L’opinion des agents publics à l’égard de la modernisation de l’administration

Lancée en 2007, la Révision Générale des Politiques Publiques (RGPP) consistait à passer en revue l'ensemble des politiques publiques pour déterminer les actions de modernisation et d'économies pouvant être réalisées. Depuis, sa mise en place a profondément bouleversé le fonctionnement de l'administration, avec des répercutions importantes sur le travail des agents. Sur la base des témoignages de 46000 fonctionnaires interrogés durant cette période, Ipsos propose aujourd'hui un bilan des 4 ans de la RGPP.

Auteur(s)
  • Benoit Rogeau
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Préambule : les constats et enseignements présentés dans cette note reposent sur une série d’enquêtes conduites par Ipsos entre la mi-2007 et la mi-2011, parmi lesquelles les études réalisées dans le cadre de l’Observatoire de la Fonction Publique, le baromètre du bien-être et de la motivation des salariés français (en partenariat avec Edenred), le panel salariés Ipsos France (20 000 fonctionnaires interrogés) et Ipsos RED© (Representative Employee Data) l’enquête de référence d’Ipsos auprès des publics salariés.

Ipsos RED© est une enquête indépendante (financée par Ipsos), réalisée sur un rythme bisannuelle depuis 1999 et destinée, entre autres, à étalonner les résultats d’enquêtes réalisées auprès des publics salariés des clients de l’Institut (enquêtes de climat interne, baromètres d’opinion salariés, enquêtes de motivation et d’engagement …). La dernière vague de l’enquête Ipsos RED© a été réalisée en juin 2011 auprès de 51 000 salariés dans 34 pays. En France plus de 4 000 salariés ont été interrogés dont plus de 1 200 fonctionnaires.

Que peut-on retenir de l’évolution des opinions et attitudes des agents de la fonction publique d’Etat entre 2007 et 2011 ?

L’opinion des agents de la FPE en France est critique, notamment en comparaison internationale, mais est indéniablement en progrès.

Un corps social aux prises avec une accélération du changement.

L’administration n’a jamais cessé d’être en mouvement. Les réformes se sont succédées visant toutes à une plus grande efficacité via, entre autres, un effort continu de rationalisation des structures, d’amélioration et de simplification des services aux usagers.

Cependant, au sein de la fonction publique d’Etat, la mise en place de la RGPP semble avoir eu d’importantes répercussions sur l’opinion des agents. La perception d’un changement à l’œuvre ne fait plus aucun doute. Dans leur grande majorité, les agents semblent vivre une profonde évolution de leur environnement professionnel. Alors qu’en 2007, 57% des fonctionnaires d’Etat jugeaient le rythme du changement « trop lent » ou ne percevaient « pas de changement significatif » dans leur administration, quatre ans an plus tard, ils ne sont plus que 36%.

Les réformes se sont accélérées dans tous les ministères, induisant également le sentiment chez 29% des fonctionnaires d’Etat que les changements s’opèrent « trop rapidement ». Ce pourcentage a doublé entre 2007 et 2009 pour se stabiliser depuis et caractérise une montée des contraintes ressenties par les agents face aux évolutions en cours.

Dans les grands pays développés, seul le Royaume-Uni se distingue par un pourcentage plus élevé (« trop rapide » : 42%). En Allemagne, en Italie et en Espagne, à l’inverse, l’opinion prédominante est celle de l’absence « de changement significatif » ou « d’un changement trop lent ». Ces résultats caractérisent l’ampleur inégale des transformations engagées et la diversité des situations vécues dans les fonctions publiques des principaux pays européens.

Face à une majorité de fonctionnaires d’Etat qui reste critique, l’adhésion aux orientations des ministères s’améliore depuis 2009 et la situation perçue des administrations est moins défavorable.

Le sentiment d’une accélération du changement s’accentue et la perception de la situation générale de leur administration par les agents reste critique : 56% estiment qu’elle « va plutôt en se dégradant » et 32% qu’elle « reste stable ». Seuls 9% estiment « qu’elle va plutôt en s’améliorant ». Toutefois, les opinions défavorables sont en recul de près de 10 points en 2011 par rapport à 2009.

Parallèlement l’adhésion aux orientations stratégiques des administrations tend à s’améliorer : 29% des agents de la FPE estiment qu’elles « vont dans la bonne direction » (+8 points en 2011 vs 2009), tandis que 46% se montrent sceptiques, considérant « qu’elles ne vont pas dans la bonne direction ».

