La société idéale de demain aux yeux des Français

Ipsos pour la Fondation Jean-Jaurès en partenariat avec la CFDT, a mené une enquête d’opinion sur « La société idéale de demain aux yeux des Français » en mars 2023. Cette enquête tire des enseignements sur de nombreuses thématiques abordées, comme l'état de la société, les lieux de vie et les mobilités, les relations familiales, l'individu et la communauté, l'éducation et l'école, le travail et le temps libre, la réussite et l'argent, la valeur socio-économique, les rythmes de vie, les modes de consommation, les nouvelles technologies, la santé ou encore la sexualité.

Auteur(s)
  • Mathieu Gallard Directeur d'Études, Public Affairs
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Ce qui rassemble les Français

Les Français sont quasi-unanimes à penser qu’il faut changer la société française actuelle, avec 5 % d’entre eux seulement qui estiment qu’il faudrait « la laisser dans son état actuel ». Une volonté de modification assez profonde se fait jour dans l’enquête : 59 % des personnes interrogées qui jugent qu’il faudrait « réformer la société en profondeur » ou la « transformer radicalement », contre 36 % qui ne souhaitent que des « aménagements ». La volonté de réforme de la société ne varie que peu en fonction de l’âge ou de la catégorie sociale, mais les sympathisants de droite radicale sont beaucoup plus enclins à souhaiter une transformation profonde voire radicale.

Si les Français sont divisés sur le type de démocratie (représentative ou directe) qui a leur préférence, l’hypothèse d’un rejet de la norme démocratique en elle-même reste extrêmement minoritaire : seuls 7 % des Français préfèreraient pour le pays « un dirigeant fort élu sans contre-pouvoirs », 6 % un système où « un groupe d’experts décident de la loi » et 2 % un système où « l’armée décide de la loi ». Ces options autoritaires sont marginales dans l’ensemble des sous-catégories socio-démographiques ou politiques de la population.

Les Français ressentent avant tout un sentiment d’appartenance à leur famille, et dans un second temps à leur pays et à leur groupe amical. Les autres types d’appartenance sociaux (l’humanité, voisinage, groupe religieux ou sexuel…) ou territoriaux (région, ville, Europe) sont nettement plus minoritaires.

Les éléments qui contribuent aux yeux des Français à renforcer ce sentiment d’appartenance à leur pays sont avant tout les célébrations traditionnelles, qu’elles soient solennelles et portées par l’État (les commémorations historiques, le défilé du 14 juillet…), nationales et festives (la fête du travail, les fêtes religieuses fériées, la fête de la musique…) voire très locales (les fêtes des écoles et les kermesses).

Néanmoins, les Français valorisent aussi dans une certaine mesure la diversité : à une courte majorité, ils jugent qu’il est préférable de reconnaître et de valoriser les identités multiples (en termes de genre, de religions, d’origine, de sexualité…) des individus qui composent la société.

En termes de cadre de vie, les Français mettent l’accent sur le calme et la tranquillité, autant d’aspects qu’ils valorisent dans le choix d’un lieu d’habitation. Le corollaire est l’importance de l’espace privé (rejet de l’habitat collectif) et notamment du jardin, de la proximité de la nature, mais aussi des relations sociales apaisées avec le voisinage (espace, nature, jardin…). Sans surprise, le modèle de « ville nature » mettant l’accent sur la protection de l’environnement et de la biodiversité est privilégié, et dans l’idéal, les Français préfèreraient se déplacer au quotidien grâce à la marche à pieds et aux transports en commun. Autre aspect important dans le choix des Français en matière de cadre de vie : la présence à proximité des services publics (santé, école, poste, commissariat…).

En ce qui concerne la vie familiale, l’idéal du couple reste très fort dans la population française, et même le mariage reste une situation idéale pour un peu plus d’une personne sur deux. De plus, avoir des enfants est un objectif largement partagé (seuls 15 % des Français n’en souhaitent pas), une famille composée de deux enfants étant l’idéal aux yeux d’un sondé sur deux. La fidélité au sein du couple reste aussi un idéal pour 70 % des Français. Pour autant, ce rapport relativement classique d’une majorité des Français à l’idéal familial n’empêche pas une forte acception des modèles alternatifs : couples sans enfants, couples homosexuels et homoparentaux, célibat…

En matière d’éducation, les Français souhaitent très majoritairement que l’école éveille les enfants et leur donne le goût de la curiosité ainsi qu’un esprit critique par rapport à des options davantage marquées par l’autorité (effort et discipline) ou par l’utilitarisme (préparation à la vie active). Mais parallèlement, ils souhaitent aussi que l’école se concentre avant tout sur l’enseignement des matières fondamentales (français, mathématiques, histoire). Enfin, ils désirent que l’institution scolaire évolue dans un sens qui en ferait un cadre plus accueillant (lutte contre le harcèlement), plus adapté (mois d’élèves par classe, plus de matériel) et où l’autorité des enseignants sera mieux reconnue par les élèves et leur place valorisée dans la société française.

