L'été des Français - Episode 5 : Sobriété énergétique : l'overdose des Français ?
Ipsos lance la saga "L'été des Français" avec la communauté Ipsos ConnectLive, rassemblant 1 500 Français. Chaque semaine, les participants seront interrogés sur un thème spécifique et invités à partager leurs points vue. Cette semaine, nous leur avons demandé de nous partager leur avis sur les défis énergétiques auxquels nous faisons face. Comment vivent-ils ces changements au quotidien ? Quelles sont les solutions ?
Le dérèglement climatique, diviseur ou rassembleur ?
Un phénomène mondial
En 1854, Henry David Thoreau écrivait Walden, ou la vie dans les bois, un livre traduit en deux-cents langues où il critiquait le matérialisme et la propriété comme uniques perspectives de l’être humain et appelait, déjà, à une nouvelle alliance entre nature et croissance, industrie et éthique, profit et responsabilité. Cent-soixante-huit ans plus tard, la question reste toujours posée – la croissance pour la croissance est-elle un modèle durable ? – et se double d’un sujet qui s’installe de plus en plus dans l’actualité, le dérèglement climatique.
Même si l’inflation, après la covid-19 en 2020/2021, est actuellement en tête des préoccupations dans le monde, celles concernant le réchauffement climatique n’ont cessé de progresser depuis des années, notamment en France. Cette année, alors que la Première ministre Élisabeth Borne active la cellule interministérielle de crise et alerte sur la sécheresse exceptionnelle, « une situation historique que traversent de nombreux territoires », il n’était pas inutile de demander leur point de vue aux participants de ConnectLive, la communauté on line d’Ipsos.
Pour la majorité, le dérèglement climatique est devenu une réalité quotidienne à l’échelle mondiale : « Cela arrive tout le temps, des records de chaleur au Japon, en Inde, en Europe, la sécheresse en Europe, en Californie, en Australie... », avec des conséquences irréversibles : « La sixième limite planétaire (qui concerne l'eau) a été franchie en mai dernier... ça veut tout dire quand on pense qu'il y en a neuf au total ! Alors, je dirais que toutes ces manifestations du dérèglement de notre environnement ne sont que la continuité, vont perdurer, voire s'amplifier dans les années à venir, et que c'était prévu depuis quelques décennies. La fonte de la banquise de l'Arctique (presque à vue d'œil) qui entraîne des variations de l'écosystème océanique tout en "jouant" sur les courants ; des températures extrêmes qui modifient la biodiversité dans les régions tempérées, canicules et feux de forêts à répétition ».La responsabilité humaine ne fait pas de doute non plus pour eux : « Pour ma part, je suis très inquiète ... ce n'est que le début ! On commence à récolter nos incivilités auprès de Mme La Terre qui durent depuis trop d'années. Je travaille dans un secteur où je gère des dossiers climatiques. Je n'en ai jamais eu autant que cette année ; entre la grêle (des balles de tennis) en juin, des inondations à répétition dans le Sud et des chaleurs horribles, c'est une catastrophe ».
Pour d’autres, sans le nier, c’est un phénomène à propos duquel on dispose de peu d’informations et qui est largement exagéré : « Je pense que les médias en font beaucoup trop et sont autocentrés sur une toute petite partie du monde ; c'est cyclique et ça durera le temps qu'il faudra, il ne faut pas penser en terme de mémoire d'homme ou de relevés-météo somme toute assez récents. La chaleur et la sécheresse m'obligent à adapter mes dépenses physiques et mon alimentation, mais c'est faisable ». Dans la même logique, certains soulignent aussi que nous sommes contemporains de transformations qui ont toujours existé, les êtres humains ne faisant qu’assister à des manifestations qui les dépassent : « On observe un changement, le printemps et l'automne sont peut-être moins marqués. Il faut s'y habituer, la terre n'a pas toujours eu le même climat ». Enfin, en réaction à des questions sur le livre de Claude Allègre en 2010, L’imposture climatique, quelques-uns se disent d'accord avec ses propos, « le scénario du réchauffement climatique étant surfait afin de trouver de nouvelles mannes économiques » ou parce qu’il « est certain qu'on aime bien faire peur aux peuples. Quand ce n'est pas le Covid, c'est le changement climatique, sinon c'est la guerre... à chaque époque ses peurs. On dit bien que les Gaulois avaient peur que le ciel leur tombe sur la tête ! ». Mais pour tous les autres, « C'est hallucinant d'entendre des phrases toutes faites lancées avec tant de désinvolture, le climat a toujours été en changement, ça d'accord, mais nier l'action humaine avec l'effet des émissions de CO2 est carrément meurtrier ».
