"Managers engagement in turbulent times*"

Après plusieurs années de crise et de transformation de l'économie mondiale, les managers sont-ils encore «engagés» ? Comment leur niveau d'engagement a-t-il évolué ? Observe-t-on des différences selon les secteurs d'activités, les pays ? Pourquoi cette notion est-elle  devenue une notion-clé ? Quels sont les ressorts de l’engagement chez les managers ? Réponses d'Antoine Solom, Directeur International d’Ipsos Loyalty, invité récemment à s'exprimer sur le sujet à Barcelone, dans le cadre de la 5ème Conférence Européenne sur l'Engagement.

Auteur(s)
  • Antoine Solom Directeur, Ipsos LEAD
  • Nicolas Tannenbaum Deputy Managing Director, Ipsos LEAD
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  • “Souvenez-vous du bon vieux temps, quand nous parlions de la «crise des subprimes» – on nous disait que cette crise pouvait être «maîtrisée». Que de nostalgie !” Paul Krugman, dans le New York Times, en mars 2009.

    A l’échelle mondiale, seuls 24% des citoyens pensent que la situation économique va s’améliorer dans les 6 prochains mois. Cette donnée, issue d’une étude menée par Ipsos dans 25 pays auprès des citoyens/consommateurs - dont la plupart sont aussi des salariés - témoigne du faible niveau de confiance de l'opinion dans l'évolution de la situation économique de leur pays. Elle masque également une forte disparité entre (par exemple) l’inquiétude qui prédomine dans des pays comme la France, l’Espagne ou l’Italie, où entre 3% et 5% des citoyens se montrent confiants et à l’inverse la confiance qui est nettement majoritaire dans des pays aussi divers que l'Arabie Saoudite (+ 80%), la Suède (+ 70%), la Chine, le Canada ou l'Allemagne (+ 60%). Aussi, comme beaucoup d’observateurs le notent, si mondialisation des économies il y a, les citoyens ont, eux, des visions très contrastées.

    Maintenant, si l’on prend un peu de recul, on constate que par grandes zones géographiques, à l’exception de l’Amérique Latine, nul n’a retrouvé le niveau de confiance des années précédant la crise de 2008. Si la confiance dans la situation économique semble néanmoins se stabiliser désormais aux alentours de 40 à 50%, on notera la baisse importante qui affecte les fameux «BRIC» et surtout l’effondrement de la confiance en Europe, où l’on passe de 50% en 2007 à 25% aujourd’hui – à l’exception de l’Allemagne. 

    Dans ce contexte quid de l’engagement des salariés ?

    Pour commencer arrêtons-nous quelques instants sur cette notion, qui s’est généralisée ces quinze dernières années. Pour résumer, l’engagement mesure l’intensité de la relation entre les salariés et leur employeur – entreprises ou administrations. Cela va donc bien au-delà de la motivation ou de la simple satisfaction par rapport à sa situation professionnelle.

    On a bien souvent tenté d’établir une corrélation entre un haut niveau d’engagement et la performance économique des entreprises pour populariser le concept auprès de lignes managériales généralement un peu réticentes face à ce type de mesure, au risque d’oublier pourquoi ce concept est devenu aussi important dans le monde actuel.

    Fondamentalement, la prégnance du concept  d’engagement est tout d’abord le fruit de mutations de long terme qui ont inversé le rapport entreprises-salariés. Là où les entreprises ont eu une position dominante pendant plusieurs décennies, elles sont désormais dans une position de dépendance plus accentuée vis-à-vis de leur environnement, de leurs parties prenantes et notamment de leurs salariés.

    Quelques exemples de ces mutations : les entreprises ont perdu une partie du contrôle sur leur propre environnement interne au gré de la mondialisation de leurs organisations ; elles exercent aussi moins de contrôle sur leur environnement externe face à la montée en influence de leurs parties prenantes ; moins de contrôle également sur des salariés plus «infidèles sans culpabilité» ; la légitimité «naturelle» du management est aussi remise en cause dans un monde de plus en plus marqué par une crise de l’autorité. A l’inverse les entreprises emploient des salariés mieux éduqués et mieux formés / informés. Autre notion clé : l’individualisation. Partout on mise sur l’autoévaluation, on pratique les entretiens annuels individuels, on pousse la performance individuelle, etc. - autant de tendances susceptibles de dégrader la relation collective, les solidarités traditionnelles  et les régulations sur lesquelles les entreprises ont pu s’appuyer pendant quelques décennies. Enfin, la «virtualisation» du travail prend une place de plus en plus importante et se couple avec une logique de multifonctions, de multitâches.

    On pourrait multiplier les exemples de ces mutations qui remodèlent progressivement la relation salariés – employeurs. A cela s’ajoute un environnement économique dont on a vu en introduction combien il est disparate et finalement incertain. En revanche, il est sûr que les entreprises sont de plus en plus soumises à un impératif de transformation permanente et de flexibilité accrue dans cette économie en voie de «globalisation», instable et imprévisible.

