Marketing & Seniors : l'intérêt de la segmentation et de la typologie
Quel intérêt les marques ont-elles à s’adresser aux seniors ? Comment les segmenter et anticiper la nouvelle séniorité pour laquelle les « quinquados » donnent le ton ? Valerie-Anne Paglia, Directrice Ipsos UU et Thibaut Nguyen, Directeur du département Tendances & Prospective ont répondu à ces quelques questions posées par la rédaction du magazine Marketing Professionnel.
LES MARKETEURS PORTENT-ILS SUR LES SENIORS UNE VISION STÉRÉOTYPÉES OU FACTUELLE ?
Les marketeurs ont augmenté leur niveau de connaissance sur cette cible à mesure qu’elle représentait un potentiel grandissant, et se sont éloignés d’au moins un stéréotype, qui consistait à envisager les seniors sous l’angle du vieillissement uniquement.
Et c’est tant mieux, car à mesure que l’on débat sur cette cible, de nouvelles générations de seniors arrivent sur le marché, qui ont socio culturellement de moins en moins à voir avec celles qui étaient étudiées il y a encore 10 ans.
Cependant deux écueils subsistent dans la perception des seniors :
Un terme unique qui agrège deux générations très différentes : le 4ème âge (qui débute autour de 65 à 70 ans), et le troisième âge (55 à 65 ou 70 selon les définitions) qui est vraiment différent. Les 55-65 ans sont nés entre l’après-guerre et 1960. Certains ont donc eu 20/25 ans dans les années 80, ont connu et adhéré au mouvement hippie ou même écouté The clash et les Sex Pistols, etc. Ils se sont construits avec la crise économique et non avec les trente glorieuses, comme certains marketeurs sont encore tentés de le penser.
Deuxième écueil, la tentation de remplacer un stéréotype (celui du senior décrit sous l’angle unique du doyen ou de l’ancien) par la nouvelle image d’épinal d’un jeune seniors « quinquado » positif, flamboyant, dynamique et disposant de ressources illimitées. Un « jeunisme « du senior » en quelque sorte… Or, les 55-65 ans d’aujourd’hui ont évolué dans une France dont la situation s’est dégradée économiquement, ont connu les questionnements de société, le SIDA, l’errance professionnelle que nous connaissons encore. Ces problématiques leurs sont familières, autant qu’à nous ! Ils sont en quête de réinvention, en recherche de sens, parfois en totale perte de repère. Malgré le fait que le niveau de vie moyen des 55-74 ans soit supérieur de près de 12% à l’ensemble de la population, certains subissent une pression importante du fait de devoir gérer les ascendants et les descendants, d’être la ‘génération tampon’ qui prend en charge les problèmes de santé de parents vieillissants et de leurs enfants, pas encore installés ; ce qui ne laisse qu’un pouvoir d’achat relatif consacré aux dépenses personnelles et crée une pression forte sur ces Seniors.
QUELS INTÉRÊTS LES MARQUES ONT-ELLES À S’ADRESSER AUX SENIORS ?
L’intérêt de cette cible vient d’abord des grandes masses : près d’1 personne sur 3 aura plus de 60 ans en 2100 sur la terre, ce qui fera des seniors la première cible toutes catégories confondues. Et l’espérance de vie augmentera encore avec les progrès médicaux, laissant imaginer un « 5ème âge ». Il s’agit donc d’un « vivier » inépuisable.
Ensuite, celui d’un pouvoir d’achat supposé important (cf supra), notamment sur la part des dépenses « plaisir », les gros achats d’équipement ayant déjà été effectués. Mais là encore, deux bémols : outre le possible étranglement de certains seniors entre leurs ascendants et descendants, la génération actuelle de senior est sans doute la dernière à connaître un pouvoir d’achat important. Cette génération bénéficie d’une retraite, et a pu également hériter d’un patrimoine constitué par ses ascendants dans les trente glorieuses justement. Pour les prochains seniors, ce sera sans doute beaucoup moins le cas.
Ensuite, les intérêts et angles d’attaque des seniors diffèrent selon que l’on parle des jeunes seniors ou du 4ème âge (voire 5ème).