Ces scores placent la France en queue de peloton des grands pays développés (Royaume-Uni y compris, pays dans lequel pourtant, les agents publics sont aux prises avec des transformations aux effets parfois radicaux), mais il convient de les mettre en relation avec les particularismes de l’opinion des Français. Nos concitoyens demeurent plus défiants, inquiets, et pessimistes par rapport au reste du Monde.

Le soutien à la nécessité du changement progresse.

Contrairement aux idées reçues ou aux stéréotypes encore attachés à l’image des fonctionnaires, les agents publics ne contestent pas, dans leur grande majorité, la nécessité de moderniser l’Etat et la Fonction Publique.

Interrogés en juin 2011 sur leur soutien personnel au changement au sein de leur administration, les fonctionnaires d’Etat Français se montrent même plus engagés qu’il y a quatre ans. Désormais 65% d’entre eux déclarent « soutenir le changement dans leur administration ». Ils étaient 58% en 2007.

La mise en perspective internationale apporte, à nouveau, un éclairage utile : la France se positionne, avec l’Allemagne et la Suède, en fin de classement dans ce domaine. Et le soutien aux mouvements de transformation engagés dans l’administration d’Etat de notre pays demeure inférieur à la moyenne mondiale, mesurée par Ipsos à 77% (+9 points depuis 2007).

La satisfaction au travail et la motivation se renforcent.

L’orientation favorable de l’adhésion, du soutien au changement et de l’évolution perçue de la situation générale des administrations coïncide avec une satisfaction professionnelle et une motivation en hausse : 72% des agents de la FPE se déclarent satisfaits de leur travail et 79% très ou assez motivés. Des pourcentages en hausse de 7 points entre 2007 et 2011.

Le potentiel d’engagement professionnel des agents se renforce et une comparaison européenne sur ce point montre que la motivation des agents d’Etat Français est équivalente ou supérieure à celle des agents des principaux pays européens.

Le changement est plus visible et plus prégnant. Pourtant « on » adhère davantage, la satisfaction et la motivation s’améliorent. Comment expliquer le paradoxe ?

Une administration perçue en progrès (qualité, image, efficacité économique) ?

Les agents perçoivent-ils des effets positifs aux réformes qui seraient porteurs d’adhésion ? La question mérite d’être posée au vu de l’évolution de l’opinion récente des agents sur le fonctionnement de leur administration. Alors qu’en juin 2008, les agents interrogés par Ipsos se montraient majoritairement sceptiques sur les effets des réformes à venir sur la satisfaction des usagers (« effet défavorable » : 48%) et le fonctionnement de leur administration (« effet défavorable » : 54%), on observe, trois ans plus tard un net changement de perspective. En juin 2011, 67% des agents de la FPE estiment que leur administration est « en avance ou au même niveau » par rapport à la « concurrence » (i.e. par opposition a une alternative possible). Un pourcentage qui a progressé de 6 points depuis 2009. On enregistre des améliorations plus marquées encore au sujet de « l’image de l’administration auprès des usagers » (62%, +15 points) et de « l’efficacité économique des administrations » (59%, +15 points). Ce dernier point est d’autant plus important que la nécessité de changer semble indissociable d’une meilleure efficacité de la gestion publique : 48% des agents de la fonction publique dans leur ensemble estimaient il y a quatre ans que l’administration n’était pas un ‘bon gestionnaire’, dont 57% parmi les cadres.

Les anticipations négatives d’hier quant aux effets du processus de modernisation diffèrent, semble-t-il des constats laudatifs d’aujourd’hui.

La perception d’une administration qui se met « à niveau » gagne donc du terrain dans la FPE. Et l’on mesure combien les effets tangibles de la modernisation en termes d’amélioration de la qualité de service et de l’efficacité sont un levier majeur d’adhésion au changement.

La professionnalisation du management

Autre enseignement majeur de la dernière vague d’enquête Ipsos RED© : les pratiques managériales sont de mieux en mieux perçues par les agents. La confiance dans la ligne managériale s’établit en 2011 à des niveaux significatifs et elle s’améliore par rapport à 2007. On trouve ainsi 66% des agents de la FPE qui déclarent « avoir confiance dans les décisions prises par leur responsable hiérarchique direct » (+5 points depuis 2007). La confiance dans « la direction de son administration » est, elle aussi, en progrès de 9 points à 58%.

