Libérer l’humain : quelle place pour l’audace dans l’entreprise ?
L'entreprise fait-elle la part aussi belle à l'humain qu'elle le dit ? Assiste-t-on vraiment à une modification des rapports d'autorité dans l'entreprise ? Les jeunes bousculent-ils l'entreprise ? L'humain est-il rentable ? N'en demande-t-on pas trop aux managers ? Des questions posées à différents intervenants, chef d'entreprise, expert en marketing, DRH, psychiatre, invités dans le cadre de la Cité de la Réussite organisée à la Sorbonne, les 8 et 9 novembre derniers autour du thème de l'audace (1). Résumé de quelques réflexions extraites d'une table ronde captivante.
L'ENTREPRISE FACE A SES CONTRADICTIONS
« L'enquête que nous avons réalisée dans le cadre de la Cité de la Réussite nous dit que nous avons encore quelques progrès à faire. Elle précise notamment que 50 % des Français considèrent que l'on freine l'audace en entreprise aujourd'hui. Cela résume assez bien la contradiction entre d'un côté des entreprises qui, je crois, encouragent assez fortement l'audace, et de l'autre, des entreprises soumises à la question clé de la maîtrise de leurs risques. Il y a une autre contradiction entre des salariés qui n'ont jamais aussi bien formés, autant informés, et des pratiques managériales qui bien souvent sont assez anciennes et ont beaucoup de mal à évoluer. Il me semble que c'est le cœur du sujet. (…) Ce n'est pas du tout hypocrite de dire qu'il faut être audacieux ou de vouloir mettre l'audace en tant que valeur. C'est vital pour toutes les entreprises aujourd'hui. Ce qui s'est passé sur les 50 dernières années, c'est que les entreprises ont perdu le contrôle de leur environnement parfois même de leur organisation. Elles luttent. Elles font du reporting parce qu'elles cherchent à se rassurer, à encore contrôler quelque chose. Et elles ont besoin de l'audace parce qu'elles ont besoin de leurs hommes beaucoup plus qu'avant. »
Antoine SOLOM, Directeur International, Ipsos Loyalty
SUSCITER L'ENVIE
« Pourquoi l'entreprise a tant besoin d'audace aujourd'hui ? Parce que ce qui se passe dans le mouvement sociétal en train d'émerger, nous montre que l'entreprise n'est plus adaptée au monde dans lequel elle vit. Ce qui est tout à fait déroutant. L'entreprise jusqu'à lors était plutôt en avance. Là, elle a du mal à suivre. Et l'entreprise doit être audacieuse car elle doit utiliser l'envie plus que la pression dans la motivation des acteurs. Ça elle ne sait pas faire aujourd'hui. Elle sait très bien mettre la pression, mettre de la récompense mais elle sait très mal susciter l'envie. Et susciter l'envie, cela suppose du management de faire preuve de beaucoup d'audace. Car il doit accepter de perdre le contrôle. C'est extrêmement audacieux pour un dirigeant mais très angoissant aussi pour lui. L'audace, c'est justement être capable d'aller au-delà de son anxiété personnelle. C'est là dessus que l'entreprise a d'énormes progrès à faire. »
Eric ALBERT, Psychiatre
LIBERER ET STRUCTURER LES ENERGIES
« Alors que nous sommes une entreprise pionnière, très audacieuse par nature, nous nous sommes rendus compte que l'audace pouvait disparaître du fait de la taille et de la complexité des organisations. Également des guéguerres qui pouvaient exister entre les différentes parties. Depuis 2006, Airbus Group s'est beaucoup intégré pour travailler comme une seule et même entreprise. Mon travail, c'est de libérer les énergies et de leur permettre de s'exprimer de manière plus organisée. Nous avons la chance d'avoir un niveau de qualification, d'intelligence qui est très élevé chez nous. En même temps, c'est un défi car plus nous nous adressons à des salariés qui peuvent apporter des innovations, plus il faut essayer de structurer ça afin que tout ce que l'on fait de manière individuelle soit tourné vers un but collectif. L'audace est encadrée mais c'est un élément de valeur de l'entreprise. Nous faisons partie de ces entreprises qui prônent l'agilité à tous les niveaux. (…) Nous avons deux démarches pratiques, l'une qui est de mesurer le niveau d'engagement des salariés, leur bien-être, et l'autre d'évaluer nos leaders sur un certain nombre de capacités « soft ». Alors c'est quoi ce « soft », de doux si vous préférez ? C'est cette capacité de prendre en compte le niveau humain dans la prise de décision sur des sujets concernant la vie dans l'entreprise. »
Thierry BARIL, Directeur Général des Ressources Humaines d’Airbus Group & d’Airbus
LA CULTURE DIGITALE FAVORISE L'AUDACE
« Quand on parle d'audace, on voit que le secteur digital a permis à des entreprises d'émerger très rapidement et de devenir des champions avec des capitalisations boursières qui sont parmi les plus élevées au monde. Ces sociétés ont ainsi fait preuve d'une agilité extrême pour devenir en très peu de temps les géants que l'on sait. Surtout la culture digitale permet d'avoir des modes d'organisation collaboratifs et participatifs. Le bottom-up plutôt que le top-down. Nous avons une vocation qui est l'empowerment à savoir de vraiment responsabiliser les cadres à tous les niveaux. Cela veut dire à la fois autonomiser, donner le pouvoir. Avec la société de l'information numérique, on peut localiser la décision à l'intérieur d'une organisation au plus près de ceux qui connaissent, ceux qui ont l'information. Et celui qui a l'information, nous lui faisons confiance pour qu'il puisse prendre sa décision parce qu'il connaît mieux le sujet que probablement son manager ou que son PDG. »
Olivier MATHIOT, Cofondateur, président de Price Minister
SAVOIR SORTIR DE L'ADN
« Ce qui me paraît intéressant dans le comportement audacieux, c'est une façon de penser les choses autrement, de promouvoir le développement des individus qui regardent différemment les choses, qui sortent de l'ADN classique de l'entreprise et du coup, qui vont avoir un rôle contributif pour modifier cet ADN. Faire preuve d'audace, ça veut dire avoir en face de soi le sentiment que l'entreprise aura un regard bienveillant, tolérant, permissif. C'est un vrai challenge dans une entreprise comme la nôtre qui est ancienne. Sur la question de comment on prépare les générations de dirigeants de demain, comment on prépare l'évolution des potentiels ? Moi ce qui m'intéresse, c'est que dans l'audace, il y a une dose de courage et de non conformisme. Derrière ça, j'ai remarqué que se cache également une dimension de simplicité, d'authenticité dans les relations avec son environnement. Une dimension qui fait que l'on peut dire les choses autrement, renouveler les relations, et cela est vrai aussi bien avec la ligne hiérarchique qu'avec les organisations syndicales dans le cadre du dialogue social. Il y a aussi une notion de prise de risque qui implique que l'on accepte de tomber et savoir que l'on va devoir se relever. Cela pose la question de la confiance en soi, de la relation à la peur. L'autre élément auquel je m'attache le plus, c'est la notion d'audace pertinente. C'est une audace qui s'adapte au contexte, à la capacité d'acceptation de l'organisation. »
François NOGUE, Directeur Général Délégué Cohésion et Ressources Humaines du Groupe SNCF
(1) Découvrez l'intégralité de l'étude sur l'audace
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