En matière de rapport au travail, les idéaux d’une société reposant sur significativement plus ou sur significativement moins de travail ne font pas florès : une nette majorité de Français souhaite une société où l’on travaille à peu près autant, ou bien où l’on alterne les périodes avec plus ou moins de travail selon les périodes de la vie.

Les modèles traditionnels en matière de travail et d’emploi se maintiennent. Ainsi, une nette majorité de Français souhaite travailler dans des structures « classiques » (entreprise privée, fonction publique), mais très peu comme auto-entrepreneur ou dans une start-up. De même, ils préfèrent travailler dans une ou deux entreprises tout au long de leur carrière plutôt que multiplier les changements d’employeurs, et favorisent une carrière où ils se spécialiseraient dans un seul métier leur permettant de développer de nombreuses expertises – même les jeunes partageant ces opinions. En revanche, dans la vie professionnelle comme dans la vie démocratique, la volonté de davantage d’horizontalité est très forte : ainsi, un système de cogestion des entreprises entre dirigeants et salariés est largement approuvé.

En matière de rythmes de vie, les Français sont partagés sur le temps libre dont ils disposent entre ceux qui estiment en avoir suffisamment et ceux qui n’en ont pas assez. Dans le même temps, une nette majorité juge aussi que la vie va trop vite et se sent dépassée, et notamment à propos de l’évolution des rythmes de vie. S’ils avaient davantage de temps libre, les Français souhaiteraient avant tout le passer avec leur famille, avec leurs amis, ou en voyageant.

Dans le détail, le sentiment que les choses vont trop vite est très fort en ce qui concerne l’information, ce qui explique sans doute pourquoi les Français pensent majoritairement qu’il faudrait réduire la place des chaînes d’information en continu et des réseaux sociaux comme source d’information. Le sentiment d’être dépassé est aussi extrêmement présent à propos du développement des nouvelles technologies : une majorité est inquiète voire effrayée par certaines perspectives liées au développement de la robotisation, du transhumanisme ou des réalités virtuelles. Même chez les plus jeunes, le sentiment d’être à rebours des évolutions technologiques est très répandu.

Le rejet des inégalités sociales est un sujet qui rassemble les Français : une large majorité juge qu’elles sont naturelles en ce sens « qu’il y en a toujours eu et qu’il y en aura toujours », mais aussi qu’elles atteignent un niveau qui est trop important aujourd’hui. De fait, six Français sur dix estiment que dans l’idéal, l’écart entre le salaire le plus faible et le salaire le plus élevé dans une société devrait être de un à dix – une opinion qui fait relativement consensus dans la population. Par ailleurs, une majorité pense que le fait de gagner beaucoup d’argent devrait moins être valorisé dans la société.

Dans ce contexte, les Français souhaitent très majoritairement aller vers une société avec une protection sociale forte permettant de réduire les inégalités, même si cela conduit à donner une faible place aux libertés individuelles et à l’esprit d’entreprendre. De même, ils jugent plus important de disposer de services publics solides et répartis sur tout le territoire plutôt que de bénéficier de baisses d’impôts significatives.

En termes de consommation, l’idéal de la propriété privée pour les biens importants (logement, voiture…) reste très fort. Cela n’empêche pourtant pas les Français de jeter un regard critique sur la société de consommation : une très large majorité estime qu’il faudrait réduire la place de la publicité dans la société. Dans le même ordre d’idée, les évènements les plus clairement associés à la surconsommation comme le Black Friday ne bénéficient pas d’une image très favorable, et les Français souhaiteraient, dans une société idéale, pouvoir privilégier les achats dans des petits commerces spécialisés plutôt que dans des grandes surfaces ou sur internet.

Enfin, les Français se montrent relativement favorables à certaines mesures qui pourraient être prises afin de réduire leur consommation et par là même leurs émissions carbone : fixer une limite au nombre de collections annuelles des marques de vêtements, interdire la vente de produits alimentaires hors-saison importés, fixer une limite aux déplacements annuels en avion, voir à l’utilisation du numérique (mails, vidéo haute définition…).

