Baromètre de la pauvreté Ipsos / Secours Populaire 2021 : pour s’en sortir en France, il faut gagner au moins 1175 € par mois selon les Français

Chaque année depuis 2007, le baromètre Ipsos / Secours Populaire de la pauvreté permet de faire le point sur la précarité en France : la manière dont elle est définie et crainte par les Français, mais aussi vécue au quotidien par une partie de la population française. Cette quinzième vague du baromètre intervient dans un contexte de déconfinement après une année difficile tant sur un plan sanitaire qu’économique, alors que l’horizon semble enfin s’éclaircir grâce à l’action combinée de la montée en puissance de la vaccination et de la reprise de l’activité. Mais alors que les prévisions économiques sont révisées à la hausse, de nombreux économistes alertent sur les dangers d’une « reprise en K » , avec certains secteurs, certaines entreprises, et certaines parties de la population qui prospèrent tandis que d’autres s’enfoncent. Comment les Français ont-ils vécu l’année écoulée et abordent la reprise ? Et surtout, quel a été son impact pour les plus de 9 Millions de personnes vivant sous le seuil de pauvreté en France ? Comment vit-on au quotidien quand on est dans la précarité dans notre pays ? Quels sont les sacrifices auxquels on doit se résoudre quand on a déjà le sentiment de n’avoir conservé que l’essentiel ? Pour réaliser cette enquête qui constitue la 15ème vague du Baromètre de la pauvreté, Ipsos a interrogé comme lors des vagues précédentes un échantillon représentatif de 1000 Français âgés de 16 ans et plus par téléphone. Mais pour la première fois, l’Institut a complété cette interrogation par une enquête par internet auprès de plus de 600 personnes sous le seuil de pauvreté.

Auteur(s)
  • Amandine Lama Directrice de Clientèle, Département Politique et Opinion, Public Affairs
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Les grands enseignements du baromètre

Pour s’en sortir en France, il faut gagner au moins 1175 € par mois selon les Français

Cette année, les Français considèrent qu’une personne seule est pauvre dans un pays comme la France quand elle dispose d’un revenu mensuel net de moins de 1175 € en moyenne (en baisse de 53 € par rapport à l’année dernière). Ce seuil est bien supérieur (de 112 € exactement) au seuil de pauvreté officiel calculé sur la base de 60% du revenu médian national (1063 € en 2018 selon l’INSEE). En 2018, plus de 9,3 millions de Français se situaient en dessous de ce seuil de pauvreté officiel. Leur nombre était encore plus important si l’on retient le seuil de 1175 € avancé par les Français.

Chaque individu se prononçant en fonction de son environnement, de ses propres conditions de vie et du coût de la vie là où il réside, le seuil de pauvreté subjectif moyen varie selon le profil des répondants. Le seuil moyen cité reste plus élevé pour les séniors (1251 € pour les 60 ans et plus contre 1075 € pour les moins de 35 ans), les personnes les plus favorisées (1239 € pour ceux dont le revenu mensuel net du foyer est supérieur ou égal à 3000 € contre 1010 € pour ceux qui perçoivent moins de 1200 €), mais aussi les Franciliens (1234 € contre 1162 € pour les autres régions).

Si les Français se montrent très légèrement plus optimistes à l’égard de leur situation financière, toutefois, des inégalités persistent

Un Français sur deux déclare réussir à mettre de l’argent de côté (50%), soit légèrement plus qu’en 2020 (+2 points), tandis que la part de Français déclarant vivre à découvert est en très légère baisse (15%, -3 points). Après une année 2020 particulièrement difficile pour les Français la situation semble donc un peu s’améliorer. Avec l’avancée de la campagne de vaccinale et le déconfinement qui l’accompagne, la reprise économique semble bien amorcée et les prévisions pour l’année 2021 sont globalement favorables. Le niveau d’optimisme s’en ressent un peu. Par ailleurs, une note de conjoncture de l’INSEE a montré que le taux d'épargne des Français a progressé l'année dernière, passant d'environ 15% en 2019 à plus de 21% en 2020. Les 25% des ménages les plus riches ont épargné en moyenne 10.000 euros en 2020, faute de pouvoir consommer. Les 25% les moins riches ont économisé aussi, mais dans une bien moindre mesure : ils ont mis de côté 200 euros en moyenne. Une autre note de la Banque de France estime que si une partie de la hausse de l’épargne s’explique par une épargne forcée du fait des restrictions administratives dans certains secteurs économiques, elle est due aussi à une réaction de prudence des ménages face aux incertitudes économiques et financières.

L’enquête confirme d’ailleurs que les inégalités demeurent très fortes : 72% des cadres supérieurs parviennent à mettre de côté contre 50% de l’ensemble de Français et 42% des ouvriers. A l’inverse, 21% des ouvriers vivent à découvert contre 15% de l’ensemble des Français et 10% des cadres supérieurs. Autre catégorie particulièrement touchée, celle des parents isolés dont plus d’un quart déclare vivre à découvert 26%). En fait, la majorité des parents élevant leurs enfants seuls considère avoir déjà été dans une situation de pauvreté (60% contre 35% de l’ensemble de la population).

