Marque engagée ou marque engageante ? L’importance d’un alignement stratégique

Pour un engagement réussi, les marques doivent choisir des causes qui résonnent avec leurs valeurs et les préoccupations de leur public. Découvrez comment créer des liens authentiques et éviter les pièges d'un engagement mal aligné.

Depuis 2023, Ipsos est mécène de la Chaire Marques & Valeurs à La Sorbonne. Ce partenariat vise à faire progresser la recherche pour mieux comprendre les marques, en associant les réflexions des experts d'Ipsos à celles des universitaires pluridisciplinaires de la Chaire. Ce rapprochement a pour ambition de faire avancer la recherche pour mieux comprendre la marque, en associant les réflexions des experts d’Ipsos et des universitaires pluridisciplinaires de la Chaire. Entamé depuis début 2023 et pour horizon trois ans, ce partenariat aura pour objectifs de mieux explorer l’impact de l’engagement des marques, et avancer dans la compréhension de leurs rôles dans les évolutions de la société.

Cette analyse d'Arnaud Caré, directeur général Brand Health Tracking, a été présentée le 4 avril 2024 à l'occasion de la conférence "L'engagement des marques peut-il avoir de l'impact" organisée par Ipsos et l'IAE Paris-Sorbonne Business School.


La relation entre les marques et les causes qu’elles soutiennent (égalité homme-femme, LGBT+, personnes en situation de handicap, planète, cybercriminalité, usage raisonné des réseaux sociaux, etc.) a changé en évoluant de marque engagée à marque engageante.

De la marque engagée à la marque engageante : un changement de perspective

Dans le premier format, une marque déclarait qu’elle s’engageait pour tel ou tel enjeu de société dans une démarche d’auto-proclamation sans trop s’intéresser à l’impact de cet engagement sur la cause elle-même ; elle était assez fière de se dire engagée, ne précisant d’ailleurs pas par qui, comme si cette tournure passive la satisfaisait.

Dans le second, la perspective change. La marque ne choisit plus une cause en pensant que c’est une fin en soi, mais le fait en prenant en considération le sort et le devenir de la cause. Ce changement permet d’éviter les accusations de green ou de pink washing – et le bashing qui en résulte – parce que le consommateur peut s’assurer que tout ce que fait la marque a un effet réel : elle apporte la preuve et le résultat de son engagement, qui légitiment son lien avec la cause, au sens actif du mot. Le consommateur n’est plus dans une forme passive de réception top down classique mais partage les valeurs d’une marque qui a vraiment prise sur les choses et agit réellement pour améliorer la vie des gens.

L'importance de l'alignement entre valeurs de la marque et préoccupations de la communauté

Une marque engageante parvient à s’engager sur des valeurs ou des sujets auxquels sa communauté est déjà sensible et va stimuler les motivations profondes qui la caractérisent. Elle ne prend plus un sujet au hasard mais peut être beaucoup plus sélective parce que notre enquête «Marques et RSE : sacrifice nécessaire, ou investissement gagnant»[1] montre de quelles causes et de quelles marques les Français se sentent le plus proches. Elle révèle 18 % de liens particulièrement puissants, par exemple, les fans de Groupama sont les plus engagés dans la lutte contre la déforestation, ceux de Netflix pour les droits des femmes, ceux de Ricard pour la sauvegarde des cultures et savoir-faire traditionnels, ceux d’Absolut en faveur de l’inclusion, et ceux de Bic pour la promotion de la diversité, etc.

Exemples de liens naturels entre les marques et les causes

Mais qui est l’oeuf et qui est la poule ? Est-ce la variété et l’accessibilité des produits signés par Bic (stylos-bille et à encre, Bic 4 couleurs, feutres d’écriture, stylos-plume, crayons, accessoires, bodyMark et coloriages, rasoirs, briquets, collections...) qui font aimer la marque parce que les Français les transposent en vocation et rôle social ? Ou est-ce son positionnement (« La diversité et l’éducation font partie intégrante de notre ADN ») que les Français décodent au travers de ses produits ? La marque a toujours défendu la diversité des opinions, des cultures et des gens, et les consommateurs sont fondamentalement convaincus que l’idée à l’origine du stylo-bille de Bic est d’être accessible pour permettre à chacun d’écrire sa singularité et de s’exprimer. Les différences de styles et de couleurs des briquets, comme les rasoirs développés pour des pilosités diverses et variées, sont d’autres traductions du même ADN.

