Les Français et les représentations sur le viol et les violences sexuelles
Trois ans après la première enquête sur les représentations des Français sur le viol et les violences sexuelles de l'association Mémoire Traumatique et Victimologie réalisée en décembre 2015 par notre institut et présentée en 2016, et un an et demi après le début du mouvement #MeToo, il nous a semblé intéressant de faire refaire une enquête similaire sur le degré d’adhésion des Français aux stéréotypes sexistes, ainsi qu’aux fausses représentations et aux mythes sur le viol en ajoutant des questions sur l’effet #MeToo, sur l’impunité, sur la connaissance des mécanismes psychotraumatiques lors d’un viol et sur la loi sur les violences sexistes et sexuelles de Marlène Schiappa du 3 août 2018.
Une nouvelle enquête de notre association a donc été conçue et réalisée avec Ipsos du 22 au 28 février 2019 sur 1000 individus constituant un échantillon national représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus. La représentativité de l’échantillon a été assurée grâce à la méthode des quotas appliquée aux variables de sexe, d’âge, de profession de la personne interrogée, de région et de catégorie d’agglomération.
Trois ans après, nous allons voir que si les représentations sexistes régressent un peu, les fausses représentations et les mythes sur le viol qui constituent ce qu’on nomme le déni et la culture du viol ont la vie dure et en sortent même renforcés malgré le mouvement #MeToo, dont ils pourraient en être une réaction négative (backlash).
EFFET #METOO CONSIDÉRÉ COMME POSITIF
Si d’un côté les Français sont 83% à penser que #MeToo a eu un effet postif sur la libération de la parole des femmes et leur capacité à porter plainte, 79% sur l’augmentation du nombre de plainte, et 69% à penser que grâce à #MeToo elles seront mieux soutenues par leur entourage, et les témoins,
Ils sont moins nombreux 57% à penser que #MeToo améliorera les relations entre les hommes et les femmes et rendra les hommes plus respectueux, et leur permettra de s’habiller comme elles le veulent.
DES STÉRÉOTYPES SEXISTES QUI PERDURENT
Les stéréotypes hommes/femmes restent persistants, même si ils sont en léger recul en ce qui concerne la sexualité, une majorité de Français continuent d’y adhérer : les Français considèrent moins que les femmes ont besoin d’être amoureuses pour envisager un rapport sexuel (64% vs 74% en 2015), et que pour un homme il est plus difficile de maîtriser ses désirs sexuels (57% vs 63% en 2015) ou que les hommes sont plus rationnels que les femmes (38% vs 42% en 2015).
En revanche on constate une légère hausse sur le pourcentage de Français qui pensent que les femmes savent beaucoup moins que les hommes ce qu’elles veulent (26% vs 25% en 2015) et sur le fait que dans la vie les femmes ressentent de nombreux évènements comme violents alors qu’ils ne le sont pas pour les hommes (78% vs 76% en 2015)
ET TOUJOURS UNE ADHÉSION À LA CULTURE DU VIOL
Les Français sont à peine moins nombreux à penser : qu’une femme peut prendre du plaisir à être forcée (18% vs 21% en 2015) ou que beaucoup de femmes quand elles disent non pour une relation sexuelle pensent oui (17% vs 19% en 2015)
Mais un peu plus nombreux à estimer que si la victime a eu une attitude provocante en public cela atténue la responsabilité du violeur (42% vs 40% en 2015) et à penser qu’à l’origine d’un viol, il y a souvent un malentendu (32% vs 29% en 2015)
FAUSSES REPRÉSENTATIONS ET MÉCONNAISSANCE DES STATISTIQUES SUR LES VIOLS