 

Ce qui divise les Français

L’idéal démocratique reste très majoritairement ancré dans la population, seule une minorité presque marginale de Français préférant des options « illibérales », autoritaires ou un régime dominé par les experts. Toutefois, aucun consensus n’émerge quant à la forme idéale que doit prendre un système démocratique : 45 % des Français préfèrent une démocratie représentative, appuyée sur des représentants d’élus votant la loi, contre 40 % qui se tournent davantage vers une démocratie participative ou directe, dans laquelle le peuple délibère et vote directement les lois par des référendums, des assemblées délibératives ou tirées au sort.

Le positionnement des citoyens vis-à-vis du système démocratique idéal est un sujet sur lequel les écarts sont massifs entre les différentes catégories socio-démographiques de la population : les jeunes, les catégories populaires, les sympathisants des partis radicaux se rangent très nettement en faveur de la démocratie directe, alors que les séniors, les catégories moyennes et supérieures et les soutiens des partis modérés se prononcent massivement pour une démocratie représentative.

Les Français se montrent par ailleurs partagés sur certaines évolutions sociétales majeures. Si 31 % d’entre eux estiment que « l’évolution des mœurs » va « trop lentement » et si 26 % pensent qu’elle va « au bon rythme », 39 % jugent néanmoins qu’elle va « trop vite ». Les séniors pensent majoritairement qu’en ce domaine les choses vont trop vite (52 % chez les 70 ans et plus), quand les moins de 25 ans ne sont que 27 % à être de cette opinion.

Enfin, un autre enjeu divise fortement les Français dans leur rapport au monde social : une petite majorité (53 %) estime qu’il faut mettre en valeur les identités multiples (genre, religion, origine, sexualité…) des individus, contre 47 % qui souhaitent avant tout valoriser ce que les individus ont en commun. Si des différences générationnelles existent avec des jeunes qui mettent un peu plus en avant les caractéristiques individuelles que la moyenne (57 %), le clivage est avant tout politique : les sympathisants de droite (LR, RN, Reconquête) souhaitent valoriser ce que les citoyens ont en commun, alors que les proches des partis de gauche et du centre favorisent davantage la valorisation des identités multiples des individus.

Les Français se montrent très divisés vis-à-vis du type de structure au sein de laquelle ils préfèreraient travailler dans l’idéal : 28 % favoriseraient une grande entreprise privée, 27 % une PME-TPE et 25 % dans le secteur public. En revanche, seuls 10 % souhaiteraient être auto-entrepreneurs, 7 % travailler dans une association ou une ONG et 3 % dans une start-up. On relève très peu d’écarts en termes de genre ou de génération sur cette question. Autre question qui divise, celle de l’organisation du travail : 37 % des Français continuent à préférer un lieu de travail unique, alors que 32 % se disent en faveur d’une alternance entre présentiel et télétravail. Les alternatives et notamment le télétravail complet font en revanche peu recette. Là encore, les écarts sont assez peu marqués, notamment en termes de générations.

Interrogés sur le type de carrière qui leur semble la plus attractive, les Français sont assez divisés : si 56 % préfèrent « avoir un seul métier tout au long de sa vie professionnelle dans lequel on acquiert peu à peu une très forte expertise », 44 % feraient plutôt le choix de « changer fréquemment de métier tout au long de sa vie professionnelle, et de pouvoir développer de nombreuses expertises ».

Plus largement, les Français vivent de manière très différentes les évolutions du monde du travail : 35 % pensent que dans ce domaine, les changements vont « trop lentement », quand 35 % estiment qu’ils vont au « bon rythme » et 26 % « trop vite ». Les moins de 35 ans sont plus enclins à estimer que les évolutions dans le domaine du travail sont trop lentes, mais même chez eux les réponses restent relativement clivées.

Au-delà du rapport au travail, les Français sont aussi assez partagés quant à leur rapport au temps libre : 47 % pensent qu’ils en ont suffisamment contre 45 % qui disent ne pas en avoir assez (seuls 8 % estiment en avoir « trop »). Les différences générationnelles sont très marquées : le sentiment de ne pas avoir assez de temps libre dépasse les 50 % dans toutes les classes d’âge sous les 60 ans. En revanche, chez les 60 ans et plus, plus de sept répondants sur dix disent en avoir suffisamment.

