Grande enquête « Bilan d’un an de présidence d’Emmanuel Macron »

Depuis novembre 2015, l’enquête électorale du Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof), réalisée par Ipsos / Sopra Steria en partenariat avec Le Monde et la Fondation Jean Jaurès, interroge un vaste panel de Français sur leur position politique et leurs attentes, sur le jugement qu’ils portent sur les partis et les leaders politiques, sur leurs intentions de vote. Un an après l’élection d’Emmanuel Macron, Ipsos / Sopra Steria , le Cevipof, la Fondation Jean Jaurès et Le Monde ont décidé de faire le point en auscultant le même panel.

Sur les plus de 20 000 personnes sondées à l’origine, 13 540 sont restées fidèles et ont été réinterrogées entre le 25 avril et le 2 mai sur le bilan d’un an de présidence d’Emmanuel Macron. Cela constitue un échantillon toujours sans équivalent et permet de mesurer finement les évolutions récentes de l’opinion.
Trois axes structurent cette grande enquête :

  • L’action du président de la République et de son gouvernement
  • Bilan d’un an de présidence d’Emmanuel Macron
  • L’image du président de la République un an après son élection

Brice Teinturier et Gilles Finchelstein ont analysé pour Le Monde les principaux enseignements de cette grande enquête.

Passionnés, détracteurs, partagés

Dans leur rapport à Emmanuel Macron, les Français peuvent être classés en trois catégories de poids inégal. Il y a 33% de « passionnés ». Il y a 39% de « détracteurs ». Il y a 28% de « partagés ».  Au-delà de leur poids respectif, ce sont les profils très différents de ces catégories qui sont intéressants.

Les « passionnés » apprécient « à la fois son action et sa personnalité ». Qui sont ces supporters enthousiastes – et, il faut le souligner, plus nombreux que les électeurs du premier tour du candidat Macron ? Démographiquement, ils sont plutôt âgés (37% chez les plus de 65 ans contre 33% en moyenne). Sociologiquement, ils sont nettement plus aisés - cadres supérieurs (42%), gagnants plus de 6.000 € (48%) - et nettement plus diplômés (40% des Bac +4 ou plus contre 25% seulement des sans diplôme). Géographiquement, on les trouve davantage dans les Pays de la Loire (35%) ou la Bretagne (36%) mais à peine plus dans les grandes villes que dans le rural (2 points de différence seulement). Électoralement, ce sont ceux qui ont évidemment voté pour Macron mais ils se recrutent aussi beaucoup (42%) chez les électeurs de Fillon et même, de manière non anecdotique, chez les électeurs de Le Pen (16%),  de Hamon (16%) et de Mélenchon (13%). Ce qui séduit les « passionnés », plus encore que la moyenne des Français ? Dans l’action, la réforme de la SNCF (+ 22 points que la moyenne) et du code du travail (+ 11 points). Dans l’image, la présidentiabilité, l’efficacité, la bonne image portée de la France à l’étranger, l’honnêteté et la sympathie.

En face d’eux, il y a les « détracteurs » - ce sont les opposants, un peu plus nombreux et tout aussi déterminés, qui rejettent « à la fois son action et sa personnalité ». Leur profil est simple : c’est, de manière fascinante, le symétrique rigoureusement inversé des supporters : plutôt jeune (42% des 18-24 ans contre 39% en moyenne) ou âgé de 50 à 64 ans (42%), employé ou ouvrier (44% et 45%), habitant la Franche-Comté (47%) et l’Auvergne (47%, avec un effet Wauquiez évident), peu diplômé (46% des sans diplôme), doté de revenus parmi les plus modestes (51% de ceux dont le foyer gagne moins de 1250 €  et 43% de ceux qui gagnent entre 1500 et 2000 €), électeurs de Mélenchon (58%), de Hamon (50%) et de Le Pen (58%).  Ce qu’ils rejettent, davantage que la moyenne des Français ? Dans l’action, la hausse de la CSG mais, plus significativement, la réforme du code du travail (+ 11 points) et de la SNCF (+ 7 points). Dans l’image, tout particulièrement, le reproche d’être peu sympathique, d’une forme de mépris et la faible capacité à comprendre les problèmes des gens - en un mot, une distance de classe.

Entre les passionnés et les détracteurs, il y a les « partagés » - ces 28% de Français dichotomiques en ce qu’ils se divisent eux-mêmes en deux sous-catégories. Il y a, d’un côté, ceux qui apprécient « sa personnalité mais pas son action ». Ils pèsent 18%. Ce qu’ils apprécient tout particulièrement, c’est la bonne image de la France portée à l’étranger (+10 points par rapport à la moyenne), la modernité (+9 points), la présidentiabilité (+8 points) et l’énergie (+8 points). Ces dimensions personnelles, vectrices de fierté, viennent atténuer une action politique jugée négativement. Et elles permettent d’agréger sur un spectre large – même si c’est la gauche qui est davantage concernée : aux alentours du quart des électeurs de Mélenchon et de Hamon et aux alentours de 15% des électeurs de Fillon et de Le Pen se situent dans cette catégorie.

