Baromètre État de la France : quel rapport à la démocratie en 2024 ?

Pour mieux comprendre l'état d'esprit des Français et leur perception de l'avenir, Ipsos a mené pour le CESE une enquête auprès de 1 001 personnes constituant un échantillon national représentatif de la population française métropolitaine et ultra-marine âgée de 18 ans et plus.

Auteur(s)
  • Brice Teinturier Directeur Général Délégué France, Ipsos (@BriceTeinturier)
  • Salomé Quétier-Parent Cheffe de groupe, Public Affairs
  • Jean-François Doridot Directeur Général Public Affairs
Get in touch

État de la France : les enseignements clés

  • Les Français font toujours face à des difficultés financières importantes. Près d’un citoyen sur deux rapporte avoir tout juste assez d’argent pour répondre à ses besoins essentiels, voire pas assez, une proportion en légère hausse. L’inflation a certes baissé (avec à la clé un léger regain d’optimisme envers l’avenir), mais l’effet de l’augmentation des prix des 2-3 dernières années se fait plus que jamais ressentir. 
  • Aux yeux des Français, les inégalités dans la société ont des causes multiples. Les écarts de salaires trop importants sont pointés, mais aussi les discriminations de manière générale, l’inefficacité du système de redistribution ou encore l’inéquité territoriale dans l’accès aux services. Une partie importante des Français se plaint d’ailleurs de la difficulté d’accès au logement, à la santé et à l’emploi autour de son lieu de vie. 
  • Les inégalités ressenties par les Français les plus défavorisés alimentent leur sentiment de mise à l'écart dans la société. Cette perception d'injustice nourrit un profond pessimisme quant à l'avenir et suscite un certain fatalisme concernant la capacité individuelle à contribuer positivement à la société, que ce soit par le vote ou l'engagement associatif. 
  • Les proches, le travail mais aussi l’engagement associatif agissent comme des remparts contre l’exclusion. Le sentiment d'utilité et de reconnaissance tiré de l'entourage proche et du travail, contribuent à prévenir le sentiment d'exclusion sociale. Il en va de même pour l’engagement associatif, largement préféré à l’engagement politique ou syndical, perçus comme moins utiles par les Français. 
  • Bien qu'une large majorité des Français demeure attachée à la démocratie, cet attachement est mis à l'épreuve par la perception d'une classe politique déconnectée des préoccupations des citoyens. L’attachement à la démocratie demeure mais est aujourd’hui assez fragile, notamment chez les Français qui se sentent les plus lésés par la société. Pour renforcer la démocratie, les citoyens appellent avant tout à davantage d’écoute, pour une meilleure prise en compte de leurs attentes et préoccupations.

La santé prend la tête des préoccupations des Français, devant le pouvoir d’achat et la situation économique du pays

Interrogés sur leurs préoccupations personnelles, les Français placent cette année leur santé et celle de leurs proches en tête (40% la citant parmi les 3 sujets dont ils se soucient le plus, +3 points en un an). Cette préoccupation devance ainsi celle pour leur pouvoir d’achat (34%, -6 points en un an), qui était en tête à la rentrée 2023. Arrive ensuite la situation économique et financière du pays, citée par plus d’un Français sur quatre (28%, +5 points). Les questions économiques au sens large continuent donc d’occuper les premières places du classement, même si, avec la baisse de l’inflation, le pouvoir d’achat préoccupe un peu moins.


Viennent ensuite la situation politique de la France (24%) à la suite d’une période marquée par l’incertitude sur la nomination du Premier Ministre, puis en 5ème position, à égalité, l’environnement, les inégalités sociales et la sécurité (22%). Les préoccupations pour l’instabilité géopolitique diminuent (18%, -4 points), et sont désormais autant citées que celles pour l’immigration et l’avenir du système de retraite, qui restent à un niveau stable.

Pour autant, cette année encore, les Français peinent à joindre les deux bouts

Après deux années marquées par des niveaux d’inflation qui n’avaient plus été observés en France depuis les années 1980 (pour rappel 5,2% en 2022 et 4,9% en 2023), l’année 2024 marque un retour à une hausse des prix plus contenue (+2% pour l’heure sur les 8 premiers mois de l’année 2024). Néanmoins, cette tendance n’efface pas les effets de l’inflation cumulés sur les dernières années. La situation financière des Français ne s’améliore pas et continue même, pour l’heure, d’empirer.

Questionnés sur leur pouvoir d’achat, 32% des Français déclarent qu’ils parviennent tout juste à répondre à leurs besoins essentiels (+2 points en un an) et 13% qu’ils n’y parviennent pas (+ 1 point en un an). Au total, près d’un Français sur deux est donc dans une situation financière inconfortable (45%, une proportion en hausse de 3 points par rapport à la rentrée 2023).