Le rapport à l’argent et surtout à la richesse divise fortement les Français : si 51 % sont d’accord avec l’idée selon laquelle avoir beaucoup d’argent « fait perdre le sens des valeurs qui comptent vraiment et ne rend pas plus heureux », 49 % estiment au contraire que « cela rend libre et cela contribue fortement au bonheur ». Ce sujet du rapport à l’argent clive fortement, notamment entre les générations : les moins de 35 ans sont 58 % à penser que la richesse contribue fortement au bonheur, alors que les 60 ans et plus sont 61 % à estimer qu’elle ne rend pas plus heureux. Un sujet qui suscite aussi, sans surprise, de forts clivages politiques : 63 % des Français qui se situent « très à gauche » pensent que « l’argent ne rend pas heureux », quand 62 % de ceux qui se positionnent « très à droite » pensent le contraire.

Par ailleurs, les facteurs qui devraient justifier la richesse ne font pas consensus dans l’opinion : 40 % estiment que le fait d’avoir fait des découvertes scientifiques ou techniques ayant bénéficié au plus grand nombre devrait justifier la richesse (dont 48 % à gauche), quand 37 % estiment qu’elle devrait être justifiée par le fait d’avoir énormément travaillé, 30 % par le fait d’exercer une activité utile à la société ou 28 % par le fait d’avoir créé de nombreux emplois.

Au-delà de la question de l’argent, le rapport à la consommation est aussi un sujet de clivage dans la société française actuelle : 51 % des Français se disent en faveur d’un modèle de société dans lequel « les individus ne peuvent plus acheter tout ce qu’ils veulent et doivent se restreindre en fonction de certains principes environnementaux ou éthiques », contre 49 % qui préfèrent une société où « les individus peuvent acheter et consommer autant qu’ils le veulent et en toute liberté, selon leurs envies du moment ». Les électeurs de gauche sont davantage en faveur de limites à la société de consommation (72 % chez EELV, 61 % à la LFI, 56 % au PS), quand ceux de droite restent attachés à la liberté de consommer (66 % chez Reconquête, 63 % au RN). Dans ce contexte, certaines évènements perçus comme « commerciaux » clivent : ainsi, 27 % des Français apprécient le « Black Friday », contre 29 % qui ne l’aiment pas.

Dernier grand sujet qui ne fait pas consensus dans l’opinion, celui du rapport à la famille et au couple. Si on a vu que l’idéal du couple restait fort, il n’a pas la même signification pour l’ensemble des Français. Ainsi, 29 % d’entre eux estiment qu’il est préférable de « rester en couple avec la même personne toute sa vie », quand 25 % pensent qu’il vaut mieux « avoir été en couple avec deux ou trois personnes au cours de sa vie ». 35 % des Français sont vraiment partagés entre ces deux options, et 11 % n’ont pas d’avis sur la question. Des différences générationnelles non-négligeables structurent les réponses à ces questions, avec des moins de 35 ans plus enclins à penser que l’idéal est d’avoir été en couple plusieurs fois (30 %), là où les 60 ans et plus jugent davantage qu’il est préférable d’avoir été en couple avec une seule personne tout au long de sa vie (34 %) – mais au sein de chaque tranche d’âge, des perceptions différentes cohabitent néanmoins. Des écarts importants existent aussi selon que les répondants soient mariés, en union libre ou célibataires.

Toujours dans le contexte de la cellule familiale, l’évolution des relations entre les parents et les enfants est un autre sujet sur lequel les Français ont des opinions divergentes : ainsi, 36 % d’entre eux pensent que ces relations changent « trop vite », 17 % « trop lentement » et 43 % « au bon rythme ». Des différences générationnelles assez larges existent dans ce domaine : les moins de 35 ans sont plus enclins que la moyenne à juger que ces relations parents-enfants évoluent trop lentement, alors que les personnes ayant entre 35 et 59 ans (et donc situées dans les tranches d’âge ayant le plus d’enfants au foyer) estiment davantage que ces relations changent trop vite. Sans surprise, une dimension idéologique existe aussi sur cette question : les personnes se positionnant à gauche sont plus enclines que la moyenne à estimer que les relations parents-enfants changent « au bon rythme », alors que chez les Français de droite, une majorité (41 %) pense qu’elles évoluent « trop vite ».

 


A propos de cette étude

Enquête menée en ligne auprès de 8 700 personnes, constituant un échantillon national représentatif de la population française, âgée de 18 ans et plus, du 23 au 31 mars.
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Auteur(s)
  • Mathieu Gallard Directeur d'Études, Public Affairs

Société