Il y a, d’un autre côté et à l’inverse, ceux qui apprécient « son action mais pas sa personnalité ». Ils pèsent 10%. Ils se recrutent pour leur part davantage à droite - comme en témoigne leur positionnement sur une échelle gauche-droite. Ils apprécient de ce fait plus significativement que la moyenne la réforme de la SNCF (+15 points) mais, aussi, un contrôle accru des chômeurs (+9 points) et l’évacuation de la ZAD de notre Dame des Landes (+7 points). Ils n’aiment pas la personne de Macron, mais reconnaissent et apprécient plus que la moyenne sa capacité à vouloir changer les choses, la bonne image de la France portée à l’étranger et une manière différente de faire de la politique.

En définitive, trois enseignements peuvent être tirés.

Le premier concerne le positionnement du Président de la République et la forte séduction exercée sur les électeurs de François Fillon – entre les 42% de « passionnés » et les 31% de « partagés », ce ne sont que 27% des électeurs de l’ancien Premier ministre qui se classent dans les « détracteurs » - c’est dire l’étroitesse de la cible visée par Laurent Wauquiez.

Le deuxième concerne le jeu de l’action politique et de l’image personnelle du Président de la République. 43% des Français apprécient l’action d’Emmanuel Macron, 57% ne l’apprécient pas. 51% apprécient sa personnalité, 49% ne l’apprécient pas. C’est donc plus l’action du Président qui divise et sa personnalité qui rassemble.

Le troisième explique le succès relatif, un an après, de la martingale présidentielle : au-delà du premier cercle de supporters  - qu’il a élargi -, il a réussi à conserver dans un second cercle des électeurs de gauche qui apprécient sa personnalité et des électeurs de droite qui approuvent son action. Pour l’instant !

Le déséquilibre idéologique

6,7. Telle est la réponse que les Français ont apportée, en moyenne, à une question simple : « sur une échelle de 0 (très à gauche) à 10 (très à droite), où classeriez-vous Emmanuel Macron ? ». Ce chiffre est le signe d’un déséquilibre idéologique.

Déséquilibre d’abord par rapport à lui-même. En mars 2017, les Français le positionnaient presque parfaitement au centre, à 5,2 – et ce positionnement central était une des clés de son succès face à la polarisation extrême des deux candidats des partis de gouvernement. En novembre 2017, premier glissement vers la droite, de 5,2 à 6. Aujourd’hui, deuxième glissement substantiel, de 6 à 6,7. Du candidat au Président, la rapidité et l’ampleur de l’évolution sont sans précédent.

Déséquilibre ensuite par rapport à son socle électoral. Les électeurs qui ont voté pour Emmanuel Macron au premier tour de l’élection présidentielle se positionnent à 5,1 et les sympathisants de LREM à 5,7 – les uns et les autres nettement plus à gauche que le Président.

Déséquilibre enfin même par rapport à l’ensemble des Français. La société française est certes en voie de « droitisation » - révélée notamment par l’évolution de l’auto-positionnement idéologique des Français. Mais ils ne se situent malgré tout qu’à 5,6. Ainsi, par rapport à la moyenne des Français, le candidat Macron était un peu plus à gauche quand le Président Macron est clairement plus à droite.

Comment peut-on, à la lecture de cette enquête, comprendre la droitisation du positionnement idéologique du Président de la République ? Par un double déséquilibre politique.

Le premier est social. Il y avait promesse de « plus d’efficacité » et de « plus de justice ». Il y a la perception – massive - d’un déficit social. Chez l’ensemble des Français,  70% à 80% jugent négativement l’action engagée pour « l’amélioration du pouvoir d’achat », « la réduction des inégalités sociales » ou « l’amélioration du système de santé ». Et il en est de même, de 52% à 61%, chez les électeurs qui ont voté pour Emmanuel Macron au premier tour de l’élection présidentielle. Ainsi donc, logiquement, moins de 10% de Français estiment que les classes moyennes et les milieux populaires sont les bénéficiaires de l’action engagée.

Le deuxième déséquilibre est démocratique. Il y avait promesse de « plus de décision » et de « plus d’écoute ». Il y a la perception – large – d’un excès d’autoritarisme. Les Français reconnaissent, et approuvent, la volonté réformatrice du Président de la République. Mais, outre qu’ils s’interrogent sur le rythme soutenu des réformes, ils sont 55% à reprocher un mode de gouvernement « trop autoritaire » - sentiment d’autant plus partagé qu’ils se positionnent à gauche ou au centre de l’échiquier politique.

« Ciel bleu. Nuages en formation ». Voilà, résumé d’une formule météorologique, l’état de l’opinion un an après l’élection d’Emmanuel Macron. Le plus gros de ces nuages prend la forme d’un chiffre dont tout découle : 6,7.

Brice Teinturier, directeur général délégué d’IPSOS
Gilles Finchelstein, directeur général de la Fondation Jean-Jaures

 

A VOIR : l'analyse vidéo de Brice Teinturier pour Le Monde

Retrouvez l'ensemble de notre série "Emmanuel Macron : un an après" :

Macron et les Français, une (relative) satisfaction et des préoccupations montantes
Emmanuel Macron, un an après : le bilan

Auteur(s)

  • Brice Teinturier, Directeur Général Délégué France, Ipsos
    Brice Teinturier
    Directeur Général Délégué France, Ipsos (@BriceTeinturier)

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