Antisémitisme en France : où en est-on en 2024 ?
Diversité et intégration, préjugés anti-juifs, climat ambiant, regard porté sur l'état d'Israël et le conflit avec le Hamas : un an après les attaques du 7 octobre 2023, un sondage Ipsos pour le Crif dresse un état des lieux des perceptions des Français sur l'antisémitisme et la situation des Français juifs.
Chiffres clés de l'enquête
- 79% des Français considèrent que l'antisémitisme est un phénomène répandu
- 64% jugent qu’il existe des raisons d’avoir des craintes de vivre en France lorsqu’on est juif
- 75% des Français estiment que la situation au Proche-Orient provoque une montée de l’antisémitisme
- Seuls 3% des Français n’adhèrent à aucun des 16 préjugés antisémites testés
- 89% estiment que rien ne peut justifier un acte ou une parole antisémite
- 89% des Français estiment que rien ne peut justifier un acte ou une parole antisémite.
- 50% des Français déclarent qu’Israël leur évoque quelque chose de négatif, un chiffre en forte hausse depuis 2020 (+10 points)
- 77% des Français estiment que le Hamas est une organisation terroriste.
Être juif en France : une situation perçue comme difficile, dans un contexte où certains préjugés demeurent bien ancrés
Un antisémitisme considéré comme répandu en France, et qui tend à s’aggraver...
L’antisémitisme est un phénomène perçu comme répandu par la grande majorité des Français (79%, une proportion en hausse de 4 points par rapport à 2020) et qui tend à augmenter, 70% estimant qu’il est plus présent qu’il y a quelques années (une proportion en hausse de 8 points par rapport à 2020).
Les sympathisants de la France Insoumise (LFI) se distinguent : si une majorité d’entre eux (65%) estime que l’antisémitisme est un phénomène répandu en France, c’est 14 points de moins que la moyenne, et c’est 11 points de moins qu’en 2020. De plus, seuls 41% considèrent que l’antisémitisme est plus répandu qu’il y a quelques années, là aussi à rebours de l’opinion majoritaire et en nette rupture avec les sympathisants des autres partis, notamment à gauche[1].
Pour les répondants, le conflit actuel au Proche-Orient a clairement un impact sur l’antisémitisme en France. En effet, 75% des Français estiment que la situation au Proche-Orient provoque une montée de l’antisémitisme, une opinion encore une fois sensiblement moins partagée par les sympathisants de LFI (62%) que par ceux des autres grands partis (73% au RN, 84% chez Renaissance et au PS, 88% chez LR).
Dans ce contexte, 64% des Français jugent qu’il existe des raisons d’avoir des craintes de vivre en France lorsqu’on est juif, une proportion en forte hausse par rapport à 2020 (+14 points). Les sympathisants LFI se distinguent encore une fois, 43% seulement estimant qu’il existe des raisons d’avoir des craintes, contre 71% pour les sympathisants RN et 73% pour les sympathisants LR.
Pour près de la moitié des Français (47%), les juifs n’ont aucune responsabilité dans l’antisémitisme qui existe aujourd’hui en France. Si 37% estiment que cette part est minime, on observe que près d’un Français sur six (16%) considère qu’ils ont une part significative ou très importante - résultat non négligeable en ce qu’il relève de l’inversion des responsabilités. Une proportion en hausse de 5 points par rapport à 2020. Ce sentiment est plus particulièrement fort chez les sympathisants de LFI (22%), alors qu’il est au contraire le plus faible au PS (7%) et chez EELV (10%).
…même s’il continue à susciter un rejet important de la part des Français
La grande majorité des Français interrogés se montrent inflexibles sur la question des actes antisémites : 89% d’entre eux estiment que rien ne peut justifier un acte ou une parole antisémite. Cette opinion est partagée dans des proportions similaires par les sympathisants des différentes forces politiques, y compris ceux qui se disent proches de LFI (90%).
D’autres opinions positives sur les juifs sont largement partagées par les Français : 85% estiment que les juifs sont des Français comme les autres, 84% qu’ils sont bien intégrés en France et 75% qu’ils ont apporté beaucoup aux arts, à la musique et à la littérature.
De nombreux préjugés antisémites restent fortement ancrés dans la population française
La très grande majorité de la population adhèrent à au moins un préjugé sur les juifs. Seuls 3% des Français n’adhèrent à aucun des 16 préjugés testés, une proportion stable par rapport à 2020.
Le préjugé le plus courant est que « les juifs sont très soudés entre eux » (89% des Français considèrent cette opinion comme vraie, une proportion en baisse de 3 points par rapport à 2020). Un Français sur deux estime aussi que « les juifs sont plus attachés à Israël qu’à la France » (52%, +3 points), que « les juifs disposent de lobbies très puissants qui interviennent au plus haut niveau » (49%, -1 point) ou encore que « la très grande majorité des juifs soutiennent la politique israélienne, y compris dans ses pires aspects à l’égard des Palestiniens » (48%).