Il est manifeste que la crédibilité accrue de l’encadrement aux yeux des agents procède également de sa capacité à assumer un rôle d’amortisseur des effets collatéraux des transformations sur les équipes et les agents et à mieux les informer. Deux chiffres éloquents à cet égard : 67% des agents estiment que leur responsable hiérarchique direct « prend les bonnes décisions dans les difficultés ». Ils n’étaient que 58% à partager cette opinion en 2007. Et 62% sont « bien informés sur les grands projets de leur administration ». Un pourcentage en hausse de 10 points depuis 2007.

On peut formuler l’hypothèse selon laquelle, le management « challengé » par la mise en œuvre de la modernisation a gagné en expérience et en compétence, notamment dans la conduite du changement. Désormais 55% des agents de la FPE perçoivent positivement « la gestion du changement dans leur administration ». Ils n’étaient que 48% à partager cette opinion en 2007.

Dès lors, les marges de manœuvre de l’encadrement pour poursuivre les transformations s’en trouvent renforcées.

Conclusion : grille de lecture et enjeux

Au cours des dernières années, les opinions et attitudes des agents publics à l’égard du processus de modernisation ont évolué. On identifie trois séquences distinctes :

  • Avant 2009 : la pédagogie du changement. Grâce aux efforts de communication et d’information qui ont été entrepris ces dernières années la nécessité du changement et de la modernisation est acquise. En 2007, 77% des 5 000 agents publics interrogés par Ipsos au téléphone dans le cadre de l’Observatoire de la fonction publique déclaraient « comprendre la nécessité du changement au sein de leur administration ».
  • 2009 – 2010 : au cœur du changement. Les « bénéfices » de la modernisation ne sont pas encore visibles tandis que la déstabilisation et l’inquiétude qui accompagnent les processus de changement jouent à plein.
  • 2011 : une dynamique du changement qui s’installe. « On change. On demeure critique mais on adhère davantage. On note des progrès et on s’interroge : quels bénéfices individuels et quelles finalités collectives ? »

Trois enjeux clé :

La vision de l’avenir : la prise de conscience de la nécessité pour l’administration d’évoluer demeure largement partagée par les salariés de l’administration. Ces dispositions favorables résistent à l’expérience du changement et constituent pour les pouvoir publics un capital en faveur du processus de modernisation à surveiller et à conforter. Car ce soutien reste fragile et moins manifeste que dans les principaux pays européens. Pour preuve : malgré les progrès enregistrés dans les domaines de l’adhésion, de l’information et des pratiques managériales, l’optimisme dans l’avenir de l’administration n’a pas évolué et reste en deçà de la moyenne des 34 pays de l’enquête Ipsos RED© (60% vs. 74%).

Dans ce contexte, la capacité des pouvoirs publics à transmettre visibilité et perspectives collectives aux agents de l’administration va peser d’un poids déterminant à l’avenir pour conforter leur adhésion et leur engagement. D’autant que l’ampleur des transformations vécues et à venir requiert une large adhésion. La poursuite et l’approfondissement du travail d’écoute, de conviction et de clarification des orientations et des finalités de la modernisation de l’administration sont cruciaux.

Perspectives : l’adhésion et l’engagement des agents seront d’autant plus facilités que les aspirations individuelles coïncideront mieux avec les besoins d’une administration en constante évolution. A cet égard, la prise en compte des attentes de fonctionnaires de mieux en mieux formés (et exigeants ?) en matière de gestion des compétences, de mobilité fonctionnelle et de perspectives d’évolution professionnelle constitue un axe de réflexion majeur.

Les pratiques managériales comme levier d’accompagnement des agents dans le changement et le « mieux vivre en administration » : une partie des agents éprouvent le besoin d’être accompagnés. La satisfaction sur la charge de travail est orientée à la baisse et le temps passé au travail est une préoccupation en hausse au sein de la FPE. La réponse managériale passe par la priorité donnée aux outils d’accompagnement (formation, définition des rôles et des compétences, organisation du travail…). Une réponse en somme, à l’intensification du travail induit par les transformations en cours.

Ipsos Loyalty ERM, Benoit Rogeau, jeudi 1er décembre 2011.

Séminaire RGPP : l’intégralité en vidéo

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