La réforme du code du travail : REGARDS CROISÉS ENTRE CHEFS D’ENTREPRISE ET SALARIÉS

L’Observatoire Social de l’Entreprise, réalisé par Ipsos et le CESI en partenariat avec Le Figaro, permet de faire régulièrement le point sur le moral des chefs d’entreprise et des salariés du secteur privé mais aussi d’approfondir un thème en lien avec la vie de leur entreprise. La neuvième vague de cet observatoire est consacrée à la réforme du code du travail qui doit faire l’objet d’un projet de loi pour début 2016.

Auteur(s)
  • Etienne Mercier Directeur Opinion et Santé - Public Affairs
  • Amandine Lama Directrice de Clientèle, Département Politique et Opinion, Public Affairs
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Quelle est la réaction des chefs d’entreprise et des salariés quand on évoque le thème de la réforme du code du travail ? Quelles sont les choses qu’ils souhaiteraient pouvoir changer ? Et celles qu’ils craignent de voir modifiées ? A quel niveau souhaitent-ils que soient menées les négociations sur la réglementation du travail ? Et quelle confiance accordent-ils au gouvernement pour la mener à bien ? 

VOLET BAROMÉTRIQUE : DES PERSPECTIVES D’AVENIR QUI S’ÉCLAIRCISSENT, PARTICULIÈREMENT AUX YEUX DES CHEFS D’ENTREPRISE

Les chefs d’entreprise sont beaucoup plus optimistes qu’en début d’année, notamment sur le développement économique de leur secteur d’activité.

En mars 2015, lors de la vague précédente du baromètre, les chefs d’entreprise français s’étaient illustrés par leur fort pessimiste dans de nombreux domaines, notamment le développement économique de leur entreprise. Seulement 32% se disaient confiants pour les 6 mois à venir sur ce point (-11 points par rapport à l’année précédente).

Ils sont désormais 51% (+19 points par rapport à mars dernier) à être confiants en la matière, un record depuis le début du suivi de cet indicateur en 2009. La reprise de la confiance est spectaculaire dans le secteur des services (60% ; +35 points par rapport au début de l’année), mais aussi dans le secteur du BTP (53% ; +18) et de l’Industrie (43% ; +16), même si elle reste plus limitée. La stabilité est de mise pour le commerce (42% de confiance quant au développement économique de ce secteur, comme en début d’année).
Cette hausse de la confiance s’observe y compris chez les dirigeants de TPE (50% ; +11 points par rapport au début de l’année).

La confiance des chefs d’entreprise repart également à la hausse en ce qui concerne le niveau de stress de leurs salariés (63% se disent désormais optimistes sur l’évolution de celui-ci ; +5 points par rapport au début de l’année), la possibilité de leur proposer des formations (50% ; +18 et plus haut niveau depuis décembre 2011), mais aussi, même si les niveaux d’optimisme restent beaucoup plus limités, sur l’augmentation des salaires ou du pouvoir d’achat de leurs salariés (28% ; +5) ou leur capacité à embaucher (18% ; +6).

Le seul indicateur qui ne progresse pas est la confiance dans la possibilité de maintenir l’emploi dans leur entreprise (67% ; -1 par rapport au début d’année), mais le niveau reste significativement supérieur à celui observé en 2012-2013 (59%). Par ailleurs, la confiance sur ce point est en forte hausse dans le secteur du BTP (71% ; +20 points par rapport au début de l’année) et dans celui de l’industrie (68% ; +9), davantage à la peine jusqu’à présent.
Elle recule en revanche dans le secteur du commerce (64% ; -5) et des services (67% ; -10) où la confiance était en début d’année la plus forte.

Cet optimisme des chefs d’entreprise fait écho à leur perception plus positive de la situation interne de leur entreprise par rapport à la vague précédente, qu’il s’agisse des relations entre les salariés et leurs supérieurs hiérarchiques directs (93% ; +3), du climat social en général (83% ; +2), de l’adhésion des salariés aux grandes orientations de l’entreprise (73% ; +5), des rémunérations (68% ; +5) ou encore de l’emploi (57% ; +5), même s’il s’agit d’un point sur lequel nombre de chefs d’entreprise restent très prudents, particulièrement dans les TPE (41% de leurs dirigeants jugent la situation de leur entreprise mauvaise en matière d’emploi) et dans le secteur du commerce (52% la considèrent mauvaise).
L’unique dimension en recul est la situation concernant la charge de travail (74% des chefs d’entreprise la jugent bonne (-2 points par rapport au début de l’année ; -7 points par rapport à avril 2014). Elle fait écho à la montée de la préoccupation à l’égard des conditions de travail exprimée par les salariés.