En ce qui concerne Groupama, l’entreprise agit en effet depuis 20 ans sur la déforestation grâce à un maillage qui lui permet d’être partout en France, notamment auprès des ceintures et espaces vides rattachés à la forêt, avec un vrai impact social ; il n’est donc pas étonnant que les « fans » de la marque se disent très actifs et engagés sur cette cause.

Identifier les causes qui préoccupent les fans de telle ou telle marque lui permet de s’y engager naturellement en créant les conditions de la légitimer. Dans l’univers des transports, la réduction des émissions carbonées est la préoccupation des Français qui disent aimer la SNCF, avec la lutte contre les discriminations de genre. La SNCF serait donc à sa place et dans son rôle en s’engageant en faveur de cette cause, n’ayant a priori pas établi de préférence entre hommes et femmes dans sa clientèle.

Les risques d'un engagement mal aligné : imposture et effets pervers

L’intérêt de ces liens naturels entre causes et marques est double. D’abord, pouvoir associer ses forces au service de tel ou tel combat ; par exemple, les consommateurs les plus engagés dans la lutte contre le harcèlement de rue ont un point commun, se dire fans de McDo et La Roche-Posay ; sachant cela, un rapprochement entre les deux marques serait donc moins absurde qu’il n’y paraît, comme on l’a vu avec Chanel et LVMH ou Chanel et Pernod Ricard. Ensuite, éviter les effets d’imposture ou les effets pervers en plaquant une marque sur une cause avec un impact inverse à celui auquel elle prétend. Nouvelles formes de discrimination, voire stigmatisation, le risque est en effet de pointer telle ou telle catégorie de la population ou communauté pour souligner sa différence, comme on a pu le voir avec les campagnes publicitaires pour le lancement de la gamme de maillots de bain dotés d’un hijab par Nike.

L’autre risque est que la cause soit dévoyée et perdue de vue par le consommateur alors que la marque la présente comme un enjeu de consommation. La seconde main devait encourager des comportements vertueux (recyclage, moins d’achats de neuf et moins fréquemment) mais s’est transformée en effet d’aubaine pour la clientèle de la fast fashion qui achète tout et n’importe quoi dans une sorte de frénésie compulsive, le luxe y compris puisqu’il devient beaucoup plus accessible. Faute d’avoir mesuré son impact réel en étudiant les motivations profondes de ses acheteurs, la seconde main est devenue un accélérateur de consommation alors que la marque qui l’a développée croyait bien faire.

La responsabilité active : l’exemple de Doliprane

Une marque engageante fonctionne sur un principe de responsabilité active. On l’a vu avec Doliprane, perçu comme l’incarnation d’une entreprise française emblématique et la marque préférée des Français en 2021. Ceux qui se disent les plus proches d’elle sont cinq fois plus engagés que la moyenne sur la cause de la sauvegarde des cultures et savoir-faire traditionnels. Découvrir que Doliprane était made in China a profondément choqué parce que l’entreprise n’était plus le fleuron national imaginé : rapatrier la production de paracétamol en France n’est pas qu’une solution technique aux problèmes de pénurie, de main-d’œuvre et de transport, c’est une forme de réengagement symbolique.

Le parallèle avec le monde politique : l'engagement des citoyens

Existe-t-il des femmes et des hommes politiques engageant(e)s ? Nous allons appliquer notre méthodologie à l’élection présidentielle aux Etats-Unis pour identifier de quelles causes les supporters de tel ou tel candidat ou parti se disent les plus proches.

Comme les marques, les politiques activent quelque chose de bien plus puissant qu’eux : l’engagement préexistant des consommateurs et des citoyens qui les détermine (ou pas) à les coopter.


Notes

[1] 2800 Français interrogés via le panel probabiliste Ipsos KnowledgePanel

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