La lente asphyxie de la droite traditionnelle

Depuis novembre 2015, l'enquête électorale réalisée par Ipsos-Sopra Steria pour le Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof), la Fondation Jean Jaurès et Le Monde interroge un vaste panel de Français sur leur position politique et leurs attentes, sur le jugement qu'ils portent sur les partis et les leaders politiques, sur leurs intentions de vote. A trois mois des élections européennes, IPSOS Sopra Steria, le Cevipof, la Fondation Jean Jaurès et Le Monde ont décidé de faire le point en auscultant le même panel. Sur les plus de 20 000 personnes sondées à l’origine, 10 002 sont restées fidèles et ont été réinterrogées entre le 15 et le 21 février. Cela constitue un échantillon toujours sans équivalent et permet de mesurer finement les évolutions récentes de l’opinion.

On ne prend pas assez la mesure de ce que signifie un possible score de 12% aux élections européennes pour la liste LR. C’est à la fois le signe d’une asphyxie sans précédent de la droite traditionnelle mais aussi, la cause d’un dérèglement plus général du système politique, dont les Gilets Jaunes sont une des lointaines répliques. Les faits tout d’abord : en 2007, Nicolas Sarkozy obtient 31,2% des suffrages au 1er tour de la présidentielle. En 2012,  27,2%. En 2017, F. Fillon 20%. Demain peut-être, la liste LR 12% aux européennes. Pourquoi ?

D’abord parce  que les sympathisants LR sont faiblement mobilisés : 49% seulement, contre 42% pour l’ensemble du corps électoral. C’est peu pour une famille politique sociologiquement âgée et traditionnellement participationniste. De même, les certitudes de choix adossées à ce 12% sont plutôt basses : 57% ou 53% selon l’offre présentée. Il y a donc des raisons spécifiques à ce faible niveau et cette faible appétence. Elles tiennent principalement au positionnement des LR qui n’est clair ni sur l’Europe, ni sur Emmanuel Macron, ni sur les Gilets Jaunes.

Sur l’Europe, les héritiers du « projet européen tel qu’il est actuellement mis en place » sont bien identifiés par les Français : pour 57% d’entre eux, c’est LREM, bien plus que pour tout autre formation. Et ceux qui y sont totalement opposés sont tout aussi clairement identifiés : 78% désignent le RN, 62% DLF. Le 1er problème des LR est là et c’est un problème de fond comme de lisibilité : ils ne sont ni des opposants résolus capables d’incarner cette sensibilité (18% seulement des Français les perçoivent comme tel) ni des fervents soutiens (38% seulement) mais des soutiens critiques : oui à l’Europe mais pas celle là (44%). Une position d’autant plus difficile qu’au sein même des sympathisants LR, 16% sont des fervents et 17% des opposants résolus. Une perte aux deux bouts de l’omelette que LREM d’un côté, le RN et NDA de l’autre, peuvent récupérer. Quand on mesure cependant que 62% des sympathisants LR éprouveraient « de grands regrets si l’Union européenne était abandonnée » et 12% seulement « un vif soulagement » (et 26% de l’indifférence), la cause est claire : les LR auraient eu intérêt à rester, sans tergiverser et avec clarté, dans le camp des pro-européens. Avoir abandonné cet actif politique au profit de LREM est une perte grave.

Sur Emmanuel Macron, les choses sont plus simples encore : 58% des sympathisants LR le positionnent soit au centre droit (26%), soit à droite (30%) ou très à droite (2%). Difficile dans ces conditions de s’y opposer frontalement. Par ailleurs, 50% l’apprécient : 16% son action et sa personnalité, 17% son action mais pas sa personnalité et 17% sa personnalité mais pas son action. Conséquence : 33% seulement des sympathisants LR voteront aux européennes pour manifester leur opposition contre 59% qui le feront sans tenir compte de leur jugement - et 8% pour le soutenir. Alors que le scrutin européen s’y prête traditionnellement, le moteur d’une mobilisation sanction est très absent chez les LR …mais fonctionne très bien en revanche au RN (64%) et dans une moindre mesure à gauche (41%).

Troisième élément, l’attitude à l’égard des Gilets Jaunes : 42% des LR sont opposés à ce mouvement, 23% le soutiennent (et 35% ni l’un ni l’autre). Là encore, les proportions ne plaident donc pas, à droite, en faveur d’un soutien à un mouvement trop vite apparu comme une belle occasion de s’opposer au Président.

Un résultat, terrible, résume cette asphyxie ou cette impasse stratégique : 42% seulement des électeurs de François Fillon voteraient pour la liste LR. Vers où partent tous les autres ? Principalement vers la liste de LREM : 26%. A l’inverse, le RN campe solidement sur ses bases : 71% des électeurs de Marine Le Pen voteraient pour la liste RN et 5% seulement pour les LR. Les LR n’ont donc rien détaché ou presque du FN, n’ont pas empêché pour autant une petite fuite des électeurs de François Fillon vers le RN (11%) et vers DLF (7%) mais ont détourné plus du quart de l’électorat filloniste vers LREM. 

Conclusion : la droite n’est réellement forte que quand elle est pro-européenne, capable d’agréger la droite et le centre droit et apte à faire de réelles propositions sur les questions économiques et sociales d’abord, régaliennes ensuite. Nicolas Sarkozy sut parfaitement le faire en 2007 mais pas en 2012, s’abandonnant au mirage de la ligne identitaire. François Fillon remit sur le tamis cette difficile synthèse avant d’exploser en vol. Les LR d’aujourd’hui n’y parviennent pas, ou pas pour l’instant.

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Auteur(s)

  • Brice Teinturier, Directeur Général Délégué France, Ipsos
    Brice Teinturier
    Directeur Général Délégué France, Ipsos (@BriceTeinturier)
  • Federico Vacas
    Federico Vacas
    Directeur de département - Public Affairs

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