Une hausse de l’adhésion à ces préjugés est observable dans la plupart des cas, même si cette hausse reste le plus souvent modérée. Au global, on constate en revanche une hausse importante de la part des Français adhérant à un grand nombre de préjugés négatifs sur les juifs : 46% adhèrent en effet à 6 opinions antisémites ou plus, une proportion en hausse de 9 points par rapport à 2020. L’antisémitisme prend donc une dimension de plus en plus construite et cohérente dans une part de plus en plus importante de l’opinion.
Les sympathisants LFI sont particulièrement concernés par cette hausse. En effet, en 2020, 38% d’entre eux adhéraient à au moins 6 opinions antisémites ; ils sont 55% cette année. On observe aussi une hausse chez les sympathisants EELV, et la proportion d’entre eux adhérant à au moins 6 opinions antisémites progresse (34% en 2024 contre 19% en 2020). A l’inverse, les sympathisants PS (29%, -7 points), LR (45%, -4 points) et RN (52%, -10 points) sont moins nombreux cette année à adhérer à au moins 6 préjugés anti-juifs.
Dans le même temps, on constate que les partis de gauche sont ceux dont les sympathisants sont les plus nombreux à adhérer à peu d’opinions antisémites : 40% des sympathisants EELV adhèrent à moins de 2 opinions antisémites, 38% des sympathisants PS et 33% des sympathisants LFI – quand ce chiffre n’est que de 22% chez Renaissance, 20% chez LR et 16% au RN.
- Il y a donc des conclusions différentes à tenir selon que l’on s’intéresse aux niveaux (l’antisémitisme reste moins répandu à gauche qu’au centre et à droite) ou aux évolutions (l’antisémitisme progresse davantage à gauche qu’à droite).
- De même, les sympathisants FI semblent divisés en deux blocs sur cette question de l’antisémitisme : une partie est clairement poreuse aux préjugés antisémites tout en minorant son importance et son impact, alors qu’une autre reste fermement opposée à l’antisémitisme.
Un antisémitisme potentiellement aggravé par les prises de position de certains partis
Malgré la stratégie de dédiabolisation mise en place par Marine Le Pen, le Rassemblement National reste un parti marqué par l’antisémitisme pour une majorité de Français (58%). Une position particulièrement partagée par les sympathisants de gauche (84% chez ceux du PS et 79% chez ceux de la France Insoumise) et du centre (71%). A noter qu’un sympathisant RN sur cinq (19%) partage cette opinion.
Les Français se montrent également sévères dans leur perception de certaines déclarations de Jean-Luc Mélenchon et de responsables de la France Insoumise : 47% estiment qu’elles vont au-delà de la critique de l’action d’Israël, sont antisémites et attisent l’antisémitisme au sein de la population tandis que 29% considèrent que si elles ne sont pas antisémites, elles peuvent attiser l’antisémitisme au sein de la population. Si les sympathisants LFI sont moins sévères sur ce sujet, on constate que plus d’un sur cinq (21%) estime tout de même que les déclarations de Jean-Luc Mélenchon et de certains responsables de la France Insoumise sont antisémites et 7% qu’elles peuvent attiser l’antisémitisme. Une très nette majorité des sympathisants EELV (72%) et PS (83%) partagent une de ces deux opinions, de même que 52% des électeurs NFP au premier tour des élections législatives.
En revanche, 24% des Français voient dans les déclarations de Mélenchon et de certains leaders de la France Insoumise des propos qui ne sont pas antisémites et expriment avant tout une critique d’Israël, en hausse de 6 points. C’est en particulier le cas des sympathisants de gauche, et notamment de LFI qui sont 79% à partager cette position.
Un contexte difficile qui explique le départ de certains juifs français
Le départ de certains juifs de France pour aller vivre en Israël ou dans d’autres pays est lié, selon les Français, à la crainte de la montée de l’antisémitisme : 62% considèrent que ce facteur explique le départ de Français juifs vers Israël, loin devant les raisons religieuses (39%) ou idéologiques (38%). Le départ vers d’autres pays s’explique aussi par la crainte de la montée de l’antisémitisme (64%), devant les raisons économiques (34%).
Ce départ des juifs Français pour aller vivre en Israël ou dans d’autres pays est considéré comme un phénomène important ou massif par 36% des Français, tandis que 52% y voient un phénomène minoritaire, mais néanmoins pas négligeable – seuls 12% jugent le phénomène marginal.