A noter enfin, la situation préoccupante de 24-35 ans, parmi lesquels 25% déclarent vivre à découvert (contre 15% de l’ensemble des Français). Malgré leur jeune âge, ils déclarent même davantage avoir expérimenté des situations de pauvreté (38%) que l’ensemble des Français (35%), et davantage avoir eu le sentiment qu’ils étaient sur le point de basculer (27% contre 19%). Les Français sont d’ailleurs inquiets pour les jeunes générations : plus de trois quarts considèrent que le risque que leurs enfants connaisse un jour une situation de pauvreté est plus élevé que pour leur génération (78%).

… Un regain d’optimisme qui ne doit pas masquer le fait qu’une part croissante de Français est touchée par les difficultés financières du quotidien

La part de Français qui connaît des difficultés financières au quotidien est bien supérieure à la part de personnes sous le seuil de pauvreté au sens de l’INSEE (14,8% de la population totale considérée comme pauvre en France en 2018).

Et la proportion de Français concernée par ces difficultés, stable il y a encore un an, a augmenté : 36% connaissent désormais des difficultés financières pour payer leurs dépenses d’énergie (+9 points par rapport à l’année dernière), 32% pour payer leur loyer, leur emprunt immobilier ou les charges de leur logement (+7 points) ou encore pour disposer d’une mutuelle santé (29% ; +8 points).Ils sont d’ailleurs plus d’un tiers à avoir toujours des difficultés à payer certains actes médicaux mal remboursés par la sécurité sociale (36% ; -2 points).

Les difficultés à s’alimenter sont également en augmentation : 32% des Français ont des difficultés financières pour consommer des fruits et légumes frais tous les jours (+3 points par rapport à 2020 ; +5 points par rapport à 2018) et 30% pour se procurer une alimentation saine leur permettant de faire trois repas par jours (+7 points par rapport à 2020). La part de Français qui déclare se retreindre (souvent ou parfois) sur la quantité de ce qu’ils mangent pour des raisons financières est d’ailleurs en légère augmentation (27% ; +2 points par rapport à l’année dernière). Désormais, un Français sur cinq saute même certains repas pour des raisons financières (+6 points par rapport à l’année dernière), une pratique qui touche plus d’un tiers des jeunes (34% des moins de 35 ans) et des revenus les plus modestes (39% de ceux dont le revenu mensuel net du foyer est inférieur à 1200€).
Ainsi, si les Français ont pu épargner un peu plus, cela ne signifie pas que leur situation au quotidien se soit améliorée. De fait, que ce soit par contrainte ou par crainte, les Français ont connu davantage de privations pour des raisons financières. Ces privations qui se sont faites au détriment de leur alimentation, de leur santé et plus généralement de leur vie quotidienne.

Face à ces difficultés, des Français qui continuent de se sentir solidaires

Fort heureusement, les Français sont conscients des difficultés rencontrées par une partie d’entre eux. Ils sont d’ailleurs une majorité à avoir dans leur entourage familial et/ou amical au moins une personne qui leur semble être dans une situation de pauvreté (55%).

Ce constat contribue à nourrir leur envie d’agir : près des deux tiers déclarent d’ailleurs être disposés à s’impliquer personnellement pour aider les personnes en situation de pauvreté (65% ; 72% lorsqu’ils ont dans leur entourage au moins une personne qui connaît la pauvreté). Cette envie d’être solidaire reste donc très forte, même si elle recule légèrement par rapport à l’année dernière (-4 points).

Focus thématique : vivre sous le seuil de pauvreté en France

Un équilibre fragile voire précaire

Parmi les personnes qui vivent sous le seuil de pauvreté en France, seule une minorité considère sa situation financière et matérielle actuelle comme précaire, une dépense imprévue pouvant les faire basculer à tout moment. La plupart préfère la définir comme équilibrée : ils s’en sortent mais doivent faire attention (49% d’entre eux).

Faire attention est un euphémisme, quand il s’agit de vivre avec moins de 1063 € par mois pour une personne. D’ailleurs, près des deux tiers des personnes sous le seuil de pauvreté interrogées expliquent qu’il leur arrive régulièrement de ne plus savoir sur quelles dépenses faire des compromis, car ils ont déjà réduit tout ce qui pouvait l’être (64% dont 27% « souvent »). Dès lors, être à découvert à la fin du mois est fréquent (55% rencontrent cette situation souvent ou parfois), voire dès le 15 du mois (47%).

Ils sont d’ailleurs plus d’un tiers à connaître régulièrement la peur de perdre leur logement (37%).

Des privations régulières

Quand on fait attention à toutes ses dépenses, partir en vacances ou en week-end apparaît souvent comme un luxe inaccessible : au cours des 12 derniers mois, 75% des personnes sous le seuil de pauvreté n’ont pas pu partir ne serait-ce qu’une seule fois (dont 55% pour des raisons financières).

Par ailleurs, seul 1 Français sous le seuil de pauvreté sur quatre a pu s’offrir une activité de loisirs au moins une fois par mois hors confinement.

