Enquête électorale : la dramatisation et le ressort du vote utile

En trois mois, le duopole LRM-RN est passé de 42,5 % à 46,5 % dans les intentions de vote pour les européennes.

Article initialement publié sur lemonde.fr

Un scrutin doit permettre à des électeurs d’identifier clairement la proposition qu’on leur demande de trancher. Cela suppose, dans l’espace d’affrontement qu’il organise, des offres claires et distinctes sur des sujets considérés comme importants et sur lesquels la politique peut avoir de l’impact. Si ces 3 critères existent, il y a de l’enjeu, voter est utile et la mobilisation s’opère.

La présidentielle est l’élection qui réunit le mieux ces 3 conditions : elle est fortement incarnée, ce qui favorise la perception immédiate d’une offre distincte ; il y a systématiquement des projets ou des mesures symboliquement importantes qui finissent par émerger ; l’impact enfin est jugé réel : on élit un exécutif qui va prendre des décisions qui vont nous concerner. L’élection européenne est inverse : elle est faiblement incarnée ; elle ne donne pas le sentiment qu’on élit un pouvoir exécutif efficient. Il faut donc que la campagne agisse, a minima, sur le 3ème critère : faire émerger un ou des thèmes jugés importants et à propos desquels les listes en présence apporteraient des réponses clairement différentes. Certaines s’y essayent autour de sujets tels que l’environnement, l’immigration, la protection des économies nationales ou la place de la France en Europe. Mais à date, aucun de ces thèmes ne s’est vraiment imposé comme la controverse centrale de l’élection. Pour l’électeur, chaque liste reste plutôt dans son couloir avec ses thèmes. Il y a du bruit mais l’enjeu est toujours opaque. Comment rendre le vote utile ?

En opérant un nécessaire travail de simplification et de dramatisation de l’enjeu. Dans le passé, cela s’est fait autour de deux grandes thématiques : « pour ou contre l’Europe » et « pour ou contre le pouvoir en place ». C’est encore une fois ce qui est en train de s’opérer mais avec une modalité supplémentaire posée par LREM : « pour ou contre le danger d’un RN en tête à l’issue du scrutin ». Comme par ailleurs les LR et plusieurs formations de gauche ont brouillé, dans un discours critique, leur position à l’égard de l’Europe, l’équation simplifiée et la plus saillante du scrutin devient : LREM est le vote des pro-européens + le vote de soutien à la politique domestique actuelle + le vote qui permet d’éviter la victoire du RN et ses conséquences. Le RN est tout le contraire : le vote critique à l’égard de l’Europe + le vote qui permet d’éviter la victoire de Macron et ses conséquences + le vote du peuple contre les élites et leur supposés égarements. Dans les 2 cas, vous avez du 3 en 1 ! C’est simple, c’est lisible et cela laisse peu de place aux autres listes. Cela marche-t-il ?

Oui, en grande partie. Entre la mi-février et la mi-mai, le total des intentions de vote mesuré par Ipsos / Sopra Steria en faveur du duopole est ainsi passé de 42,5% à 46,5%. Cette progression s’est clairement faite au détriment des listes de seconde importance qui, dans cette équation, sont étouffées ou ne parviennent pas à décoller : Benoît Hamon abandonne ainsi 2% sur la période, les Gilets Jaunes et les autres petites listes 3,5%, la liste de Nicolas Dupont-Aignan 2% (dont 0,5% d’électeurs, dans la seule dernière enquête, qui passent directement au RN) ; les LR quant à eux piétinent à 13% et là aussi, l’analyse des changeurs montrent que le RN leur prend directement 0,75 points entre deux vagues d’enquête. Quant aux listes Place publique et EELV, elles sont également scotchées respectivement dans la zone des 5,5% et des 8/8,5%.

Cette dynamique du vote utile autour de la question du vainqueur du scrutin peut-elle durer ? Oui. Autant, parmi les électeurs du RN, la question du rang d’arrivée devant ou derrière LREM compte peu et ne fait éventuellement que les renforcer dans leur choix, autant les électeurs de LREM y sont plus sensibles. Surtout, dans les autres électorats, l’idée d’un coude à coude pourrait inciter 34% des électeurs socialistes à voter en faveur de LREM pour empêcher celle du RN d’arriver en tête et 5% seulement à voter RN pour empêcher LREM d’être en tête. L’effet d’éviction pourrait donc encore s’aggraver. Il en est de même pour 31% des électeurs écologistes qui pourraient, dans une telle hypothèse, aller sur LREM (6% sur le RN) et pour 29% des UDI (13% sur le RN). Même chez les LR, la question joue légèrement en faveur de LREM : 19% seraient incités à voter LREM, 15% RN. Il n’y a que chez les électeurs de NDA que ce coude à coude inciterait à voter RN (45%) plutôt que LREM (6%). A noter également la particularité des électeurs LFI : pour 75%, cela ne changerait rien à leur vote tandis que 12% pourraient aller sur LREM… et 13% sur le RN.

Il y a cependant une limite à ce ressort : dans une présidentielle ou des régionales, l’idée de la bascule d’un exécutif au profit du RN inquiète fortement. Les conséquences sont moins visibles à propos du Parlement européen. Et la dramatisation joue moins quand on évoque les conséquences d’un rang d’arrivée et non un changement de pouvoir effectif et immédiat. La dernière semaine de campagne dira donc ce qui va s’imposer entre la dynamique RN, le vote utile LREM et la volonté des électeurs d’échapper au duopole.

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Auteur(s)

  • Brice Teinturier, Directeur Général Délégué France, Ipsos
    Brice Teinturier
    Directeur Général Délégué France, Ipsos (@BriceTeinturier)

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