Transformation digitale : quel impact sur la relation salarié/entreprise ?
Antoine Solom, Directeur International Ipsos Loyalty, ainsi que 3 Directeurs de Ressources Humaines de grandes entreprises - Altran, Edenred et Mondelez International (1), étaient les invités d’une table ronde organisée le 7 octobre dernier à Paris dans le cadre de la 28ème édition du Congrès HR, le rendez-vous phare de la communauté RH.
L’occasion de revenir sur les derniers résultats du Baromètre Ipsos-Edenred 2014 consacré au bien-être et à la motivation des salariés en Europe (2). L’occasion aussi d’évaluer l’impact de la révolution digitale sur l’organisation du travail, les modes de management, et l’engagement des salariés mais aussi d’échanger sur les outils / solutions à disposition des organisations. Que retenir des débats ?
CONGRÈS HR 2014 : LES MOMENTS CLÉS (VIDÉO)
IMPACT DU DIGITAL EN ENTREPRISE : SONDAGE À CHAUD
"D’une façon générale, diriez-vous que la révolution digitale a ou non un impact sur la gestion des RH dans vos entreprises ?* " [*une des questions posées aux participants de la session du Congrès HR: "Engagement : quels nouveaux leviers ? " (enquête par SMS - points de vue recueillis à chaud)]
Verdict : un répondant sur deux pense que le digital a un impact " fort " et l’autre moitié évoquent un impact " modéré ".
82% jugent que ces évolutions influent positivement sur la collaboration entre les salariés, 73% sur la performance opérationnelle, 50% sur réduction des coûts, et 27% seulement soulignent un impact positif sur le bien-être des salariés.
EMBARQUER LES SALARIÉS DANS LE DIGITAL, UN ENJEU CLÉ
Les salariés ne trouvent pas forcément tous leur compte dans la révolution digitale comme en témoigne Étienne Cadre, Directeur des Ressources Humaines du Groupe Altran : "Ceux qui animent, qui tirent les équipes dans l'entreprise ne sont pas nécessairement les mêmes qui ont un rapport aisé avec ces nouvelles technologies. Or il ne s’agit pas d’embarquer la seule génération Y dans l'aventure digitale ". "Il y a une part importante des salariés pour lesquels la révolution ou l’évolution digitale est compliquée à vivre. Ils sont souvent dépassés par les nouveaux outils proposés ", confirme Jeanne Renard, Directeur Général Ressources Humaines et Responsabilité Sociétale d'Edenred.
Les accompagner sur la voie du digital est un enjeu d'autant plus crucial pour cette société, inventeur de Ticket Restaurant® et leader mondial des services prépayés aux entreprises, qu'elle s’est notamment engagée dans un grand chantier de dématérialisation du titre-restaurant. Objectif : passer 75% de l’offre globale sous un format digital d’ici à 2016 (contre 57% aujourd‘hui). "Dans les processus à rénover, nous touchons à la culture et donc à l’individu. Ce ne sont pas des transformations que l’on peut mener rapidement. Dans notre projet qui s’étend sur six ans, nous nous demandons comment maintenir tout le monde dans cette aventure du digital ? Il y a un vrai risque de coupure générationnelle, de rupture de pensée. Nous testons par exemple le parrainage entre générations pour mixer ces cultures."
L'ENTREPRISE DEPASSÉE PAR LE TSUNAMI DIGITAL ?
Si les RH sont dans leur rôle en voulant n'abandonner personne sur le bord du chemin digital, ils reconnaissent tous la puissance phénoménale de la vague. "Je suis frappée par l’impatience croissante de nos collaborateurs, relève ainsi Hélène Barthier, Talent Organisation Effectiveness Mondelez International. Ils ont perdu la patience au travail ! Ils ne peuvent plus se passer de Lync (messagerie instantanée). L'email, le sms, c’est presque trop lent. On ne supporte plus de devoir remplir un formulaire pour faire une demande." "Il faut admettre que l'entreprise a une longueur de retard sur la société en terme de culture digitale "
" Les usages sont nettement plus développés à l’extérieur. Nous devons intégrer le vécu de nos collaborateurs, être dans une relation people to people qui nous amène à bénéficier de l’expérience de chacun. Le digital, c’est une histoire d’homme, de culture, une histoire qui va se tisser dans le temps. Il est crucial que nous nous y intéressons, que nous testions des choses ", insiste Jeanne Renard.
