Consommation : lever le pied ou reprendre la main ?

« Déposez la liste de vos fournitures scolaires. On s'occupe du reste. » Récemment de passage en gare de Lille-Flandres, j'ai été frappée par ce message de la SNCF. Autant comme professionnelle que comme mère de famille, je l’avoue. Plutôt bien vue, non, cette offre de « Rentrée no stress » quand on connaît l'angoisse du rayon, de la liste, de la cohue, et de l’attente en caisse ?

C’est de cela, et pas d’autres choses que les gens nous parlent, quand ils expriment leur distance par rapport à « la consommation ». En toute ambiguïté, d’ailleurs : souvent partants pour une virée shopping  (toujours un des loisirs favoris de nos concitoyen(ne)s) mais nettement moins pour « faire les courses » (une corvée pour près des 2/3 des français). Vous vous reconnaissez ? Vous y retrouvez toute la différence entre achat subi et achat plaisir ?

D'un côté, un temps investi, valorisant. De l'autre, un exercice imposé, la sensation d’une perte de temps et d’autonomie.  C'est l’une des raisons des difficultés des hypermarchés.  Il y en a d’autres : le ticket de caisse toujours jugé  trop élevé, la peur de trop de choix, trop de sollicitations, la crainte d’y céder la difficulté -aussi- de se trouver confronté à tout ce « qu’on ne peut pas se payer ». Un difficile moment de vérité sociale parfois ; j’ai en mémoire la remarque d’un  consommateur, rencontré dans un groupe : « C’est quand on voit ce qu'on peut mettre dans son caddy qu’on se rend compte de ce qu'on vaut ». L’hypermarché, angoissant marqueur social ? La consommation, on le voit, ce n’est pas QUE du plaisir.

Les marques non plus, dont le « marketing » (chacun mettant derrière ce mot ce qu’il croit en savoir) est de plus en plus souvent vu – et redouté - comme un instrument de manipulation, voire de falsification. Et pourtant… le désir n’est pas éteint. C’est, d’ailleurs, ce qui rend toute cette histoire fort complexe (pour les consommateurs). Et fort intéressante (de notre point de vue).

Un peu caricatural, tout ça ? Ce n’est pourtant pas le langage du bobo parisien mais bien celui que nous entendons dans la bouche du consommateur « moyen » (ce mythe !), soucieux de « faire ses courses au mieux », sans cette désagréable sensation de s'être fait avoir, ou de ne plus bien savoir. Comprenons-nous : ce qui est en question, ce n'est pas tant de lever le pied que de reprendre la main.

Chacun veut s’assurer de consommer au mieux. Mais c’est quoi « au mieux ? » 

Une exigence qui peut se transformer en véritable « part-time job » sur fond de révolution Internet.

Si ma mère avait voulu comparer tous les aspirateurs du marché, il lui aurait fallu des jours pour faire le tour des magasins. Il lui suffirait d'une heure et d’une connexion, aujourd’hui. Cette prise de contrôle modifie le rapport de force entre l’offre et la demande. Le Web a permis la réalisation d'un fantasme : consommer à « ma » façon, avec le niveau d’implication, d’expertise, que je peux et veux bien y mettre.

Fait nouveau et signifiant : les consommateurs nous parlent désormais presque autant de « comment »  ils consomment que de ce qu'ils consomment. Comment ils ont obtenu tel ou tel objet devient un axe de valorisation, de statut, au moins aussi important que le produit ou le service acheté lui-même : bon plan, soldes, certitude d’avoir payé moins cher, d’avoir accédé à des options uniques, à une exclusivité, de ne pas avoir acheté « bêtement » mais en pleine maitrise de son désir et du système. L’enjeu est là : satisfaire mes besoins, céder à mon désir sans devenir l’objet du système. Rester sujet, ne pas devenir cible !

Voilà qui complique un peu les choses pour nous autres, professionnels du marketing.

Fini le temps béni de la proposition maitrisée à laquelle répondait une demande canalisée.

Ce que le consommateur revendique désormais, c'est de choisir lui-même la raison pour laquelle il va acheter ou ne pas acheter. Sa raison – ses raisons - lui sont personnelles (il les pense uniques) : un mix de qualité, de social, d’'écologie, de statut et (toujours) de plaisir ! Mais (au moins le croit-il) : à sa façon, à sa mesure : en connaissance de cause revendiquée.

Cette nouvelle conscience du « soi consommant », c’est cela, je pense, la révolution de la société de consommation. Le marketing, oscillant volontiers jusqu’ici entre autocratie et démagogie doit désormais apprendre la démocratie. Participative, qui plus est ! Entendons nous bien : dans ce domaine, comme dans celui de la citoyenneté, il y a des militants (une infime partie de la population), des hésitants (qui oscillent entre principes et pulsions, en l’occurrence) et…des indifférents. Mais tous sont critiques, exigeants, méfiants, se pensent experts. Et tous votent… avec leurs achats.

Pas simple, en effet. Plus passionnant que jamais, en tout cas, ce consommateur enfin adulte.

Il va donc falloir (il faut déjà !), ces consommateurs, les aborder avec humilité et intégrité.

Deux bien grands mots pour dire, simplement que nous ne devons plus (nous ne pouvons plus), nous représenter le monde de la consommation sur un mode vertical : la marque en haut, émet, le consommateur, en bas reçoit.

Tout le monde émet, désormais et tout le monde, marques comprises, doit apprendre à recevoir, à prendre en compte l'intégralité des signaux et des messages émis.

Pour ne pas renoncer à séduire, à susciter le désir, dans cette nouvelle posture plus égalitaire, comment faire ?

Ne nous faisons pas passer pour ce que nous ne sommes pas, soyons honnêtes, intègres et cohérents. Acceptons, même, nos limites.

Et apprenons à faire davantage « avec » le consommateur. Misons sur son intelligence. Respectons son pouvoir. Tenons nos promesses.

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