    C’est à la croisée de cette conjoncture instable et des mutations de long terme qui affectent la relation salariés – employeurs que s’inscrit le concept d’engagement. Dans un monde dominé par l’incertitude, le besoin accru d’adaptation et de flexibilité des entreprises fait de l’engagement des salariés un facteur clé de leur capacité de transformation et donc de leur performance durable. Mesurer, comprendre et agir sur les ressorts de la loyauté des salariés, de leur implication au quotidien et de leur alignement vis-à-vis des orientations de leur organisation (les trois composantes clé de l’engagement traduits dans le modèle d’Ipsos) sont devenus un impératif qui va bien au-delà de la logique du tableau de bord et des indicateurs de pilotage de l’entreprise. Il s’agit, pour le management, de s’adapter aux mutations qui affectent la relation salariés-employeurs et ce faisant, de renforcer la capacité de transformation des entreprises face aux exigences de leurs marchés et parties prenantes

    Depuis 1999, date de la création de l’activité «Leadership & Employee Engagement» au sein du Groupe Ipsos, nous conduisons une étude annuelle qui couvre désormais 36 pays et 23 secteurs d'activité[1]. Que montrent les derniers résultats en matière d’engagement des salariés ? De grandes différences selon les pays, sachant que cela reflète à la fois des environnements économiques, mais aussi des différences culturelles qui affectent les modes de réponses. Mais au-delà de la mesure à l’instant T, on constate surtout une amélioration globale du niveau d'engagement des salariés dans le monde, notamment depuis 2009 qui a correspondu à un point creux suite à la crise de 2008. Seuls quelques pays (Pays-Bas, Suède…) et le secteur du transport aérien sont en retrait par rapport à 2009.

    Le niveau d’engagement des managers suit ces tendances. Elles sont plus ou moins marquées, là encore, selon les univers culturels. Ainsi l’écart entre niveaux d’engagement des managers vs. les non managers semble avant tout refléter le poids des strates hiérarchiques – on retrouve des pays à forte culture consensuelle, notamment dans le nord de l’Europe (Allemagne, Pays Bas, Suède…), où l’écart est de l’ordre de 7 points ou moins, alors qu’il est de 10 points ou plus dans des pays du sud de l’Europe (France, Espagne) ou certains pays d’Asie (Chine, Japon…). Ces différences culturelles se retrouvent lorsque les managers sont amenés à décrire leur relation au travail : de la fierté américaine au plaisir français en passant par la routine britannique, on mesure combien en ces temps de mondialisation, les modèles culturels demeurent prégnants.

    Néanmoins, la fonction managériale n’échappe pas à la crise d’autorité qui traverse tous les pays occidentaux. Dans ce contexte, auquel s’ajoute la transformation des organisations (matrices mondiales plus ou moins complexes, dont les points d’équilibres oscillent au gré des modes et des impératifs de résultats), le rôle du manager s’apparente de plus en plus à celui d’un catalyseur d’énergies et de talents bien plus qu’au manager détenant ressources et pouvoir de décision. Ce dernier étant de plus en plus partagé (par exemple sous les effets de la matrice), la capacité d’influence devient la compétence clé du manager-catalyseur.

    On retrouve l’influence de cet arrière plan lorsque l’on examine les leviers d’engagement de ces mêmes managers. «L’émotion» est le levier central que l’on retrouve dans tous les pays occidentaux. Cette combinaison d’adéquation entre valeurs personnelles et valeurs de l’entreprise, de cohérence entre valeurs affichées, actes et politiques déployés en interne, de la fierté / l’attachement aux produits de l’entreprise, est au cœur de l’engagement des managers. Elle devance largement la «vision» (la stratégie, la capacité à délivrer, à changer, la déclinaison cohérente des objectifs aux différents niveaux de l’organisation…), qui est pourtant au centre des messages relayés par la communication interne des entreprises. En ces temps d’incertitudes, peut-il en être autrement ? Cela interpelle tout de même sur l’importance que les entreprises et leurs dirigeants (les fameux « C suites ») devraient accorder à la dimension émotionnelle. Derrière l’émotion, on trouve «l’action», c'est-à-dire la capacité à faire, à s’accomplir professionnellement, à utiliser pleinement son potentiel et ses compétences. Or dans des univers de travail de plus en plus normés, il y a là des pistes de réflexion à creuser.

    Suivent les notions d’ «inclusion» et de «connexion», soit la capacité à vivre, travailler ensemble et à progresser.

    On retrouve ces leviers, mais selon une hiérarchie différente, chez les non-managers, pour lesquels par exemple, les notions d’inclusion et de connexion occupent une place plus importante. Cette hiérarchie varie aussi suivant la situation de l’entreprise (en croissance, en crise…), démontrant si nécessaire que le modèle unique de l’engagement n’existe pas et qu’il s’agit de l’analyser et de le comprendre dans l’environnement propre à chaque entreprise.

    Cette capacité à mesurer mais surtout à s’interroger, à analyser, à écouter et à dialoguer est à l’évidence une exigence désormais incontournable dans un monde incertain, difficile à prédire mais qui n’aura jamais donné tant de place au fameux «facteur humain». C’est aussi une condition centrale de succès dans la durée des entreprises.

    *‘l’engagement des managers en temps de crise’


    [1] L’enquête RED (« Representative Employment Data ») est réalisée directement par Ipsos auprès d'échantillons représentatifs de salariés travaillant dans des organisations de plus de 100 salariés. Cette méthode permet de disposer ainsi de résultats fiables, mis à jour et représentatifs de la structure salariée dans 36 pays et une vision transversale par grands secteurs d’activité. 

Auteur(s)
  • Antoine Solom Directeur, Ipsos LEAD
  • Nicolas Tannenbaum Deputy Managing Director, Ipsos LEAD

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