Focus : le pouvoir d’achat selon le profil

Les DROM sont particulièrement touchés, avec plus de trois quarts des habitants dans une situation financière délicate (77%). Dans une moindre mesure, et bien que la population y soit beaucoup plus aisée, la situation est également inquiétante dans l’agglomération parisienne où la majorité de la population parvient tout juste à répondre à ses besoins voire n’y parvient pas (55%) … un problème qui s’explique en partie par la difficulté à se loger sur place (66% des habitants de l’agglomération considèrent l’accès au logement difficile là où ils vivent, contre 58% des Français sur l’ensemble du territoire).

  • Les Français avec un pouvoir d’achat qui permet uniquement de répondre à leurs besoins essentiels (45%) sont également surreprésentés parmi …
  • … les personnes au chômage et à la recherche d’un emploi (78%) 
  • … les familles nombreuses (72%) et les familles monoparentales (59%)
  • … les ouvriers (61% contre 36% parmi les cadres)
  • … les femmes (51% contre 40% parmi les hommes) 
  • … les jeunes (50% des moins de 35 ans, 60% parmi les étudiants contre 39% parmi les 60 ans et plus). 

 

Aux yeux des Français, les inégalités sont liées à des facteurs multiples et appellent des réponses globales

La précédente édition du baromètre avait permis de montrer à quel point les Français considèrent la société française comme étant inégalitaire. On y apprenait notamment que les Français perçoivent d’importantes inégalités en France selon le lieu de résidence (67%), l’origine (63%), la couleur de peau (62%), le sexe (60%) ou encore la religion (49%), avec des conséquences aussi bien sur l’accès à l’emploi (79%) et aux études (72%) que sur l’accès à la santé (68%) et plus généralement aux services publics (67%).

En 2024, interrogés sur les origines des inégalités, les Français soulignent en particulier les disparités salariales excessives (36% y voient une des deux principales causes des inégalités), mais aussi les discriminations de manière générale (30%). Sont également mises en cause l’inefficacité du système de redistribution (27%), le détournement des règles par certains (27%) ou encore l’inéquité territoriale dans l’accès aux services (20%). Une part importante des Français se plaint d’ailleurs de la difficulté d’accès au logement, à la santé et à l’emploi autour de son lieu de vie (respectivement 58%, 50% et 46%).

Dans l’esprit des Français, les inégalités sont donc associées à des causes multiples : il n’y a pas une explication unique mais un faisceau de facteurs imbriqués les uns aux autres. Aussi, les actions auxquelles ils pensent spontanément pour rendre la société plus égalitaire sont très diverses. Globalement, la priorité est d'abord d'agir pour le pouvoir d'achat (niveau des salaires, niveau des prix) afin d'éviter que certains ne se retrouvent en trop grande difficulté (23% évoquent spontanément cette dimension). Cependant, les Français prônent également des actions dans les domaines de l'éducation et de la sensibilisation (17%), de l'accès à l'emploi et de la valorisation du travail (17%), ou encore de la gouvernance et des institutions (15%).

Les inégalités vécues et ressenties fragilisent le rapport des individus à la société et à la démocratie

La moitié des personnes avec un pouvoir d’achat contraint estime subir davantage d’inégalités que la moyenne (51% contre, pour rappel, 25% des Français dans leur ensemble). En d’autres termes, les Français les plus en difficulté se sentent en grande partie victimes et lésés par la société… un sentiment délétère qui explique sans doute en partie leur faible confiance dans l’avenir (73% de ceux qui estiment subir plus d’inégalités que la moyenne sont pessimistes vis-à-vis de l’avenir de la France, contre 63% des Français dans leur ensemble).

Surreprésentés dans les zones rurales et parmi les Français avec un faible pouvoir d’achat, les Français qui déclarent le plus rencontrer des difficultés d’accès aux services là où ils vivent[1] se sentent souvent en marge de la société (41% contre 24% sur l’ensemble de la population). Cette situation fragilise leur attachement à la démocratie : elle entretient l’idée selon laquelle le système en place ne chercherait pas, ou du moins ne parviendrait pas, à protéger tout le monde. Ainsi, parmi les 25% des Français avec l’accès le plus difficile aux services publics, seulement 60% estiment que ce système démocratique permet de trouver des compromis entre différents intérêts divergents (60% contre 76% au global). En conséquence, ils se disent un peu moins prêts que la moyenne à défendre la démocratie si elle était menacée (78% contre 84% de l’ensemble des Français). D’ailleurs, 59% estiment que s’engager politiquement est vain (contre 52% au global). 

Le sentiment d'utilité et de reconnaissance tiré de l'entourage proche, du travail et des engagements sociétaux protège du sentiment d'exclusion

La plupart des Français se sentent utiles auprès de leurs proches (90%) et, pour ceux qui ont un emploi, dans leur travail (90%). Le sentiment d’utilité dans les sphères privée et professionnelle diminue avec l’âge, mais d’autres dimensions prennent alors le relais. Les seniors s’engagent par exemple davantage que leurs cadets dans des associations (41% des 60 ans et plus ont un engagement auprès d’une association contre 35% des Français dans leur ensemble).

Dans les différentes sphères sociales, le sentiment d’être reconnu (et pas seulement d’être utile) est un peu moins évident : 86% des Français ont le sentiment que leurs proches sont reconnaissants de ce qu’ils font pour eux, et seulement 68% de ceux qui ont un emploi trouvent que leurs efforts au travail sont reconnus par leurs supérieurs.

