Politique : Comment Bruno Retailleau a pris l’ascendant sur Laurent Wauquiez dans l’opinion
Les 17 et 18 mai, les militants LR seront appelés à désigner le prochain président des Républicains. À deux mois de ce scrutin clé, Diane Lamotte et Mathieu Gallard reviennent sur les tendances du Baromètre politique Ipsos-CESI École d'ingénieurs-La Tribune Dimanche pour faire le point sur l'opinion des Français et les rapports de force à l'œuvre entre Laurent Wauquiez et Bruno Retailleau. Si ce dernier semble partir avec une longueur d’avance - au moins dans l’opinion publique - la partie est-elle gagnée pour autant ?
Nommé au ministère de l’Intérieur en septembre 2024, Bruno Retailleau ne cesse depuis lors de progresser dans les enquêtes d’opinion. En mars 2025, 36% des Français portent ainsi un jugement favorable sur l’action du ministre, qui n’est devancé que par Jordan Bardella, Gérald Darmanin et Edouard Philippe (39% chacun) ainsi que par Marine Le Pen (38%). Bruno Retailleau se classe donc loin devant les autres dirigeants LR, et notamment Laurent Wauquiez qui plafonne à 20% d’opinions favorables.
À exactement deux mois du scrutin des 17 et 18 mai qui permettra aux militants de désigner le prochain président des Républicains, le ministre de l’Intérieur semble donc partir avec une longueur d’avance - au moins dans l’opinion publique.
La popularité de Bruno Retailleau est en forte progression ces derniers mois
Dans un paysage politique où des personnalités de droite et d’extrême-droite occupent désormais presque systématiquement les premières places des baromètres de popularité, Bruno Retailleau a su s’imposer en quelques mois. En effet, la dernière vague du Baromètre politique Ipsos-CESI École d'ingénieurs-La Tribune Dimanche montre que parmi les principaux dirigeants politiques, Jordan Bardella et Edouard Philippe sont ceux qui susciteraient le plus de satisfaction en cas d’élection (34% et 32% respectivement), suivis de Marine Le Pen (31%) et de Bruno Retailleau (28%), en quatrième place sur 23 personnalités testées.
Une position d’autant plus appréciable qu’il y a encore six mois, le ministre de l’Intérieur était à la fois mal identifié et peu apprécié : en octobre 2024, seuls 15% des sondés se disaient satisfaits en cas de victoire de Bruno Retailleau à l’élection présidentielle en 2027, contre 42% qui étaient mécontents à propos de cette perspective, et 40% qui n’avaient pas d’opinion précise. En plus de cette forte progression, il faut noter que le ministre bénéficie encore de réelles marges de progressions. Contrairement aux deux leaders du Rassemblement National, Bruno Retailleau suscite un rejet modéré : seuls 35% des Français se déclareraient mécontents s’il devenait président de la République en 2027, un chiffre similaire à celui mesuré pour Edouard Philippe, mais bien inférieur à ceux de Marine Le Pen (49%) et Jordan Bardella (48%). Les prises de position du ministre sur les enjeux migratoires et de sécurité qui ont parfois suscité la polémique au cours des derniers mois ne l’ont donc pas rendu particulièrement clivant dans l’opinion.
Une popularité qui épouse la sociologie traditionnelle de la droite
En termes générationnels, la popularité de Bruno Retailleau reflète celle des dirigeants de droite de gouvernement depuis des décennies, s’ancrant avant tout au sein de l’électorat senior. De fait, une très nette majorité de Français âgés de moins de 60 ans jugeraient négativement son arrivée à l’Elysée ; ce n’est qu’une fois franchie la barre des 60 ans que le ministre de l’Intérieur dispose d’un soutien majoritaire, celui-ci devenant même massif chez les 70 ans et plus.
Les autres dimensions sont le produit de cet ancrage dans l’électorat âgé : le soutien à Bruno Retailleau s’avère ainsi limité chez les actifs (23% de satisfaits contre 39% de mécontents) quelle que soit leur situation professionnelle, de même que chez les étudiants ou les personnes sans emploi, alors que les retraités seraient largement satisfaits de son accession à l’Elysée (44%, contre 26% de mécontents). On ne repère pas de différences significatives en termes territoriaux.