Ce regain d’optimisme des chefs d’entreprise doit néanmoins être nuancé : s’ils sont moins nombreux qu’en début d’année à anticiper une baisse d’activité pour les 6 mois à venir (18% ; -10 points par rapport à mars 2015 et même -25 points par rapport à 2012), ils restent très peu enclins à penser que leur entreprise sera en croissance (15% ; +1 point par rapport au début de l’année mais -3 points par rapport à 2014), hormis pour les ETI et les grandes entreprises (42% des dirigeants d’entreprise de 250 salariés et plus anticipent une croissance de leur activité). Une grande majorité table avant tout sur une stabilité (64% ; +13 points par rapport au début de l’année).

De plus, si la confiance des chefs d’entreprise est en hausse, seule une minorité d’entre eux pensent que la France va sortir de la crise (34% ; en baisse de 5 points par rapport au début de l’année). Près des deux tiers d’entre eux considèrent au contraire que la France ne sortira pas de cette situation (64%). Sur ce point, les chefs d’entreprise du secteur de l’industrie sont particulièrement convaincus qu’une sortie de crise est impossible (76%), sans doute car la désindustrialisation de la France leur apparaît irréversible. 

Les salariés se montrent un peu moins gagnés que les chefs d’entreprise par cette bouffée d’optimisme et de plus en plus concernés par leurs conditions de travail.

Aux yeux des salariés, les indicateurs liés à l’activité de leur entreprise sont plutôt en amélioration. Ils rejoignent sur ce point les chefs d’entreprise et sont même plus nombreux qu’en début d’année à anticiper une croissance de leur entreprise (32% ; +5).

Les salariés se montrent encore plus optimistes que les chefs d’entreprise quant au maintien de l’emploi dans leur entreprise (76% ; stable par rapport à la vague précédente) et au développement économique du secteur d’activité de leur entreprise (58% ; +6 points ; plus haut niveau depuis 5 ans).

Mais sur les autres dimensions testées, c’est le pessimisme qui l’emporte chez les salariés. Ils se montrent certes un peu plus confiants que leurs dirigeants en ce qui concerne la capacité à embaucher de leur entreprise (38% ; +7 points par rapport au début de l’année), mais même chez les eux l’optimisme sur ce point reste très limité. Les salariés se montrent en revanche beaucoup moins confiants que leurs dirigeants quant à l’évolution du niveau de stress : seuls 37% (-2) d’entre eux sont optimistes sur ce sujet (contre 63% pour les chefs d’entreprise). Enfin, sur l’augmentation des salaires ou du pouvoir d’achat, ils se montrent aussi peu confiants que les chefs d’entreprise (26% de confiants chez les salariés ; +2).

Interrogés sur la situation interne de leur entreprise, les salariés jugent par ailleurs la situation moins favorablement que les chefs d’entreprise, à l’exception de la situation de l’emploi (64% des salariés jugent que la situation est bonne en la matière dans leur entreprise, contre 57% pour les chefs d’entreprise).
Dans les autres domaines, les salariés se montrent toujours plus circonspects que les chefs entreprise et les résultats sont même en baisse par rapport au début de l’année, qu’il s’agisse de juger des relations entre salariés et supérieurs hiérarchiques directs (69% ; -4), du climat social en général (53% ; -3) ou de la charge de travail (52% ; -4).
Contrairement aux chefs d’entreprise, ils sont désormais une minorité à juger que l’adhésion des salariés aux grandes orientations de l’entreprise est au rendez-vous (46% ; -5) et à considérer favorablement la situation en matière de rémunérations (46% ; +1).

