Idées reçues et complotisme : il faut le voir pour le croire

Les écarts entre réalité et perception sont souvent considérables. C’est ce que rappelle cette enquête réalisée pour les Entretiens de Royaumont, dont le thème cette année était « Croire ». Elle a été présentée le 1er décembre par Didier Truchot, fondateur et président d’Ipsos, à l’abbaye de Royaumont. Dans cette étude, Ipsos a testé les croyances des Français et des habitants de neuf autres pays sur un ensemble de sujets sociaux, politiques, économiques et liés à l’actualité – et les a confrontées aux données réelles.

Une perception erronée de plusieurs réalités sociales

Les populations tendent à surestimer des données sociales ou économiques telles que la part d’immigrés dans leur pays, la proportion de musulmans, l’évolution du taux d’homicides ou encore le patrimoine des ménages les plus fortunés :

  • Dans tous les pays étudiés, la part d’immigrés dans la population est nettement surévaluée (l’immigré étant défini comme une personne née dans un autre pays que celui où elle réside). En moyenne, sur les 10 pays étudiés, l’écart est de 1 à 2 entre perception (24%) et réalité (12%). Les Français se situent dans cette moyenne, en évaluant la proportion d’immigrés à 23%, là où le véritable chiffre est de 13%.
  • L’erreur est encore plus marquée s’agissant de la part de musulmans. De 3% dans les faits en moyenne dans les 9 pays majoritairement non-musulmans examinés (la Turquie a été exclue pour cette question), elle est estimée à plus de 17% par les personnes interrogées. La France ne fait pas exception : nos compatriotes surestiment par un facteur de un à trois la part de personnes de religion musulmane sur leur territoire – 8,5% contre 28%. Fait intéressant, nous avons posé en Turquie la question inverse : « Dans votre pays, sur 100 personnes, combien selon vous sont chrétiennes ? » Et là aussi, l’exagération est de mise : il y 0,2% de chrétiens dans le pays mais la perception est que 16% de la population est chrétienne.
  • Dans tous les pays étudiés, une majorité ou (en Pologne et au Japon) une minorité substantielle de la population pense que le taux d’homicide a augmenté depuis 2000 – alors qu’il a baissé partout sauf aux Etats-Unis. 7 Français sur 10 font cette erreur.
  • La part de la richesse totale des ménages détenue par les 1% les plus fortunés est fortement surestimée. En moyenne, les personnes interrogées l’évaluent à 38% – alors qu’elle ne se situe qu’à 13%, selon la World Inequality Database. Les inégalités sont réelles mais surévaluées. L’écart est encore plus marqué en France : estimée à 44%, elle ne serait que de 13% selon cette même source.   

De la mauvaise information au complotisme

Si les croyances les plus irrationnelles (sorcellerie, fantômes, voyance) restent minoritaires, elles séduisent néanmoins plus d’un quart de la population. En moyenne sur les dix pays, plus d’un quart (27%) des personnes interrogées déclarent croire « en partie » ou « totalement » à la sorcellerie, plus d’un tiers (35%) aux fantômes et 28% à la voyance. En France, ces chiffres sont respectivement de 25%, 24% et 25%.

Près de la moitié de la population exprime une défiance vis-à-vis des scientifiques. Pour savoir si un fait est vrai ou faux scientifiquement, 49% disent faire plus confiance à leur expérience et à leurs recherches personnelles qu’aux explications des scientifiques. En France, ils sont 40% – chiffre élevé mais qui est le plus bas des dix pays étudiés.

Quelques thèses complotistes liées à l’actualité trouvent elles aussi un écho auprès de 15% à 25% de la population :

  • Un quart des personnes interrogées, en moyenne sur les dix pays, déclare croire qu’il existe un projet organisé de « grand remplacement ». 25% (22% en France) estiment « entièrement vraie » ou « plutôt vraie » l’affirmation selon laquelle « les élites de mon pays ont un projet de « remplacement » de la population d’origine de notre pays par des immigrés, issus de cultures et de religions différentes ».
  • Plus d’une personne sur cinq (22%) considère que « le gouvernement ukrainien actuel est fortement infiltré par des groupes néo-nazis ». Ils sont 16% en France.
  • Moins nombreux sont ceux estimant que « les Américains n’ont jamais envoyé d’hommes sur la Lune » et que « les images sont des faux tournés en studio par la NASA ». Ils sont néanmoins 18% en moyenne sur les 10 pays interrogés – et 13% en France. 

Cas de mauvaise information plus que de complotisme ou d’irrationalité, les actions individuelles les plus à même de lutter contre le changement climatique restent assez mal connues :

  • Celles les plus faciles à réaliser et les plus proches du quotidien sont perçues comme les plus impactantes – alors qu’elles n’ont parfois en réalité qu’un effet plus limité que d’autres sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Le geste cité par le plus de personnes (6 sur 10), parmi la liste de 9 actions qui leur était proposée, est ainsi de « recycler le maximum de déchets », alors qu’au regard de son impact réel, il ne situe qu’en septième position. 
  • A l’inverse, des actions à fort impact mais qui nécessiteraient un effort plus important sont perçues comme moins de nature à limiter le réchauffement climatique. Par exemple, avoir un enfant de moins ou renoncer aux voyages en avion de longue distance ne sont cités respectivement que par 20% et 13% des répondants – alors qu’il s’agit des deux actions qui feraient le plus baisser les émissions de carbone d’un individu. 

Le processus démocratique n’échappe pas entièrement à cette défiance

La confiance dans la démocratie électorale est majoritaire – mais sans plus. 58% des personnes interrogées estiment que « les élections dans leur pays sont organisées de manière sécurisée et transparente, ce qui garantit la fiabilité de leurs résultats ». La France se situe à 64%. Aux Etats-Unis, seule une courte majorité de la population (51%) adhère à cette affirmation. 
Les Etats-Unis restent emblématiques de cette défiance : l’élection présidentielle américaine de 2020 y reste contestée. 30% des personnes interrogées considèrent que son résultat – la non-réélection de Donald Trump – est lié à des irrégularités ou à des manipulations. Ce chiffre, qui n’est que de 16% chez les électeurs démocrates, atteint 59%, soit 6 électeurs sur 10, chez les Républicains.


A propos de cette enquête

Enquête Ipsos pour Les Entretiens de Royaumont, menée en ligne auprès de 10 000 personnes, interrogées du 22 au 25 novembre 2023 sur la plateforme Ipsos.Digital.

Auteur(s)

  • Ipsos | Didier Truchot
    Didier Truchot
    Fondateur et Président du Conseil d'administration
  • Pierre Gaudin
    Directeur du cabinet du Directeur général, Ipsos

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