Ces deux positions sont intéressantes en ce qu’elles renvoient à des philosophies opposées : l’une, morale, la plus répandue, selon laquelle « la nature se venge », ou du moins pour qui l’homme récolte ce qu’il semé : « Le dérèglement climatique est inévitable à cause de toutes les dérives industrielles, énergétiques ou domestiques » ; l’autre pour qui la nature est parfaitement indifférente à sa présence et a ses propres lois : « Tous les étés sont différents, l'année dernière c'était pas terrible, cette année, c'est caniculaire. Chaque été sera différent. Il faut s'adapter et arrêter de se plaindre ».
Des effets de plus en plus fréquents et sensibles
Dans les deux cas, y compris pour les plus sceptiques, le dérèglement climatique impacte nos modes de vies : « Mes plantes sont en train de mourir de chaud, certaines ne repartiront pas à l'automne, c'est sûr. Mon potager est horrible par manque d'eau et parce que les plants sont brulés par le soleil. Au niveau de l'eau, il faut se restreindre sinon on aura des coupures. Il va falloir nous organiser en fonction de la chaleur et de l'eau qui va venir à manquer ».
Parmi ses conséquences, le manque d’eau et des températures extrêmes en été (+50°) et en hiver (-15°) sont les pires imaginables aujourd’hui, avec la problématique de nouvelles contraintes et la perspective de pénuries alimentaires : « Nous sommes actuellement en restriction car les rivières sont asséchées, les plans d'eau fermés ; nous n’avons plus le droit d’arroser les potager et les plantes, ni remplir les piscines... C’est désastreux », « Les cours d'eaux sont asséchés, les poissons et la vie aquatique meurent ». La santé est en jeu aussi, du simple inconfort à de vrais risques mortels pour les personnes qui ne supportent pas la chaleur et la déshydratation. Sur le plan économique, c’est aux agriculteurs que les participants pensent en priorité : « Certains sont en train de perdre un tiers de leurs récoltes. Je les plains car c'est leur gagne-pain et c’est beaucoup de travail anéanti ».
Une certaine absurdité semble atteinte avec les climatisations que les entreprises et les particuliers installent pour combattre la chaleur et qui participent des causes du dérèglement climatique : production en Asie, transport par cargo, consommation d’énergie, émissions de gaz à effet de serre, surconsommation d’électricité, etc.
Les participants sont également conscients « des conséquences désastreuses sur la planète avec certains endroits du monde qui risquent de devenir inhabitables, et la migration des populations qui va sûrement s'accentuer », d’où de futures tensions économiques et sociales.
Que faire ?
Les ripostes sont très différentes selon les cas personnels. Les propriétaires en maison individuelle hors des zones urbaines ont le plus de choix selon leurs ressources : récupération d’eau de pluie ou des eaux usées, géothermie, recyclage, compost, isolation, rénovations, alimentation bio et locale, potager, courses au marché à vélo, etc. Mais les ripostes les plus efficaces sont aussi les moins accessibles : « On aimerait bien mettre des panneaux photovoltaïques sur notre toit ou faire une isolation thermique par l’extérieur, mais c’est impossible financièrement ».
Ceux qui vivent en appartement, et notamment les locataires, dans des immeubles, ne voient pas ce qu’ils peuvent faire, à part économiser l’eau, l’électricité et/ou le gaz, trier leurs déchets, pour la plupart des usages déjà dictés pour des raisons économiques, compte-tenu des hausses constantes des prix de l’énergie.