Si le niveau de salaire reste la première préoccupation des salariés (26% la citent en premier), les salariés semblent de plus en plus résignés sur ce point : cette préoccupation est en baisse continue depuis 2013, où elle était citée en premier par 33% des répondants. D’ailleurs, si les salariés se montrent plus optimistes quant à l’évolution de l’activité de leur entreprise, ils ne se montrent pas pour autant enthousiastes : seuls 43% d’entre eux pensent que la France va pouvoir un jour sortir de la crise (dont seulement 7% qui pensent qu’elle en sortira dans les mois qui viennent).
Malgré tout, les signes d’accalmie sont bien là, et l’inquiétude à l’égard du maintien de son emploi diminue (-2 points par rapport au début de l’année, -5 points par rapport à 2012). Elle est aujourd’hui à son plus bas niveau observé.

En revanche, la préoccupation à l’égard des conditions de travail atteint son plus haut niveau (21% ; +3 points par rapport au début de l’année ; +8 points par rapport à 2013). Elle est même désormais la préoccupation la plus citée par les professions intermédiaires (26%). L’inquiétude sur les conditions de travail est particulièrement forte chez les salariés qui anticipent une augmentation de l’activité de leur entreprise (34% de ceux qui pensent que leur entreprise sera en croissance importante dans les 6 prochains mois), sans doute car ils savent que les embauches ne seront pas forcément au rendez-vous.

Si les salariés se montrent préoccupés par l’évolution de leurs conditions de travail, leur souhait de participer à un mouvement social éventuel dans leur entreprise n’augmente pas : 49% auraient envie d’y participer (-3 points par rapport au début de l’année). L’annonce de la réforme du code du travail intervient donc dans un contexte social plutôt apaisé. 

VOLET THÉMATIQUE : UNE RÉFORME DU CODE DU TRAVAIL ATTENDUE PAR LES CHEFS D’ENTREPRISE COMME LES SALARIÉS

Une volonté de réforme chez les chefs d’entreprise comme les salariés

Interrogés sur l’opportunité de réformer les règles du code du travail, les chefs d’entreprise et les salariés se montrent unanimes : 97% des premiers souhaitent qu’on change ces règles (dont 63% en profondeur, en mettant à plat tous les sujets), tout comme 89% des salariés, qui se montrent légèrement plus prudents quant à une réforme « en profondeur » (43%). Il n’y a en revanche pas de réticence majeure de la part des salariés, y compris de la part des salariés des TPE. Ce sont même eux qui appellent le plus de leurs vœux une réforme en profondeur du code du travail (54%).

Aux yeux des salariés, même si l’économie est bouleversée par internet et la montée de la consommation collaborative (croissance d’entreprises telles qu’Uber, AirBnB ou Blablacar par ex.), il est toujours opportun de réformer le code du travail : 61% considèrent que cette ubérisation de l’économie impacte seulement une partie des secteurs d’activité et des personnes, une réforme du code du travail étant toujours utile pour une grande partie des salariés. L’opinion selon laquelle ces évolutions bouleverseraient totalement le rapport au travail et les droits s’appliquant, au point de rendre vaines toute tentative de réforme n’est partagée que par une minorité de salariés (37%), quelle que soit leur catégorie socioprofessionnelle ou leur secteur d’activité.

La possibilité de permettre à chaque entreprise de négocier des accords d’entreprise qui se substitueraient à la règlementation du travail et aux conventions collectives (à condition que soient respectés les grands principes fixés par le droit du travail) est sans surprise bien accueillie par les chefs d’entreprise (83% y sont favorables, dont 45% « tout à fait »), mais aussi par une majorité de salariés (56%, même si plus prudemment : 12% de « tout à fait »). Les salariés de TPE, encore une fois, ne se caractérisent pas par une plus grande réticence, au contraire. Ils sont même un peu plus favorables à cette possibilité que les salariés de grandes entreprises (60% contre 52% dans les entreprises de 500 salariés et plus).
Les sujets sur lesquels les chefs d’entreprises souhaiteraient pouvoir faire évoluer les règles sont nombreux : durée du temps de travail (81% aimeraient revenir sur les règles en la matière), modalités de rupture du contrat de travail (74%), seuil de déclenchement des heures supplémentaires (74%), alternance et apprentissage (72%), politique de formation (68%) ou encore niveau de salaire minimal (61%).

