Baromètre Edenred-Ipsos 2015 : le paradoxe des nouveaux usages numériques en entreprise
La 10e édition du baromètre Edenred-Ipsos sur le bien-être et la motivation des salariés en Europe (1) a jeté un éclairage particulier sur la transformation numérique. Si la plupart des salariés européens s’accordent à dire que la révolution digitale est en marche, elle ne revêt pas la même réalité pour tous. La disparité des initiatives numériques et les différences de perception en termes d’impact sur le travail au quotidien sont un réel défi pour les organisations. L’enjeu pour les entreprises et leurs DRH est de faire de cette révolution une opportunité afin d’améliorer le bien-être et la motivation des salariés, comme l'ont expliqué Nadine Lebrec, DRH Edenred France, et Antoine Solom, Directeur International Ipsos LEAD, lors de la 30e édition du Congrès HR, le 7 octobre dernier au Pré Catelan (2).
« L'entreprise a un train de retard par rapport à l'expérience quotidienne qu'ont les gens du digital. »
Où en est-on de cette transformation digitale ?
Antoine Solom : Elle est en marche mais recouvre des réalités diverses. La gestion électronique des processus RH (numérisation des fiches de paie, recrutement via les médias sociaux…), le e-learning, la mise en place d’un réseau social d’entreprise ou encore les espaces de travail virtuels, sont parmi les initiatives les plus déployées en Europe. En revanche, les accords en faveur du télétravail ou les politiques de Bring Your Own Device (BYOD) restent minoritaires. La notion de personnalisation de ses propres outils digitaux n'est pas encore très développée. C'est le cauchemar des DSI, et, pourtant c'est bien vers cela que l'on tend.
Comment les salariés perçoivent la transformation numérique de leur entreprise par rapport à celle qu’ils vivent au quotidien ?
Antoine Solom : L'entreprise est clairement en retard. Traditionnellement, l'innovation arrivait par elle, or le digital passe aujourd'hui par la sphère privée, par l'expérience que chacun en fait au quotidien. 73% des salariés européens se disent familiers avec le digital dans leur univers personnel. Une tendance qui, contrairement aux idées reçues, se retrouve aussi chez les séniors (55 ans et plus) qui sont 67% à déclarer que pour eux l’usage du numérique est quotidien.
À l'inverse, lorsqu'on interroge les salariés européens sur le développement des usages numériques dans leurs entreprises, il est frappant de constater que 6 sur 10 estiment que leur entreprise est « au même niveau » ou « en retard » par rapport à celles du même secteur.
Et cet écart d’expérience est un des facteurs majeurs de frustration que l'on retrouve dans les entreprises.
On peut voir que la révolution du numérique dans l'entreprise est très attendue par les salariés, son influence est donc toujours vécue de façon positive ?
Antoine Solom : Oui, en majorité ! 80% des salariés européens interrogés considèrent que les outils digitaux ont un impact positif ou neutre sur leur motivation. 1 salarié européen sur 2 considère les outils digitaux comme des aides à l’évolution de ses compétences et les perçoit de manière positive sur son autonomie au travail et sa qualité de vie. Les conséquences sont également perçues comme largement bénéfiques sur la qualité des relations clients ou la collaboration entre équipes.
Mais il est vrai pour certains salariés (1 sur 5), la crainte d’un impact négatif sur l’équilibre entre sa vie professionnelle et sa vie personnelle est présente. Une même proportion évoque un impact négatif sur les comportements managériaux. En effet, si les salariés se sentent insuffisamment « accompagnés » par leur manager (méthodes de travail flexibles et beaucoup d’autonomie laissée…), le digital peut influencer négativement leur motivation.
« Les modes de management doivent répondre de manière adaptée aux différentes typologies de salariés »
Les salariés sont-ils tous « égaux » face à la transformation digitale ?
Antoine Solom : Ils l'appréhendent différemment. Nous avons essayé d'établir une typologie de salariés et avons aboutis à 4 profils représentés de manière à peu près équivalente.
Premier d'entre eux, les « Connectés » qui sont particulièrement représentés parmi les Top Managers et dans le secteur des télécoms ou de l’IT, ils sont mieux équipés que la moyenne. Pour eux, la révolution numérique signifie innovation et prise de risque. Cette catégorie affiche néanmoins un niveau de stress élevé.
Les « Impatients » envisagent eux aussi positivement la révolution numérique mais sont en demande vis-à-vis de leur employeur pour accélérer ce changement. Ils sont très représentés dans le secteur public notamment. Le digital a pour eux un impact positif sur la plupart des indicateurs liés à leur bien-être et notamment leur équilibre de vie.
Nous avons ensuite les « Passifs », qui ne se sentent pas vraiment concernés. Ils sont plutôt bien équipés mais ont une vision majoritairement neutre de l’influence des outils digitaux. Toutefois, ils se montrent plus critiques concernant l’impact du numérique sur les comportements managériaux.
Enfin les « Isolés », qui regroupent des salariés pour lesquels le digital est absent de la vie professionnelle. Cette catégorie recouvre davantage de salariés du secteur du BTP.
Ces 4 profils ont des attentes différentes et les modes de management doivent être adaptés.
En savoir plus les quatre profils de salariés.
Comment mieux les appréhender ?
Nadine Lebrec : Il faut avant tout créer les conditions naturellement favorables à cette transformation digitale. Cela veut dire monter en compétence et emmener nos collaborateurs dans un monde qui ne leur est peut-être pas familier. C'est pourquoi nous avons institué une formation à la culture numérique pour tous. Cette année, nous faisons la même chose avec les réseaux sociaux pour que nos salariés puissent se familiariser avec leur utilisation.
« La transformation numérique implique un changement des pratiques managériales et des modèles d'appropriation »
Concrètement, au sein de l’entreprise, qu’est-ce que ça donne ?
Nadine Lebrec : Dans une transformation digitale, il y a une véritable transformation des pratiques managériales. Je suis convaincue que nous sommes en train de passer d'un management hiérarchique à un management participatif. La première étape, c'est la mise en place d'ateliers expérientiels. S'ancrer dans l'expérience, faire toucher du doigt son rôle au manager. La deuxième phase, c'est la mise en place d'ateliers digitaux qui vous permettent de faire participer les collaborateurs à la transformation. Au départ, c'est l'entreprise qui définit la cible et derrière, grâce à ces ateliers, nous déterminons le chemin à parcourir avec les collaborateurs. Troisième phase : aider le manager à se rendre autonome. Aujourd'hui, c'est le manager qui va lui-même conduire le changement dans son propre département. Voilà l'intérêt de ces ateliers : déclencher une réelle appropriation.
Alors Antoine, la transformation numérique des entreprises pour ré-enchanter le travail ?
Antoine Solom : Oui, si ses effets sur les équilibres de vie sont gérés et les modes de management adaptés, permettant notamment de préserver compétences et créativité.
(1) Enquête menée en janvier 2015 auprès d’un échantillon de 13 600 salariés en Allemagne, Belgique, Espagne, France, Royaume-Uni, Italie, Suède, et, pour la première fois cette année, en Autriche, Finlande, Pays-Bas, Pologne, République tchèque, Roumanie et Turquie. Au total, depuis l’origine du baromètre, plus de 87 000 salariés ont été interrogés en ligne
(2) www.congreshr.com
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