Malgré toutes les campagnes d’information, les enquêtes, les publications, les émissions et les documentaires les Français continuent adhérer au mythe des viols qui seraient avant tout le fait d’inconnus dans l’espace public pour 51% d’entre elles et eux, et seuls 25% pensent que les viols sont commis en famille, le vrai viol reste celui commis par un inconnu avec violence dans l’espace public sur des femmes adultes, sans prise de risque puisque si on prend toute ses précautions on ne risquerait pas d’être violé.e.s) alors que 90% des viols sont le fait de proches. Et les Français ne sont que 22% à savoir que les viols sont commis majoritairement sur des mineurs et 53% à savoir que d’autres personnes vulnérables comme les personnes handicapées ou autistes ont plus de risque de subir des viols (les mineurs sont les principales victimes de viols, les femmes handicapées ont quatre fois plus de risque, les filles handicapées mentales ont 6 fois plus de risque et les femmes autiste sont 88% à avoir subi des violences sexuelles). La résistance reste toujours au cœur de la définition du viol pour les Français et céder par contrainte morale ou après des menaces est toujours considéré comme un comportement qui peut disqualifier le viol en partie mais cela s’améliore par rapport à 2015 (15% vs 21% en 2015 pour la pénétration vaginale pénienne, 29% vs 37% pour la pénétration orale pénienne, 20% vs 24% pour la pénétration vaginale digitale). Les Français surestiment le nombre de plaintes, ils sont 69% à penser que les victimes sont plus de 25% à porter plainte pour viols alors qu’elles sont mois de 10%. De même les Français surestiment fortement le nombre de condamnations pour viols, ils sont 90% à penser que les condamnations pour viols ont augmenté depuis 10 ans alors qu’elles ont diminué de 40% en 10 ans.
MÉCONNAISSANCES DE LA DÉFINITION LÉGAL DU VIOL
1 Français sur 2 considèrent que forcer une personne à faire une fellation n’est pas un viol mais une agression sexuelle.
1 Français sur 4 considèrent que réaliser un acte de pénétration sexuelle avec le doigt sur une personne qui le refuse n’est pas un viol.
15% des Français considèrent qu’il n’y a pas de viol quand une personne cède quand on la force.
21% des Français considèrent que forcer sa conjointe à avoir un rapport sexuel alors qu’elle le refuse n’est pas un viol
MYTHES SUR LE VIOL ET CULPABILISATION DES VICTIMES :1
Pour 42% des Français (vs 40% en 2015) cela atténue la responsabilité du violeur si la victime a eu une attitude provocante en public, pour 31% (vs 27% en 2015) une victime est en partie responsable si elle a eu des relations sexuelles avec le violeur,
Les victimes accusent à tort par déception amoureuse ou pour se venger pour 37% (vs 32 en 2015), et pour 27% (vs 24% en 2015) beaucoup de viols ayant fait l’objet de plaintes n’en sont pas;
Pour 43% des Français.e.s (vs 41% en 2016) si une victime se défend vraiment elle fait fuir le violeur, pour 30% (vs 27% en 2016) si la victime ne réagit pas ce n’est pas une violence sexuelle, et pour 30% si la victime respecte certaines règles de précaution elle ne risque pas d’être violée
Malgré toutes les campagnes d’information, les enquêtes, les publications, les émissions et les documentaires les Français continuent d’adhérer au mythe des viols qui seraient avant tout le fait d’inconnus dans l’espace public, sur des femmes adultes, dans des contextes de prise de risque (si on prend toute ses précautions on ne risquerait pas d’être violé.e.s) alors que les viols sont massivement le fait de proches pour 90% d’entre eux, qu’ils sont commis majoritairement sur des mineurs et d’autres personnes vulnérables comme les personnes handicapées marginalisées ou discriminées.
