La dénonciation des fake news, arme secrète du populisme ?

Ipsos Global Advisor a interrogé 27 pays sur leur perception des fake news, nouveau fléau de la société moderne. Comment les citoyens du monde entier se positionnent-ils sur ce débat ?

Mi-Janvier, quand Donal Trump crée les "Fake news awards" pour stigmatiser les journalistes qu’il juge coupables de diffusion de fausses nouvelles, il ne fait que rajouter une pierre à l’édifice anti-médias qu’il a mis en place lors de sa campagne électorale. Fin août, quand il attaque les moteurs de recherche supposés relayer en priorité les commentaires négatifs à son égard avec de « Fake algo », il étend sa stratégie de stigmatisation à une nouvelle catégorie d’« ennemis du peuple ».
Le Président des États-Unis citant Staline n’est pas complètement anodin et pose des questions en rapport avec la liberté de l’information, le droit à la critique, le rapport à la vérité. Dans cette logique, le faux serait l’apanage du contestataire, lui-même représentant d’une élite déconnectée de la réalité, le vrai serait le propre de l’homme d’action, de terrain, incarnant le peuple.
Comment le public se positionne-t-il dans ce débat ? La dernière étude internationale réalisée par Ipsos[1] montre un scepticisme et une défiance croissants qui n’épargnent personne, avec des moyennes mondiales impressionnantes.
Dans un contexte où l’on aurait pu croire que les réseaux sociaux, le développement d’Internet, l’essor des médias allaient obliger les responsables politiques à plus de transparence et d’intégrité, 10% seulement estiment que les hommes et les femmes politiques disent plus la vérité aujourd’hui qu’il y a trente ans. Avec 3% en Espagne et en Hongrie, 4% au Royaume-Uni et en Suède, on ne peut pas dire que l’Europe se distingue, la France se situant à 11%.
En revanche, dans certains pays en développement, comme l’Inde ou la Malaisie, l’essor économique et de l’Internet s’accompagne du sentiment que les politiques évoluent, parfois sous la contrainte : on l’a vu en Malaisie avec l’inculpation de l'ex-Premier ministre, Najib Razak, pour détournements de fonds dans le cadre d'un scandale financier impossible à dissimuler plus longtemps…
De même, 57% pensent qu’il y a plus de mensonges et d’interprétations sciemment erronées chez les politiques et les médias qu'il y a 30 ans. C’est en Afrique du Sud que le score atteint son maximum à 71%, le minimum étant au Japon (40%). Avec 51%, les Français hésitent, un chiffre à rapprocher des 80% qui déclarent ne pas avoir confiance dans les partis politiques, pas plus que dans les médias (70%)[2].
Alors que l’on parle de société de la surinformation, que l’accès à la connaissance n’a jamais été aussi répandu, rapide ou facile, seulement 39% des citoyens du monde ont l’impression d’en savoir vraiment plus sur les réalités politiques et sociales dans leur propre pays, contre 30% qui pensent en savoir moins qu’il y a trente ans. À 47%, la Suède se positionne à nouveau comme le pays le plus sceptique, suivie par l’Allemagne (42%) et la Belgique (39%).
Parmi les sujets qui inquiètent les opinions publiques, que les politiques et les médias agitent selon l’actualité et les campagnes électorales, on sait que la criminalité et l’immigration figurent en bonne place. À l’échelle mondiale, 59% affirment avoir une idée juste de ces deux phénomènes, un chiffre qui ne doit pas masquer les disparités entre les pays, de la Turquie (76%) au Japon (28%), en passant par la France (42%). 
Les médias et les politiques donnent donc l’impression de jouer au chat et à la souris avec leurs opinions publiques, chacun se croyant plus malin que les autres.
Est-ce grave du point de vue de l’opinion elle-même ?
Ironiquement, pas tant que ça. 
Parce que, de toute façon, chacun croit ce qu’il veut, la plupart des gens n’ayant plus rien à faire des informations sur la politique et la société en général pour 60% des interviewés dans le monde.
Parce que chacun vit dans sa bulle, dans un écosystème ouvert exclusivement aux personnes qui pensent comme lui, pour 65%.
Parce que c’est à chacun de se débrouiller, 63% étant convaincus qu’ils sont, eux, tout à fait capables de distinguer les informations authentiques des fausses nouvelles, contre 41% qui pensent que les autres sont en mesure de le faire aussi bien. 
Attaquer systématiquement les médias et les canaux d’accès à l’information (blogs, moteurs de recherche, algorithmes, etc.), les obliger à monter au front pour se défendre comme des coupables, est donc assez malin pour se positionner du côté exclusif du « peuple », surfer sur ses doutes, flatter son individualisme, fabriquer de la complicité sur le thème « les élites vous méprisent », « le politiquement correct masque les vérités qui dérangent », « je suis comme vous ».
Éliminer les médias et les assimiler à des manipulateurs, jouer la sincérité avec le simulacre de tweets - cris du cœur d’un homme en colère, incarner le seul vrai acceptable, cette petite musique se transformera-t-elle en fanfare populiste lors des élections législatives du 9 septembre 2018 en Suède ?

[1] Étude Ipsos Global Advisor Fake news, “bulles de filtres”, post-vérité et confiance réalisée online, du 22 juin au 6 juillet 2018, sur 19 243 personnes dans 27 pays : Afrique du Sud, Allemagne, Arabie Saoudite, Argentine, Australie, Belgique, Brésil, Canada, Chine, Chili, Corée du Sud, Espagne, France, Hongrie, Inde, Italie, Japon, Malaisie, Mexique, Pérou, Pologne, Russie, Serbie, Suède, Turquie, UK et USA. Les personnes interrogées sont âgées de 18 à 64 ans au Canada et aux USA et de 16 à 64 ans dans les autres pays. Environ 1000 personnes ont été interrogées en Allemagne, en Australie, au Brésil, au Canada, en Espagne, en France, en Italie, au Japon, au UK et aux USA et environ 500 personnes dans les autres pays.
[2] Fractures Françaises 2018 - Vague 6, Ipsos/Sopra Steria pour Le Monde, la Fondation Jean Jaurès et Sciences Po « Programme Viepol », 998 personnes constituant un échantillon représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus. Du 27 juin au 2 juillet 2018.

Auteur(s)

  • Yves Bardon
    Yves Bardon
    Directeur du programme Flair, Ipsos Knowledge Centre

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