La plus grande difficulté est d’accepter de renoncer à la société d’abondance que représente la société de consommation, autrement dit un monde où plus rien n’est rare, où tout est à disposition, sans limite. Découvrir que la terre n’est pas inépuisable avec « Le jour du dépassement » et que les prix de l’énergie sont la conséquence de la géopolitique, de la volatilité des cours, de problématiques de souveraineté ou de dépendance, est une douche froide pour ceux qui croyaient qu’il s’agissait de phénomènes ponctuels et qui les épargnerait et qui attendent un maximum de responsabilité désormais : « Je me sens concernée, oui car quand je vois ce que je paye en électricité/chauffage et surtout la flambée des prix, je me dis qu'à un moment donné (entre la guerre en Ukraine, la pénurie de main d'œuvre) le réchauffement climatique doit avoir un rôle ! Et je suis énervée et furieuse de voir les lumières d’enseignes allumées la nuit quand tout le monde dort (sauf les chats et les insomniaques), ça me saoule de voir les portes ouvertes des congélateurs dans les grandes surfaces car le dernier client les ont mal refermées ; ça me rend dingue de voir les terrasses de café en hiver mettre des chauffages d'appoint pour que Mr et Mme soient au chaud en extérieur pour siroter leur café à 1,50 € ».
Pour autant, à l’exception des plus militants, personne n’a envie de vivre sous le régime du renoncement et de la privation : « Le scénario catastrophe serait l'arrivée d'une idéologie écologiste radicale au pouvoir qui contraindrait la population française à des sacrifices en termes de niveau de vie, de mobilité, alors que les Américains et les Chinois continuent comme avant. Nos efforts seraient une goutte d'eau que l'on paierait très cher. Il faut certes quelques efforts pour économiser en tirant partie de la technologie, mais on doit rester cohérent avec ce qu’il se passe ailleurs, et ne pas s'autoflageller en permanence ».
Des déséquilibres qui découragent l'implication personnelle
La question des déséquilibres qui se révèlent est cruciale entre « les gens » et « les politiques », entre les particuliers et les entreprises, entre ceux qui ont les moyens de rénover leur logement et les autres, entre les pays qui s’engagent pour limiter les causes du dérèglement climatique et ceux qui en font le minimum : « Il devient indispensable de poser humblement toutes les cartes sur la table avec toutes les nations. Malheureusement, c'est impossible. Il y a trop de dictatures ou de pseudo-dictatures qui sont hors-système et de puissances qui ne participeront pas, comme la Russie ou la Chine, et pourtant, ils détruisent eux aussi beaucoup. Alors, franchement, je ne sais pas comment faire ».
En ce qui concerne les autorités politiques, on en attend un ton juste (Vs. culpabilisation, menaces, taxes, qui toutes renvoient à l’écologie punitive, à un « devoir » et non une vraie implication choisie) et de la cohérence : « Décréter la fin du thermique alors que le véhicule électrique, si on considère l'ensemble de la chaîne, n'est pas forcément complètement écologique, reste peu accessible et a beaucoup d'inconvénients, me laisse pour le moment perplexe. Demander au citoyen de couper le wifi, diminuer le chauffage en hiver et la clim en été, alors que nos gouvernants laissent tourner pendant le conseil des ministres leurs véhicules de fonction dans la cour de l'Elysée pour maintenir la clim ou multiplier les petits déplacements en jets privés n'est pas vraiment pédagogique ni incitatif ! ».
La notion de sobriété énergétique cristallise les réactions. Les Engagés y voient un accélérateur pour responsabiliser à l’échelle collective, y compris sous la contrainte, parce que la situation implique des actions rapides : « Faire attention à ne pas gaspiller, ne prélever que ce que la nature peut nous offrir, doit s'imposer à tous : citoyens, industriels, état, NASA, etc... J'aimerais qu'elle soit incontournable : il faut arrêter de vivre au-delà des ressources que peut fournir notre planète. J'aimerais que l'usage de l'énergie soit réservé aux "besoins" et non aux "envies». D’autre part, les Engagés sont favorables à des sanctions : « Il faut taxer les gros pollueurs, les compagnies pétrolières, les croisiéristes, de transport de marchandises en porte-containers, les yachts qui consomme 500 litres en une heure».