PARADOXALEMENT UNE BONNE CONNAISSANCE DES MÉCANISMES PSYCHOTRAUMATIQUES (2019) ET DE LA GRAVITÉ DES CONSÉQUENCES DES VIOLS SUR LA SANTÉ À LONG TERME (2015) ET DE CE QUI EMPÊCHE LES VICTIMES DE PORTER PLAINTE
Une des caractéristique de cette enquête de 2019, c’est la position très paradoxale des Français qui, alors qu’ils sont une grande majorité à comprendre qu’il soit très difficile pour des victimes de viol de parler et de porter plainte, à connaître la gravité des conséquences psychotraumatiques des viols (cf enquête de 2016), et à connaître :
• les phénomènes de sidération traumatique qui paralysent la victime et l’empêchent de réagir et de s’opposer pour 82% des Français,
• les phénomènes de dissociation traumatique qui l'anesthésient émotionnellement, l’empêche de se défendre et de quitter son agresseur en la maintenant sous emprise pour 72% des Français,
• les phénomènes d’amnésie traumatique qui l’empêche de se remémorer en partie ou en totalité des violences pour 74% des Français,
• Pourtant cela ne remet nullement en question pour une bonne partie d’entre eux des représentations fausses qui contredisent manifestement ce qu’ils savent et qu’il serait pourtant logique d’abandonner. Tout se passe comme si certaines représentations étaient imperméables à l’épreuve de la réalité et à la réflexion s’apparentant à des croyances qui colonisent et faussent le jugement d’une bonne partie de la société
• Stéréotypes sexistes, représentations liées à une vision inégalitaire et dominante du monde où la loi du plus fort s’impose, théories antivictimaires, mise en cause des victimes ont beau se heurter à la réalité des viols, à leurs chiffres catastrophiques, à leur gravité et à leur impact traumatique, à leur cruauté et leur caractère dégradant et inhumain, à la loi du silence qui s’impose aux victimes, à l’absence de protection des victime et à leur impunité, plus ou moins bien connus mais jamais totalement ignorés comme le montre cette enquête, la culture du viol et de la domination avec son prêt à penser l’emporte trop souvent malgré ses incohérence et son injustice manifestes.
Finalement, si tout le monde s’accorde à dire que les viols sont graves et peu dénoncés, dans les faits les Français ont tendance à trouver qu’une bonne partie des viols n’en sont pas, ce ne sont pas de « vrais viols » et qu’une bonne partie des personnes qui portent plainte pour viol ne sont pas de vraies victimes. En cela ils s’accordent bien avec la justice qui classe sans suite 74% des plaintes pour viol (alors que ces plaintes ne représentent que 10% de l’ensemble des viols), correctionnalise la moitié des plaintes pour viols qui sont instruits, et qui pour finir ne juge comme des viols que 10% des plaintes pour viols. Et, comme elle, ils ont du mal à anticiper les conséquences de cette façon de traiter les plaintes pour viols en terme d’impunité catastrophique puisqu’alors bien même qu’ils sont conscients qu’il y a peu de plaintes et peu de jugements pour viol, ils ne pensent pas que les condamnations pour viols ne font que diminuer (les dernières statistiques de la justice font état de 40% de condamnation pour viols en mois depuis 10 ans) au contraire ils sont une grande majorité à penser que les condamnations pour viols augmentent depuis 10 ans, ils adhérent au mythe d’une justice particulièrement sévère (justice dans l’émotionnel en étant trop à l’écoute des victimes).
Ces stéréotypes sexistes, cette culture du viol, cette adhésion à ce qui serait une vraie victime et un vrai viol a de graves conséquences sur les victimes qui courent un risque important ne pas être crues, d’être mises en cause et culpabilisées, d’être abandonnées sans protection, ni soin, ni justice, ni réparation, et de grave conséquences sur l'impunité de ces crimes et sur la tolérance, la loi du silence et le déni dont ils bénéficient, ce qui nuit grandement à la lutte contre ces violences dont les chiffres sont de plus en plus effrayants.
LES FRANÇAIS ET LA LOI SCHIAPPA :
Même si plus ds deux tiers des Français déclarent avoir entendu parler de la loi Schiappa, seul 1 Français sur 10 sait précisément ce qu'elle propose. Et près des trois quart des Français sachant ce qu'elle propose pensent qu'elle protège davantage les droits des mineurs victimes d'une agression sexuelle ou d'un viol malgré l'absence de sueil d'âge du consentement alors que lors de notre enquête de juin 2018 avant le vote de la loi 81% des Français s'étaient déclarés favorables à ce que la loi prévoie désormais un seul d'âge minimum en dessous duquel un acte de pénétration sexuelle par une personne majeure sur une personne mineure soit automatiquement considéré comme un viol (sans rechercher si la personne mineure était consentante ou non), une majorité d'entre eux s'est même déclarée tout à fait favorable.