Une popularité qui s’est largement renforcée aussi bien chez les sympathisants LR que dans les électorats macronistes et RN
Bruno Retailleau bénéficie notamment de sa capacité à élargir sa base aussi bien sur sa droite que vers le centre au cours des derniers mois. Parmi les sympathisants du Rassemblement National, le ministre de l’Intérieur, s’il reste loin derrière Jordan Bardella et Marine Le Pen, se classe néanmoins comme la troisième personnalité qui susciterait le plus de satisfaction en cas d’élection en 2027 (36%). On mesure l’ampleur de sa progression quand on constate que dans la foulée de sa nomination place Beauvau, en octobre 2024, il n’obtenait que 22% de satisfaction au sein de cet électorat, soit une hausse de 14 points en 6 mois. La dynamique est similaire chez les sympathisants de la coalition présidentielle (Renaissance, MoDem, Horizons) : près de la moitié d’entre eux se disent satisfaits de l’hypothèse d’une victoire de Bruno Retailleau à l’élection présidentielle de 2027 (45%). Le ministre de l’Intérieur reste éloigné des niveaux d’Edouard Philippe (67%) et de Gabriel Attal (60%), mais il se rapproche de Gérald Darmanin (48%) et devance nettement François Bayrou ou Yaël Braun-Pivet (25% chacun). Là encore, la progression est impressionnante puisque Bruno Retailleau a engrangé 28 points au sein de cet électorat depuis sa nomination au sein du gouvernement.
Parallèlement à ces percées dans les électorats RN et macronistes, Bruno Retailleau a renforcé sa popularité au sein de l’électorat LR. En octobre 2024, seuls 45% des sympathisants du parti de droite jugeaient positivement son arrivée à l’Elysée en 2027, 30% n’ayant alors pas d’opinion et 25% étant même mécontents à cette perspective. Les choses ont largement changé depuis, puisque les deux tiers des sympathisants LR (67%) seraient désormais satisfaits de cette élection : le ministre de l’Intérieur a gagné aussi bien en notoriété qu’en popularité dans l’électorat de son propre parti. Cette dynamique lui permet désormais d’être la personnalité qui satisferait le plus les sympathisants LR en cas de victoire, devant l’ancien Premier ministre Edouard Philippe (57%) qu’il devance depuis le début de l’année. Surtout, il devance très largement son adversaire pour la tête des Républicains, Laurent Wauquiez (37% chacun). La situation s’est vite retournée puisqu’en octobre dernier, les deux hommes étaient au coude-à-coude : 45% pour Bruno Retailleau et 41% pour Laurent Wauquiez.
Face à Bruno Retailleau, Laurent Wauquiez est nettement distancé en termes de popularité
Face à la dynamique d’opinion en faveur de Bruno Retailleau, Laurent Wauquiez peine à amorcer un mouvement similaire. Depuis l’automne dernier, la part des Français qui jugeraient positivement son accession à la présidence de la République reste située entre 12% et 15%. Au contraire, le mécontentement domine très largement face à cette perspective : mois après mois, près d’un Français sur deux (entre 46% et 51%) éprouveraient un sentiment négatif.
De fait, la perspective d’une arrivée au pouvoir de Bruno Retailleau suscite davantage de satisfaction que celle de son rival dans toutes les catégories politiques, avec des écarts majeurs chez les sympathisants LR, mais aussi au sein des électorats macronistes et RN. Chez les seniors, qui forment aujourd’hui encore le socle de l’électorat LR, l’ancien élu vendéen domine nettement : 46% contre 15% de satisfaction.
Une popularité réelle… mais qui n’est pas sans limites
Bruno Retailleau dispose donc d’un socle de popularité réel dans l’opinion. Cela en fait aux yeux de nombreux observateurs un candidat solide non seulement pour prendre la présidence des Républicains dans deux mois, mais aussi et surtout pour concourir à l’élection présidentielle dans deux ans. Toutefois, plusieurs éléments doivent conduire à relativiser le poids de cette popularité.
Tout d’abord, de bons sondages ne font pas une élection, et encore moins quand ce scrutin se déroule auprès d’un corps électoral très spécifique de quelques milliers d’individus : les militants Les Républicains. Face à la popularité de Bruno Retailleau, Laurent Wauquiez peut compter sur des atouts évidents qui font que l’élection à la présidence du parti est loin d’être jouée : sa relation ancienne avec les militants, son poids personnel auprès des grands élus, sa connaissance fine de la machinerie interne d’un parti qu’il a dirigé pendant plusieurs années...
Par ailleurs, et même s’il parvenait à remporter ce scrutin interne, la popularité de Bruno Retailleau, si elle est réelle, est loin d’être massive et ne suffira pas en elle-même à le propulser vers l’Elysée. Comme on le voit dans le premier graphique, l’opinion des Français à l’égard du ministre de l’Intérieur, si elle est positive en comparaison de la quasi-totalité des autres dirigeants politiques, n’en est pas moins très ambivalente : davantage de Français seraient « mécontents » (35%) plutôt que « satisfaits » (28%) s’il arrivait à l’Elysée. On a par ailleurs montré que sociologiquement, Bruno Retailleau a du mal à sortir des segments traditionnellement acquis à la droite de gouvernement. Surtout, encadré sur sa droite par un électorat RN qui semble très solidement arrimé aux personnalités de Marine Le Pen et de Jordan Bardella, et sur son centre à des électeurs macronistes qui conservent une opinion très positive vis-à-vis de Edouard Philippe ou Gabriel Attal, Bruno Retailleau devra être un stratège particulièrement habile pour parvenir à jouer sur ces deux tableaux.