(Re)créer du lien au pays des fractures

L’Insight Tank, c’est un collectif d’experts d’Ipsos pour rassembler les savoirs et les datas sur une sélection de sujets au fort potentiel business : En ciblant les enjeux à l’intersection de tous les secteurs et de tous les marchés. En affirmant le lien société et consommation, citoyens et consommateurs pour connecter les sujets marketing, opinion, médias… avec les grands phénomènes sociétaux et leurs impacts, et inversement. En associant les insights à des savoirs académiques hors Ipsos.

Auteur(s)
  • Yves Bardon Directeur du programme Flair, Ipsos Knowledge Centre
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Insight tank lienLe 17 mars 2020, avec les mesures anti covid-19, nous sommes entrés dans un monde étrange avec des mots inédits, d’un autre âge ou d’une planète bizarre dans un projet de science-fiction qu’aucun éditeur n’aurait publié : pandémie, confinements, couvre-feux, gestes-barrières, passe sanitaire, provax, antivax…

Cette crise a été à la fois un révélateur et un accélérateur.

Elle a révélé l’état réel du système de santé et des infrastructures, notre impréparation, les disparités (propriétaires/ locataires, maison de famille/résidence secondaire/petit appartement, équipés en PC / « illectronistes » …) dans un contexte où il faut se souvenir que le « monde d’avant » est celui des gilets jaunes et des « Fractures françaises ».

Elle a accéléré les transformations. Comme solutions aux contraintes sanitaires (confinements & couvre-feux, fermeture des magasins « non essentiels », etc.), le télétravail, la télémédecine, le e-commerce, les services de streaming, l’implémentation des technologies dans la vie quotidienne… ont connu un essor sans précédent, créé de nouvelles routines, suscité de nouveaux arbitrages et des transferts de dépenses : aller au cinéma / acheter une TV plus grande, aller au restaurant / cuisiner chez soi, vivre dans une grande ville / déménager à la campagne, etc.

Elle a révélé des inégalités durables que l’inflation et les hausses des prix ne font qu’amplifier : baguette de pain, gaz et électricité, timbres et carburants, dans un contexte d’inflation en hausse, etc., augmentent le poids des dépenses contraintes et s’attaquent aux besoins fondamentaux : s’alimenter, se loger avec plus de confort, communiquer, se déplacer.

A quelques exceptions, la question du pouvoir d’achat est centrale avec le sentiment d’une paupérisation en hausse, ce qui se vérifie dans les éditions de décembre 2021 de nos enquêtes What Worries the World et Global Advisor sur la perception de l’inflation dans le monde, et Obs’COP2021 – EDF (Observatoire International Climat et Opinions publiques).

Il n’y a pas d’expert muet

Jean-Marc Lech, co-Président d’Ipsos (1982-2014)

La première montre que la pauvreté et les inégalités sociales inquiétaient 32% des Français en décembre 2021 (Vs. 29% en novembre) et que 72% estimaient en janvier 2022 que la France va dans la mauvaise direction, en ligne avec une moyenne de 70% en 2021.

La deuxième enquête montre aussi que 53% ont le sentiment que les prix qu’ils ont payés au cours des dernières semaines sont plus élevés qu’il y a six mois (dont 22% de « beaucoup plus élevés »), un score qui monte à 57% chez les 50/74 ans).

Obs’COP20211 révèle que la question du coût de la vie est désormais en tête des des préoccupations des Français (57%, +7pts par rapport à 2020).

L’enquête sur l’inflation montre aussi que 40% des Français s’attendent à une augmentation de leurs dépenses dans les trois prochains mois.

Cette situation impacte le tissu social avec des positions et des réactions de plus en plus clivées.

Même si le revenu de millions de Français est objectivement garanti (retraités2 , fonctionnaires3 , employés des services publics et assimilés4 , bénéficiaires d’allocations sociales et du système de redistribution en général), passer au travers des hausses des prix est un privilège qui diminue.

A l’échelle mondiale, les choses ne risquent pas de s’arranger avec des économies qui restent fortement interdépendantes, des guerres tarifaires et commerciales, les défis que les chaînes d’approvisionnement en matières premières doivent relever (ressources, recyclage, diminution des volumes…).

Comment parler de « Lien » dans ce contexte ?

On voit au contraire la tendance au repli : en 1989, année de la chute du Mur de Berlin, il y avait six murs dans le monde, contre environ soixante-dix aujourd’hui, de l’Inde à la Serbie en passant par le Mexique avec un objectif, interdire d’entrer.

On constate la rétraction sur soi-même, sa famille, son premier cercle, et la volonté de se protéger le plus possible contre tout ce qui représente une menace, au premier rang desquelles l’altérité ; la maison est le temple de ce bunkering douillet.

On mesure combien la confiance ne sort pas intacte de la crise. Seulement 14% des Français pensent que le gouvernement fait ce qu’il dit (20% dans le monde) quand 16% estiment que les médias sont fiables (Vs. 24%). Des chiffres intéressants pour une année électorale où trois publics se fragmentent : les Légitimistes, les Abstentionnistes, et les Dégagistes.

La (re)construction du lien dépend de la manière de penser la crise de la covid-19. Ou elle fonctionne comme un électrochoc alertant sur la nécessité d’être prêts à affronter d’autres phénomènes, parfaitement prévus et prédictibles (vieillissement de la population, urgence climatique, migrations, mutation du travail avec l’automatisation, la robotisation et l’Intelligence Artificielle, aggravation des dispa-rités), faisant prendre conscience de ce qui nous attend pour agir dès maintenant, ensemble.

Ou elle s’avère une occasion manquée, et le monde restera tributaire d’autres crises, sociales, sanitaires ou climatiques, que chaque pays gèrera plus ou moins bien, avec comme conséquence un fossé entre les gagnants et les perdants, et un jeu toujours plus « perso » pour espérer s’en sortir.

Mathieu Gallard (Ipsos Public Affairs) et Thibaut Nguyen (Trends & Futures Ipsos en France) vous en disent plus dans les pages qui suivent.

 


 

1 https://www.edf.fr/observatoire-opinion-rechauffement-climatique-telechargements
2 17 millions de personnes
3 5,5 millions de personnes
4 800 000 personnes

Auteur(s)
  • Yves Bardon Directeur du programme Flair, Ipsos Knowledge Centre

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