" Le décalage qui existe désormais entre l'individu en tant que salarié et consommateur-citoyen est colossal, confirme Antoine Solom, Directeur International d’Ipsos Loyalty. Comment réconcilier les deux ? On voit bien que les frontières même de l’entreprise ont tendance à s’effacer, que l’entreprise ne peut plus contrôler son environnement comme avant. Il va falloir qu'elle fasse preuve d'une ouverture d’esprit maximale. C'est un réel défi. Les DRH sont en première ligne. "
"POUR ENGAGER, IL FAUT DE LA CONFIANCE ET DE L’ÉMOTION "
" Ce que nous sommes en train d’essayer de construire avec beaucoup d’humilité dans le digital, c'est une suite de petites actions qui permettent de tester, d’explorer et de voir ce qui marche ou ce qui ne marche pas, témoigne Jeanne Renard. Surtout, nous travaillons beaucoup avec les collaborateurs : quelles sont vos idées, comment peut-on améliorer les processus, en quoi le digital vous touche et peut améliorer votre quotidien et votre bien-être ? Nous essayons dans cette nouvelle culture d’ouvrir la posture à un fonctionnement plus coopératif. "
Étienne Cadre souligne une autre remise en cause : " Aujourd’hui, si l'entreprise veut obtenir l’engagement aussi bien de ses clients que de ses collaborateurs, elle doit commencer par ne pas les décourager. Les décourager, c’est leur imposer des règles et des procédures insupportables. En réalité, la notion d’engagement est liée à celle de dégagement des contraintes. " L’un des paradoxes actuels est que l’on voit s’exprimer en même temps chez les salariés des besoins d'autonomie extrêmement forts et d'attentes de protection tout aussi importants, relève Antoine Solom. La seule manière de leur faire accepter la nécessaire prise de risque face à tous ces changements vertigineux, tient à la confiance et à l’émotion suscitées qui sont des leviers premiers de l’engagement. Là, on touche aux questions du mode de management, de comment obtenir l'adhésion des salariés pour faire bouger tout ça ? "
QUEL IMPACT DU DIGITAL SUR LES MODES DE MANAGEMENT ?
" Alors que nous sommes de moins en moins dans des rapports verticaux, on peut, on doit, se poser la question de savoir ce qu’est un manager aujourd‘hui ? Quel rôle va-t-il jouer dans des organisations où les savoirs deviennent de plus en plus horizontaux ? Il ne faut pas sous-estimer le malaise de l’encadrement qui se prend en pleine figure cette révolution digitale ", constate Antoine Solom. " J’ai des clients à travers le monde qui se lancent dans l’expression libre et permanente. Ce qui peut s’avérer un peu violent à l’usage pour le manager ! Il n’empêche, c’est l’illustration parfaite de cette poussée de transversalité introduite par les possibilités du digital. "
Alors, quid du manager ? "J’ignore s’il va disparaître ou si le DRH va s’effacer au profit d’un responsable de la transformation digitale. Je suppose que j’en serai informé par courrier !", note avec humour Étienne Cadre. " Mais à l’heure où le taux de participation aux élections syndicales dans les entreprises s’avère très faible, quelle alternative peut se dessiner pour que les salariés puissent collectivement s’exprimer ? Il y a un vrai enjeu là-dessus et le digital fait certainement partie des réponses. "
Jeanne Renard constate quant à elle que " le droit d’expression vient de plus en plus de l’extérieur et de manière directe. Nous avons eu des cas de collaborateurs qui s’expriment sur leur manager via les réseaux sociaux externes à l‘entreprise. Cette communication-là existe. Impossible de l’ignorer. On n’a plus le choix. Il faut se poser la question de comment j’en fais une opportunité plutôt que d’attendre et de subir. "
Un avis partagé par Antoine Solom : " Les résultats du Baromètre Edenred-Ipsos 2014 le montrent bien, il y a des endroits comme l’Angleterre ou un certain nombre de pays nordiques, où l’on a des entreprises qui ont une attitude audacieuse, qui tentent des choses par rapport à ces sujets. Elles ne sont pas sur la défensive par rapport aux risques d’ordre psycho-social. C’est la bonne attitude : ne pas éviter le sujet mais l’aborder franchement et de manière positive. "
(1) Étienne Cadre, Directeur des Ressources Humaines, Groupe Altran, Jeanne Renard, Directeur Général Ressources Humaines et Responsabilité Sociétale, Edenred et Hélène Barthier, Talent Organisation Effectiveness, Mondelez International.
BAROMÈTRE EDENRED - IPSOS 2014 : BIEN-ÊTRE ET MOTIVATION DES SALARIÉS EUROPÉENS
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