Les parents vivant sous le seuil de pauvreté sont notamment nombreux à se priver régulièrement pour leurs enfants, y compris de nourriture : 62% le font dont 22% « souvent ». Ils sont également une majorité à se priver de soins médicaux (54% dont 25% « souvent ») et encore davantage de coiffeur et soins de beauté (80% dont 48% « souvent »), de vêtements (85% dont 44% « souvent ») ou de loisirs et sorties (86% dont 45% « souvent »).

Une inquiétude récurrente quant à ses capacités à faire face financièrement

Vivre sous le seuil de pauvreté, c’est aussi faire face à l’angoisse récurrente de ce qui risque de vous faire basculer : 74% déclarent ainsi être inquiets de leur capacité à faire face à une dépense importante imprévue (chaudière en panne, véhicule accidenté…), 72% des 60 ans et plus quant à leur propre dépendance éventuelle ou 62% celle de leurs proches. 41% des personnes en couple sont également inquiètes de leur capacité financière à faire face à une séparation ou un divorce.

Et les événements qui peuvent faire basculer ne sont pas que les accidents majeurs de la vie. Pour 65% des personnes sous le seuil de pauvreté, faire face à une dépense moyenne imprévue (remplacement de lunettes, ordinateur en panne, smartphone perdu…) est source d’inquiétude. La suppression d’une partie de leurs aides (APL, allocations familiales, prime d’activité…) est également source d’inquiétude pour 67% d’entre eux.
Pour près d’une personne sous le seuil de pauvreté sur deux, c’est même s’acquitter simplement de ses charges mensuelles qui est source d’angoisse : 45% en ce qui concerne le fait de payer leur loyer ou rembourser leur crédit immobilier tous les mois et 52% leurs factures.

A tel point que 59% d’entre eux sont inquiets de ne pas pouvoir faire face financièrement si leurs enfants avaient besoin d’aide.
En cas de coup dur, eux-mêmes non plus ne sont pas sûrs qu’ils pourraient disposer de soutien. S’ils basculaient dans la pauvreté suite à un événement majeur (divorce, perte d’emploi…), seulement un sur deux est certain qu’il pourrait disposer d’un endroit où se loger (50% dont seulement 21% pour une longue durée), d’une aide alimentaire (50% dont 15% pour une longue durée) et une minorité d’un soutien financier (41%) ou matériel (41%).

La crise liée à la Covid-19 a amplifié ces difficultés

La crise sanitaire a particulièrement impacté ces Français les plus vulnérables : près des deux tiers des personnes sous le seuil de pauvreté ont rencontré des difficultés financières depuis le début de la crise (63% dont 24% « beaucoup »). C’est presque deux fois plus que pour l’ensemble des Français (36% dont 11% « beaucoup »).

Alors que leurs revenus sont déjà limités, une majorité d’entre eux a subi une perte de revenus avec la crise (58% dont 34% « importante »). C’est notamment le cas des plus jeunes qui ont notamment perdu leurs petits boulots (70% des moins de 25 ans ont subi une perte de revenus dont 37% « importante »).

Encore plus que l’ensemble des Français, les personnes sous le seuil de pauvreté ont connu des difficultés importantes depuis le début de la crise : 52% ont eu le sentiment d’être extrêmement isolé (contre 40% de l’ensemble des Français), voire de perdre de pied / sombrer dans la dépression (40% contre 29% des Français). Ils ont plus souvent perdu une source de revenus d’appoint comme un petit boulot, des baby-sittings (28% contre 18%), voire perdu leur emploi (19% contre 11%). Ils ont plus souvent rencontré des problèmes matériels pour suivre les cours à distance (47% des étudiants sous le seuil de pauvreté, 39% des parents de mineurs sous seuil de pauvreté).

Pour s’en sortir, 31% ont dû demander une aide financière ou alimentaire, que ce soit à des proches ou à une association. En ces temps difficiles, la solidarité est d’autant plus nécessaire.

Heureusement, une majorité de personnes sous le seuil de pauvreté pense qu’elle n’a pas diminué avec la crise sanitaire. Pour 42%, elle est restée la même, et pour 26% d’entre eux, l’entraide est plus grande.

Retrouvez le baromètre
secourspopulaire.fr

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A propos du Secours Populaire
Né en 1945, le Secours populaire est une association à but non lucratif, reconnue d’utilité publique et déclarée Grande cause nationale. Celle-ci est habilitée à recevoir des dons, des legs et des donations. L’association s'est donnée pour mission d’agir contre la pauvreté et l'exclusion en France et dans le monde et de promouvoir la solidarité et ses valeurs. Elle rassemble des personnes de toutes opinions, conditions et origines qui souhaitent faire vivre la solidarité.

Fiche technique : enquête Ipsos pour le Secours Populaire réalisée par téléphone du 18 juin au 3 juillet 2021 auprès d'un échantillon représentatif de 1000 Français âgés de 16 ans et plus.
Auteur(s)
  • Amandine Lama Directrice de Clientèle, Département Politique et Opinion, Public Affairs

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