Les jeunes seniors sont en quête d’une seconde vie, et peuvent renouveler leurs pratiques de consommation du tout au tout. Dans l’automobile par exemple, on observer un phénomène de « downsizing hédoniste » : le véhicule familial est revendu dès le départ des enfants, on cherche plus petit, plus maniable mais aussi plus fun et luxueux. On peut aussi observer le phénomène dans l’immobilier, avec des déménagements pour revenir en centre-ville, dans des logements moins excentrés, plus pratiques. Ils sont aussi très consommateurs de nouvelles technologies, d’activités créatives… 67% des 55-70 ans déclarent par exemple ne pas pouvoir se passer d’au moins une connexion à Internet par jour. Ils représentent 1% de la population estudiantine en France, et cette proportion a triplé au cours des 5 dernières années.
Le 4ème âge : un angle d’attaque évident sur la prévention du risque, et la santé « active ». Le confort domestique, la simplification et sécurisation du quotidien par la technologie, les programmes de santé active pour se maintenir, mais aussi regagner des capacités physiques, le tourisme adapté, les services à la personne sont autant de domaines moteurs sur cette population. … La technologie connectée propose aujourd’hui des innovations importantes dans ce domaine qui revisitent le quotidien des seniors plus âgés, et s’adressent à eux mais aussi aux proches / prescripteurs / aidants.
… MÊME POUR DES PRODUITS QUI, A PRIORI, NE LEUR SONT PAS DESTINÉS ?
Les jeunes seniors raisonnent de moins en moins selon une pseudo « conscience de leur âge » qui les orienterait vers des marques qui afficheraient ouvertement les mêmes âges cibles. La conscience de l’âge est aujourd’hui brouillée, davantage liée à un ressenti intérieur d’énergie, et la perception d’un accès encore ouvert à certains environnements (professionnel par exemple). Or jusqu’à 65 ans, et parfois 70 les jeunes seniors sont toujours en activité, et entendent continuer à l’être sous d’autres formes (entrepreneuriat, apprentissage de nouvelles compétences, aides, réseau associatif). Ils ne sont donc plus « désocialisés » et sont de plus en plus considérés (ou se considèrent eux-mêmes) comme des ‘freelance’ partageant leur vie entre famille, loisirs, coup de main, associations et parfois un résidu d’activité professionnelle. Ils se considèrent aussi comme des hommes et des femmes, et non un troisième sexe asexué, qui serait celui des « anciens ». Ils entendent donc avoir accès de manière libre et décomplexée à la majeure partie des sphères de la consommation, et s’ouvrir à des marques qui ciblent des générations plus jeunes, dans une optique de rajeunissement de style, et de « changement de personnalité ».
Autre signal faible intéressant : le jeunisme tend à n’être plus l’unique référence. L’allongement de la durée des études, l’apparition de figures fortes de quinquas ou sexagénaires « visionnaires » et créatifs (Steve Jobs, Clint Eastwood), favorise l’émergence de modèles aspirationnels plus âgés. Dans le même ordre d’idée, la « sexyness » des quinquas et sexa est aujourd’hui davantage reconnue (Antoine de Caunes, Kristin Scott Thomas) .
LES QUADRAGÉNAIRES ACTUELS AURONT-ILS DES COMPORTEMENTS RADICALEMENT DIFFÉRENTS DE LEURS AINÉS QUAND ILS SERONT EUX-MÊMES SÉNIORS ?
Les « quinquados » donnent le ton. Les quadragénaires iront sans doute encore plus loin : créativité, remise en cause profonde de leur schéma de consommation, mise en place plus anticipée de leur seconde vie, là où les jeunes seniors d’aujourd’hui l’improvisent. Ces « purs enfants de la crise », génération X, ex grunge sont aussi nés avec les stratégies marketing, et ont participé au déploiement des nouvelles technologies, et à l’essor de l’économie collaborative.
Ils seront sans doute encore plus radicalement différents de l’image d’Epinal des seniors d’antan que les quinquas d’aujourd’hui. Ils inventeront probablement une nouvelle seniorité, faite de communautarisme et d’entrepreneuriat. Le fait que certains d’entre eux commencent à envisager de se retrouver entre amis dans des maisons de retraite autogérées et solidaires illustre cette tendance naissante.
Source : Dossier Senior Marketing www.marketing-professionnel.fr