Les Pragmatiques attendent d’abord de la considération pour la vraie vie des gens Vs. décisions hors-sols : « Les propositions prises à l'abri des bureaux par des experts et avalisés par des politiques devront toujours être modulés et modérés par des principes de réalité. Le citoyen lambda n'est pas soumis aux mêmes contraintes économiques et budgétaires que le politique dans le confort de son bureau. Quel que soit l'effort demandé, si les décisionnaires ne donnent pas eux-mêmes le bon exemple et restent déconnectés du quotidien des personnes à qui ils souhaiteraient imposer ces efforts, cela restera mal perçu et mal accepté».
Les Responsables y voient la validation de leurs propres pratiques, qui doivent aujourd’hui devenir la norme : «La sobriété énergétique est incontournable. Les gens sont poussés à revoir leur consommation d'énergie au niveau des habitations (réduire le chauffage, isolation), des transports (co-voiturage), de la nourriture (manger local) à cause de leur coût. Avec l'inflation, il est difficile de garder les mêmes modes de vie. Par contre, c'est désolant de voir que c'est seulement lorsqu'on touche au porte-monnaie que certains font des changements ». Depuis mars 2022, en confirmant une tendance à l’œuvre depuis octobre 2021 avec la reprise des échanges internationaux, c’est pour des raisons financières que de nombreux Français ont dû faire des arbitrages et changer certains comportements. Pour les Engagés et les Responsables, cette charge est une opportunité pour aller plus loin et plus vite : « Je suis tout à fait d'accord avec la notion prônée par le GIEC Eviter-Changer-Améliorer, appliquée à tous ; il faut savoir où l'on veut aller, quelle société nous voulons et où pourrons vivre, et tout faire pour y accéder. Cela nécessite forcément un changement de nos modes de vie, la baisse de notre consommation d'énergie, et l'abandon de l'utilisation des énergies fossiles ».
Pour les Pragmatiques, il n’est pas exclu que des innovations technologiques limitent les causes et les effets du dérèglement climatique, et ne remettent pas en cause notre goût pour le confort matériel : «Je crois en la science et aux solutions qu’elle pourrait proposer», «Il reste la possibilité de trouver des solutions ingénieuses facilement applicables pour que chacun puisse s'en emparer sans trop de difficultés. De ce côté-là, j'ai assez confiance en certains cerveaux humains intelligents qui me surprennent toujours agréablement. J'attends de voir ces génies au travail».
Le point commun à ces trois types de réactions est que la guerre en Ukraine a révélé et accéléré toutes les problématiques énergétiques et écologiques, mais dans l’urgence et dans des Etats qui n’y étaient pas préparés, et avec des niveaux de sensibilité, d’engagement des opinions, et de ressources personnelles, très différents et qui, soit créent d’autres fractures, soit à l’inverse, les conditions pour un nouvel élan collectif.
Les neuf limites planétaires au-delà desquelles nous ne pouvons pas pousser les systèmes terrestres sans mettre nos sociétés en danger sont :
1. le changement climatique, 2. la perte de biodiversité, 3. l’acidification des océans, 4. l’appauvrissement de la couche d’ozone, 5. la pollution atmosphérique par les aérosols, 6. l’utilisation d’eau douce, 7. les flux biogéochimiques d’azote et de phosphore, 8. le changement d’utilisation des sols, 9. le rejet de nouveaux produits chimiques.
Retrouvez tous les épisodes de
notre saga de l'été
Episode 1 - L'hôtel grand absent des vacances
Episode 2 - L'éveil des désirs secrets
Episode 3 - Rêver ses vacances ou vivre les vacances de ses rêves
Episode 4 - Quoi de plus festif qu'un apéritif ?
Episode 5 - Sobriété énergétique : l'overdose des Français ?
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