Sur l’ensemble de ces sujets, une majorité de salariés considère qu’il serait possible de parvenir à un accord entre les partenaires sociaux au sein de leur branche ou de leur entreprise, ce quel que soit leur secteur d’activité ou la taille de leur entreprise. Les domaines dans lesquels un consensus apparaît les plus probables sont la politique de formation (74%)  et l’alternance et l’apprentissage (72%). Mais même sur les sujets les plus sensibles, la négociation apparaît envisageable : sur la durée du temps de travail (61%), les modalités de rupture du contrat de travail (58%), le seuil de déclenchement des heures supplémentaires (58%) ou encore le niveau de salaire minimal (54%).

En revanche, la nécessité de revenir sur les règles régissant le travail du dimanche apparaît moins forte, ce qui s’explique à la fois par le fait qu’elles viennent déjà d’être assouplies, que nombre d’entreprises n’en voient pas l’utilité et par l’attachement des Français au repos dominical. Seuls 39% des chefs d’entreprise souhaitent en effet que l’on revienne sur les règles en la matière (46% dans le secteur des services, 41% dans le commerce contre seulement 25% dans l’industrie). Les perceptions sont néanmoins clivées géographiquement : 51% des chefs d’entreprise de région parisienne y sont favorables, contre 38% en Province.

Quant aux salariés, seule une minorité d’entre eux (40%) considère qu’un accord est possible sur ce sujet au sein de leur branche ou de leur entreprise. Ils sont d’ailleurs une minorité à considérer qu’il est aujourd’hui indispensable de permettre le travail le dimanche dans des entreprises comme la leur (38% ; 45% en région parisienne et 44% dans le secteur du commerce néanmoins).

Mais une réforme qui ne sera pas mise au crédit de l’exécutif.

Si les chefs d’entreprise comme les salariés appellent de leurs vœux une réforme du code du travail et valident les orientations envisagées, ils sont peu nombreux à déclarer faire confiance au gouvernement pour mener à bien cette réforme : seulement 18% des chefs d’entreprise et 30% des salariés.

Une autre marque de leur défiance vis-à-vis de l’exécutif est leur sentiment qu’ils ne vont pas être bénéficiaires de la réforme. Aux yeux des salariés, la réforme annoncée par le gouvernement va bénéficier avant tout aux chefs d’entreprise (51%). Seuls 10% considèrent qu’elle bénéficiera aux salariés, 5% aux chômeurs et 15% à tous. Pour 18% d’entre eux, elle ne sera gagnante pour personne.
Les chefs d’entreprise, jugés principaux bénéficiaires de la réforme par les salariés, sont quant à eux dans le même temps seulement 9% à considérer qu’ils vont sortir gagnants de la réforme, une majorité relative considérant qu’elle ne bénéficiera à personne (36%).

Aux yeux des chefs d’entreprise comme des salariés, ce n’est pas au niveau de l’Etat qu’il vaudrait mieux qu’interviennent les négociations entre partenaires sociaux sur la réglementation du travail pour qu’elles soient les plus avantageuses pour eux, mais au niveau de l’entreprise ou de la branche.

Les chefs d’entreprise, confiants dans leur capacité à négocier dans leur entreprise, favorisent avant tout la négociation dans leur entreprise avec les syndicats salariés (40%), devant les négociations au niveau des branches (29%) ou de l’Etat (21%).
La préférence varie néanmoins en fonction de la taille de l’entreprise. Les dirigeants de TPE favorisent clairement la négociation au sein de leur entreprise, quand les chefs d’entreprises de 10 salariés et plus préfèrent négocier au niveau de leur branche.

Les salariés considèrent quant à eux qu’une négociation au niveau de la branche leur sera plus favorable (40% contre 33% au niveau de leur entreprise et 25% au niveau de l’Etat), ce quelle que soit la taille de leur entreprise et son secteur d’activité.

L’ironie de ces résultats est qu’en rejetant ainsi le niveau étatique comme lieu de négociation le plus opportun pour élaborer la réglementation du travail, les acteurs de l’entreprise valident les orientations de l’exécutif. 

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  • Amandine Lama Directrice de Clientèle, Département Politique et Opinion, Public Affairs

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