Pour la majorité des Français, ce départ n’est ni une bonne ni une mauvaise chose (56%) tandis que 32% estiment qu’il s’agit d’une mauvaise chose. 12% à l’inverse y voient une bonne chose, une proportion qui a doublé par rapport à 2020 (+6 points).
La perception du départ des juifs de France comme une bonne chose est particulièrement forte chez les sympathisants RN (15%) et LFI (20%). Cependant on observe des évolutions très différentes entre ces deux partis. En effet, les sympathisants RN étaient 22% à considérer qu’il s’agissait d’une bonne chose en 2020, soit une baisse de 7 points en 4 ans. A l’inverse, les sympathisants LFI n’étaient que 4% à partager cette opinion en 2020, soit une hausse 16 points en 4 ans.
Une perception d’Israël plutôt négative et qui tend à se déteriorer
Une perception plutôt négative d’Israël
Auprès des Français, l’image d’Israël apparait plutôt négative. En effet, 50% des Français déclarent qu’Israël leur évoque quelque chose de négatif, dont 21% pour qui cela évoque quelque chose de très négatif, contre 21% qui y voient quelque chose de positif. La proportion de Français déclarant qu’Israël leur évoque quelque chose de négatif est en forte hausse, +10 points par rapport à 2020.
La part des Français déclarant qu’Israël évoque quelque chose de positif se situe loin de celle des différents pays occidentaux testés, que ce soit la France (57%), l’Allemagne (56%) ou les Etats-Unis (43%). En revanche, elle est légèrement supérieure à celle de la Palestine (18%) et de l’Algérie (16%).
Cette perception négative est particulièrement importante chez les sympathisants des partis de gauche. 69% des sympathisants LFI déclarent qu’Israël leur évoque quelque chose de négatif, 59% pour les sympathisants PS et 56% pour ceux d’EELV. A l’inverse, cette idée n’est partagée que par 32% des sympathisants LR et 41% des sympathisants RN. A noter que les sympathisants Renaissance ont aussi une image dégradée d’Israël, avec 47% de jugements négatifs contre 24% positifs.
Une distinction claire pour les Français entre l’image du pays, du gouvernement et du peuple israélien
De manière générale, les Français ont une bonne perception des Israéliens en tant que peuple. 75% déclarent avoir une bonne image du peuple israélien, même si cette proportion est en baisse de 4 points par rapport à 2020. 59% des Français estiment par ailleurs que les Israéliens sont courageux contre 18% seulement qui estiment l’inverse. Les autres caractéristiques semblent moins convaincre les Français : seuls 41% estiment les Israéliens démocratiques, 39% comme voulant sincèrement la paix et 36% comme respectueux des droits de l’homme. A l’inverse, 35% seulement les considère agressifs contre 41% qui estiment l’inverse.
Ils se montrent nettement plus partagés sur Israël en tant qu’Etat : 49% en ont une bonne image (-4 points par rapport à 2020) contre 51% qui en ont une mauvaise. 56% estiment l’Etat d’Israël comme agressif et seule une minorité le voit comme démocratique (36% contre 41% estimant l’inverse), voulant sincèrement la paix (29% contre 49%) et respectueux des droits de l’homme (25% contre 55%).
Par ailleurs, un peu plus d’un Français sur deux (52%) perçoit Israël comme un petit pays qui se défend contre des voisins dont certains veulent le détruire tandis que 48% le voit comme un pays puissant menant une politique agressive vis-à-vis de ses voisins. Cette opinion est largement partagée par les sympathisants LFI (73%), mais aussi par une courte majorité de proches d’EELV (56%) et du PS (53%). En revanche, l’image d’Israël comme essentiellement aux prises avec des adversaires puissants est majoritaire chez les sympathisants Renaissance (61%), RN (65%) et LR (69%).
Les Français ont en revanche une mauvaise perception du gouvernement israélien actuel : 26% seulement déclarent en avoir une bonne image contre 74% qui déclarent l’inverse. Si ce sont les sympathisants LR qui ont la meilleure image de l’Etat d’Israël (66%) et de son peuple (88%), ce sont en revanche les proches du RN qui ont la meilleure opinion vis-à-vis du gouvernement israélien (39%).
Les sympathisants de LFI se distinguent des autres forces politiques, y compris de gauche, par une perception plus négative dans tous les cas. Seuls 32% d’entre eux ont une bonne image d’Israël en tant qu’Etat et 19% de l’actuel gouvernement israélien. Mais c’est surtout concernant les Israéliens en tant que peuple que les sympathisants LFI sont de loin les plus négatifs, avec 54% seulement ayant une bonne image, soit 21 points de moins que la moyenne des Français.
