Les droits humains, le tropisme français

L’étude Ipsos Global Advisor réalisée sur la perception des Droits humains met en lumière un paradoxe : plus les droits humains et les libertés fondamentales semblent acquis, moins les populations se sentent concernées, impliquées, attachées et s’en préoccupent. De ce point de vue, les Français sont, comme souvent, un modèle et une exception...

Près d’un tiers des Français considère qu’en France, tout le monde ne bénéficie pas des mêmes droits fondamentaux (contre 43% à l’échelle mondiale) ; la même proportion (35%) pense que les atteintes aux droits sont un vrai problème en France. Les Français sont même très nombreux à penser que certaines personnes en tirent des avantages injustifiées (53%), voire abusent des droits qui leur sont reconnus : près de 30% affirment que « les seules personnes qui bénéficient des droits sont celles qui le méritent le moins, comme les criminels et les terroristes ».
On relève dans ces chiffres une association construite dans les esprits depuis 2015 à la faveur des débats sur l’état d’urgence, entre état de droit et état de faiblesse, et sur les risques qui pèsent sur la société. Il y a moins de deux ans, 61% des Français (dans l’échantillon de l’étude Global Advisor Immigration tracker1) affirmaient par exemple que des terroristes allaient se mêler aux réfugiés pour entrer dans leur pays. 
Les droits humains seraient, pour une partie de la population, l’une des sources de notre vulnérabilité face aux diverses menaces. Si 63% estiment que les droits humains sont importants pour construire une société plus juste, cette perception est nettement inférieure à celle de pays comme la Colombie (91%), le Pérou (84%), la Turquie (82%), le Chili (81%), la Malaisie et le Mexique (80%) ou la Chine (79%) et la Russie (76%).
Si 68% des Français pensent qu’une Loi spécifiquement dédiée à la protection des droits humains est utile (contre 78% à l’échelle mondiale), ils sont aussi très balancés sur ses bénéfices personnels et quotidiens : 38% pensent qu’elle améliore leur vie, 36% ne partagent pas cette idée.
En ce qui concerne les populations concernées en priorité, les avis divergent selon la place accordée aux réfugiés. Bien sûr, les enfants, les personnes handicapées, âgées et les femmes sont les quatre groupes prioritaires à l’échelle mondiale (respectivement 56%, 48%, 44%, 38%). À l’opposé, les minorités religieuses, les détenus ou les immigrés ne sont pas considérés comme prioritaire dans la protection de leurs droits
Les migrants permettent d’apprécier la manière dont les opinions et les gouvernements s’accordent : seulement 9% des Hongrois considèrent qu’ils sont éligibles à la reconnaissance de leurs droits, en ligne avec la politique de fermeture menée par le Président Orban. Inversement, alors que l’Australie a le même positionnement vis-à-vis de l’immigration, 24% des Australiens jugent que les droits des migrants doivent être reconnus, un des scores les plus élevés des vingt-sept pays interrogés.
À 15%, les Français sont encore moins susceptibles de soutenir la politique de protection des droits des migrants que la moyenne de l’échantillon (19%). Un écart que l’on retrouve dans leur réponse à l’égard des réfugiés (20%, contre 24% au niveau mondial).

Quels sont les droits les plus importants ?

La liberté d’expression est essentielle pour 32% à l’échelle mondiale (35% en France), suivie par le droit à la vie à 31% (15% en France).
Les autres droits majeurs sont la non-discrimination (en fonction de l’origine ethnique ou sociale, du genre, de la religion) avec 26% (19% en France), exactement au même niveau que l’égalité devant la Loi et dans les mêmes proportions, le droit à la liberté de pensée et de religion à 25% (23% en France), le droit à la sécurité avec 24% (19% en France), le droit à l’accès aux soins (gratuit ou très bon marché) avec 19% (15% en France). Le droit d’avoir une arme marque un clivage important entre les États-Unis et le reste du monde, 15% contre 3%.
La France reflète le niveau mondial à l’égard du droit à la liberté (26%) et à la gratuité de l’éducation des enfants (20%), du droit de vote (17%). Elle se distingue par l’importance attribuée à la protection contre le travail forcé ou l’esclavage (24% contre 20%) et au droit à la vie privée (22% contre 19%). 
On mesure ici l’importance de l’histoire des pays, du sentiment de vulnérabilité personnelle, de l’expérience concrète dans les pays où les droits humains sont inexistants ou récents, peu protégés ou garantis depuis peu, où des sensibilités s’expriment indépendamment (ou non) de l’action des gouvernements.
On voit aussi combien la liberté d’opinion et de pensée, l’équité dans le traitement des personnes, l’accès de tous à l’éducation et à la santé, comme à un travail choisi, marquent des lignes de clivages entre les pays : ce qui, ici, semble banal peut s’avérer un acquis précieux, une aspiration, voire un combat éthique et social, ailleurs.
 

1 Global Advisor Immigration tracker 2011-2016. Étude réalisée par Ipsos dans 22 pays, du 24 juin au 8 juillet 2016, sur 16 040 individus constituant un échantillon représentatif de la population âgée de 16 à 64 ans, via l’Ipsos Online Panel system. Les pays interrogés sont : Afrique du Sud, Allemagne, Arabie-Saoudite, Argentine, Australie, Belgique, Brésil, Canada, Corée du Sud, Espagne, États-Unis, France, Hongrie, Inde, Italie, Japon, Mexique, Pologne, Royaume-Uni, Russie, Suède et la Turquie.
 


Retrouvez la tribune de Chloé Morin pour Le Monde 


Fiche technique : 
Global Advisor Human Rights, 2018. Étude réalisée online, du 25 mai au 8 juin 2018 dans 28 pays : Afrique du Sud, Allemagne, Arabie Saoudite, Argentine, Australie, Belgique, Brésil, Canada, Chili, Chine, Colombie, Corée du Sud, Espagne, États-Unis, France, Hongrie, Inde, Italie, Japon, Malaisie, Mexique, Pérou, Pologne, Royaume-Uni, Russie, Serbie, Suède et Turquie.

Auteur(s)

  • Yves Bardon
    Yves Bardon
    Directeur du programme Flair, Ipsos Knowledge Centre

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