Le véhicule autonome embraye sur de nouvelles émotions

Grande tendance de l’édition 2017 du CES et du salon international de l’automobile de Genève, la voiture autonome suscite des réactions assez contrastées variant entre enthousiasme et scepticisme. Délégation de conduite, habitacle hyper connecté : la voiture intelligente va profondément transformer l’expérience de la conduite. La technologie ne doit pas pour autant réduire les émotions aux seuls services digitaux, dont certains proposés par les GAFA. Jean-Pierre Carnevale, directeur du département Quali Services chez Ipsos Marketing, livre son analyse sur ces opportunités émotionnelles, pour les constructeurs automobiles.

LA DISRUPTION DU VÉHICULE AUTONOME

Le secteur automobile prend aujourd’hui deux virages majeurs, qui dessinent les contours du véhicule de demain : la voiture électrique et la voiture autonome. Les premiers modèles sophistiqués arriveront sur le marché à partir de 2020. Plus que la motorisation électrique, c’est la conduite autonome qui constitue une disruption. Parce qu’elle va profondément modifier le rapport de l’utilisateur à sa voiture : la façon dont il va conduire, ce qu’il fera quand il ne tiendra plus le volant, et quelles relations il établira avec son environnement.

Au fil de nos études qualitatives menées en Europe, nous observons que les conducteurs abordent avec ambivalence les innovations de l’automobile connectée et autonome. D’un côté, ils s’enthousiasment pour les solutions qui pallient à certains désagréments inhérents à l’automobile : conduite intelligente dans les embouteillages, créneau automatique, assistance en cas de visibilité réduite… De l’autre, les automobilistes expriment une certaine appréhension. La voiture autonome ne conduit-elle pas à la disparition du plaisir de conduire ? La délégation de conduite ne s’accompagne-t-elle pas d’un certain ennui ? et bien entendu, jusqu’où peut-on faire confiance à une machine, aussi « intelligente » soit-elle ?

Ipsos a récemment lancé une étude quantitative à grande échelle recueillant l’avis de plus de 130.000 personnes sur 9 marchés majeurs, sur le futur perçu de l’automobile, et qui vient étayer cette intuition. La conduite autonome y est perçue comme l’une des innovations les plus disruptives, mais c’est aussi un des sujets les plus clivants entre marchés et classe d’âge.

REDÉFINIR L’EXPÉRIENCE UTILISATEUR

La tentation, pour les acteurs de la filière, serait alors de jouer la seule carte technologique dans leurs stratégies marketing, afin de réassurer les clients dans l’expérience utilisateur : mettre en avant les avancées high-tech qui permettent de se désengager de la conduite en toute sécurité, et valoriser la vie digitale proposée dans l’habitacle hyper connecté. Ce qui reviendrait à couper l’automobile de ses racines émotionnelles. Même quand on ne la conduit plus, une automobile reste un reflet de sa personnalité, un prolongement de son corps et le deuxième investissement du foyer.

Envie d’aventure, sentiment de toute-puissance, nostalgie, dépassement de soi, peur, liberté retrouvée, cocon sensoriel… La voiture est un puissant vecteur d’émotions, et de relations sociales : moment joyeux avec les enfants, évasion avec les amis, outil de séduction, lieu de disputes et de retrouvailles, etc. Il s’en passe des choses dans une voiture ! et la conduite autonome n’est pas prête de changer cela.

LES MARQUES AUTOMOBILES FACE AUX GÉANTS DU NUMÉRIQUE

Dans la nouvelle expérience utilisateur du véhicule autonome, tout l’enjeu est de développer des services renforçant des propositions émotionnelles, pour reconnecter le conducteur avec lui-même, avec les autres, avec le monde. Bref, pour augmenter ses sensations.
Avec le véhicule autonome, le sujet n’est pas la technologie, mais bien l’humain en mouvement, ses interactions et sensations complexes. Le véhicule autonome n’est pas un concept automobile en soi, c’est juste une fonctionnalité et une potentialité. Ce qui laisse aux acteurs « classiques » de la filière, qui mieux que tout autre connaissent cette complexité de l’humain, toute latitude pour imaginer des solutions qui s’enracinent dans des émotions profondes et en créent de nouvelles, inédites et originales.
Une vraie opportunité pour contrer les velléités des GAFA, à la fois partenaires et concurrents, dont les solutions peuvent tendre à banaliser les plaisirs automobiles et à la supplanter par des expériences digitales ou autres, génériques à toutes les marques constructeurs.

LES CONDUCTEURS ET LES ÉMOTIONS DE DEMAIN

Plusieurs pistes de réflexion marketing se dégagent. Tout d’abord, le conducteur du véhicule autonome va alterner délégation de conduite et conduite. Va-t-il les vivre comme des plages de privation et des plages de compensation ? Comment trouver l’équilibre ? Comment réapprendre à maitriser la « machine » ?
Aux constructeurs d’innover avec de nouveaux types de gratifications destinées au conducteur (et à ses passagers), alors qu’il n’est plus au volant 100 % du temps, voire même qu’il partage de plus en plus son véhicule avec des conducteurs d’emprunt. De nouvelles figures des « habitants de l’automobile » sont à inventer et la conduite autonome multiplie le champ des possibles : une vie à bord plus riche, une personnalisation accrue et prédictive, des divertissements fluides, une sécurisation renforcée… Avec un écueil à éviter cependant : ne pas réduire la voiture autonome à une simple extension du bureau ou de la maison !

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