Un conflit à Gaza qui inquiète et un soutien à l’intervention israélienne qui recule
Un conflit qui continue d’inquiéter les Français, lesquels sont partagés sur le rôle que doit tenir la France
Le conflit à Gaza entre Israël et le Hamas suscite toujours de l’inquiétude chez une majorité de Français (58%), même si cette proportion est en baisse par rapport à novembre 2023 (-7 points).
Dans le conflit israélo-palestinien de manière générale, les Français ont du mal à pointer un responsable. Si 22% estiment que c’est avant tout la responsabilité des Israéliens, 20% estiment à l’inverse que c’est surtout celle des Palestiniens tandis que 58% considèrent que c’est autant les uns que les autres.
De même, la responsabilité de la situation de la population civile palestinienne est avant tout celle du Hamas (87% des Français estiment qu’il est responsable) : toutefois, une partie importante de l’opinion juge que la responsabilité de la situation incombe aussi à Israël (70%).
Les Français se montrent partagés sur le rôle que doit tenir la France : 40% des Français estiment que la situation au Proche-Orient ne nous concerne pas et que la France ne doit donc pas intervenir, tandis que 40% pensent l’inverse.
Une sympathie en baisse envers les différents acteurs
Les Français ressentent davantage de la sympathie (47%) que de l’antipathie (22%) pour les Israéliens, même si cette proportion de Français ressentant de la sympathie est en baisse par rapport à novembre 2023 (-6 points). Ils sont 40% à ressentir de la sympathie pour les Palestiniens, contre 29% qui ressentent de l’antipathie. Là encore la proportion de Français ressentant de la sympathie est en baisse en un an (-5 points).
A l’inverse, seuls 14% des Français ressentent de la sympathie pour le gouvernement de Benjamin Netanyahou (en baisse de 4 points), contre 57% qui ressentent de l’antipathie. La perception du Hamas est encore plus sévère : 6% seulement des Français ressentent de la sympathie contre 69% qui ressentent de l’antipathie. A noter que 15% des moins de 35 ans ressentent de la sympathie pour le Hamas, contre 2% des 60 ans et plus.
Le Hamas est perçu comme une organisation terroriste par la grande majorité des Français
Le Hamas est clairement identifié par les Français comme une organisation terroriste : 77% estiment que c’est le cas, dont 49% qui sont tout à fait d’accord avec cette idée. Cette proportion est stable par rapport à l’an dernier (-1 point). Seuls 7% des Français estiment que ce n’est pas le cas quand 16% déclarent ne pas savoir.
La perception du caractère terroriste du Hamas est majoritaire chez les sympathisants de l’ensemble des différentes forces politiques. Cependant, les sympathisants LFI se démarquent par une proportion moins importante de personnes déclarant que c’est le cas (60%) alors que les sympathisants PS (83%), Renaissance (85%) et LR (88%) sont au contraire davantage convaincus.
Au-delà du caractère terroriste, les sympathisants LFI se démarquent également par une proportion non négligeable d’entre eux (25%) qui ressentent de la sympathie pour le Hamas, contre 6% pour la moyenne des Français. L’an dernier, les sympathisants LFI n’était que 14% à déclarer ressentir de la sympathie pour le Hamas, soit une hausse de 11 points en un an.
Le Hamas est également perçu comme responsable de la situation de la population civile à Gaza. Cette idée est partagée par 87% des Français, Si les sympathisants LFI sont moins nombreux à partager cette idée, c’est tout de même le cas pour 74% d’entre eux.
Un soutien à l’intervention israélienne en recul par rapport à l’an passé
De manière générale, 32% des Français considèrent que la réaction militaire d’Israël à Gaza est appropriée, contre 45% qui estiment qu’elle ne l’est pas. La part des Français considérant cette réaction militaire comme appropriée est en baisse de 7 points par rapport à l’an dernier.
On observe aussi une baisse de la part des Français estimant que même si des civils palestiniens sont touchés, il est normal qu’Israël prenne les mesures nécessaires pour se défendre (43%, -5 points par rapport à 2023).
La question de la population civile semble gagner en importance à mesure que le conflit dure : 66% des Français estiment qu’Israël doit renoncer à viser certaines cibles comme les hôpitaux ou les écoles, même si des combattants du Hamas s’y cachent, une proportion en hausse de 4 points en un an.
Rapport complet
A propos de ce sondage
Enquête Ipsos pour le Crif, menée du 20 au 23 septembre auprès de 1000 personnes, constituant un échantillon national représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus. L’échantillon a été interrogé par internet via l’Access Panel Online d’Ipsos (Méthode des quotas : sexe, âge, profession de la personne interrogée, catégorie d’agglomération, région).
Notes
[1] 62% des sympathisants EELV et 77% des sympathisants PS estiment que l’antisémitisme est plus répandu qu’il y a quelques années.