complète Renaud Loesel, expert agriculture chez Ipsos France.
L’isolement, le grand mal des agriculteurs
Au-delà des conséquences économiques, le moral des agriculteurs a également souffert pendant la crise. En effet, 45% des agriculteurs interrogés estiment que le principal impact de la crise est avant tout psychologique, évoquant un isolement dur à vivre.
Plus seuls que jamais, les agriculteurs sont 46% à déplorer être moins en contact avec leurs conseillers et/ou commerciaux, une difficulté liée au travail à distance généralisé. L’isolement est également politique : ils déplorent un manque de visibilité et de clarté sur les directives gouvernementales (42%) ou sur les besoins des filières (34%), et expriment plus globalement le souhait d’un accompagnement renforcé. Un manque de visibilité des filières qui touche surtout la filière viande et lait, reflétant probablement des tensions entre les éleveurs et leurs filières.
Dans ce contexte singulier, le moral est en berne : seuls 17% des agriculteurs se déclarent optimistes concernant la situation de leur exploitation, et 40% se déclarent quant à eux pessimistes.
Pourtant, la crise a également pu générer des opportunités pour la filière : ainsi, pour 37% des sondés, elle a permis de revaloriser leurs métiers aux yeux des Français.
« Les agriculteurs montrent ici une forme de résilience. Parfois mal-aimés, victimes de l’agri-bashing, la crise a pu venir retourner de tendances sur la perception de l'agriculture. Les agriculteurs interrogés montrent une fierté d’avoir pu tenir un rôle de héro et de nourriciers résilients pendant la crise »,
remarque Renaud Loesel.
Garanties des prix et assouplissement de la réglementation : les conditions d’une sortie de crise réussie
Pour traverser la crise, les attentes sont fortes, et les agriculteurs souhaitent plus de considération, et un plus grand soutien de l’agriculture française. Ils espèrent ainsi une prise de conscience générale sur la nécessité de prioriser l’achat local vers l’autosuffisance, que ce soit pendant ou après la crise..
Ainsi, 8 agriculteurs sur 10 (79%) souhaitent des prix de vente garantis, 72% sont favorables à un assouplissement des contraintes règlementaires, et 63% attendent une régulation des volumes produits. Enfin, pour faire face aux pertes de production, 62% des sondés souhaitent un dédommagement financier.
La question des filières reste quant à elle un point important : plus d’un agriculteur sur deux (59%) souhaite la mise en place un accompagnement économique par filière.
« Cette crise vient fragiliser encore un peu plus la ferme France avec une situation économique et financière qui s’aggrave dangereusement pour une partie des exploitations, notamment les plus vulnérables, comme les petites exploitations et les exploitations d’élevage. Mais elle représente également une opportunité de revaloriser le métier et définir des conditions de production plus souveraines, plus résilientes et plus justes. Mais pour cela les attentes sont nombreuses envers les acteurs publics, les filières, mais aussi les consommateurs ; l’occasion de faire preuve d’une plus grande unité ? », conclut Renaud Loesel.
Fiche technique : Sondage réalisé du 10 au 27 Avril 2020 en ligne par Ipsos. Enquête menée en partenariat avec Agri Avis, auprès d’un échantillon de 247 agriculteurs français.
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