Ces différents éléments ont une influence importante sur la perception qu’ont les citoyens de leur propre place dans la société. Ainsi parmi les 25% des Français qui se sentent le moins utiles et reconnus auprès de leurs proches, un tiers ne se sent pas véritablement faire partie de la société française (33%). Parmi ceux qui se sentent le moins utiles et reconnus dans leur travail, cette proportion grimpe même à 38%. In fine, près d’un Français sur 4 n’a pas le sentiment de faire pleinement partie de la société (24%).

A noter que le pouvoir d’achat a un impact important sur le sentiment d’utilité en particulier auprès de ses proches mais aussi dans la société. Ceux dont le pouvoir d’achat ne permet pas de répondre à leurs besoins essentiels (pour rappel 13% de la population) sont près d’un sur deux à ne pas se sentir appartenir à la société française (47% contre 11% de ceux dont le pouvoir d’achat est suffisant pour « vivre à son aise ») et 20% à ne pas se sentir utiles auprès de leurs proches (contre 4% de ceux dont le pouvoir d’achat est suffisant pour « vivre à son aise »).

Méfiants vis-à-vis des actions politiques et syndicales, les Français privilégient l'engagement associatif

Un peu plus d’un Français sur trois déclare être engagé auprès d’une association (35% au global, 43% parmi les retraités).  Sans être marginal, l’engagement auprès de syndicats et organisations professionnelles est globalement plus limité (12%) de même que l’engagement pour des partis politiques (7%).  Au total, 42% des Français sont engagés dans au moins un de ces types d’organisations (48% en zone rurale contre 34% en agglomération parisienne).

Ces chiffres cadrent avec le regard que les citoyens portent sur l’utilité des différentes formes d’engagement dans la société. Ainsi, alors qu’une très large majorité de Français juge utile de faire du bénévolat dans une association (88%, 56% très utile), 51% ont le même sentiment concernant le fait d’adhérer à un syndicat (16% très utile). De même, seule une minorité juge utile de participer à des manifestations ou rassemblements (49%), de s’engager en politique (48%) ou de participer à des actions de désobéissance civile non-violente (42%).

Ce constat s’explique notamment par la méfiance des Français vis-à-vis de la politique. Plus des trois quarts des Français considèrent que « tous les hommes et femmes politiques sont déconnectés des réalités des citoyens » (76%) et seulement un peu moins de la moitié juge qu’il y a des responsables politiques qui se soucient de leurs préoccupations et méritent leur vote (48%).


Un fort attachement à la démocratie fragilisé par le sentiment de vivre dans une société inégalitaire avec des politiques sourds aux préoccupations des citoyens

Les citoyens restent majoritairement attachés à la démocratie mais ce sentiment est loin d’être unanime. Au total, 15% des Français déclarent qu’ils ne seraient pas prêts à défendre la démocratie si elle était en danger. Plus inquiétant encore, 23% ne sont pas convaincus qu’il s’agisse du meilleur système politique existant. D’ailleurs un Français sur deux juge que seul un pouvoir fort et centralisé peut garantir l’ordre et la sécurité (51%).

Parmi les 25% des Français les moins attachés à la démocratie, les jeunes et les personnes défavorisées sont largement surreprésentés. 32% d’entre eux ont moins de 35 ans, contre 25% dans la population générale. Ils sont également plus nombreux à avoir un pouvoir d'achat limité (61% contre 45%) et à considérer ce dernier comme l'une de leurs principales préoccupations (42% contre 35%). 21% d'entre eux sont optimistes quant à l'avenir de la France, contre 35% dans l'ensemble de la population. De plus, ils sont moins enclins à reconnaître l'utilité de l'engagement, que ce soit dans les syndicats (35% contre 51%) ou en politique (35% contre 48%). Ils sont d'ailleurs eux-mêmes moins souvent engagés dans des associations, syndicats ou partis que la moyenne (36% contre 42%).

Focus : Quelles solutions pour améliorer le fonctionnement de la démocratie ?

Pour un meilleur fonctionnement de la démocratie, les Français plébiscitent avant tout une meilleure écoute des citoyens et de leurs préoccupations (24% citent spontanément cette idée), constat qui laisse entendre que de nombreux Français se sentent mis de côté dans le système actuel.

 

 

Rapport complet

A propos du CESE

Logo CESETroisième assemblée constitutionnelle de la République, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) est un rouage essentiel à notre démocratie. Il conseille le Gouvernement et le Parlement et participe à l’élaboration et à l’évaluation des politiques publiques dans ses champs de compétences.

Le CESE regroupe 175 membres, femmes et hommes de terrain, désignés par les corps intermédiaires : associations, syndicats de salariées et salariés, organisations patronales…

Depuis la réforme de 2021, le Conseil s’est vu confier de nouvelles missions permettant notamment à la participation citoyenne d’enrichir utilement ses travaux.

Le CESE est une expression démocratique de la société civile qui agit. Il fonde son travail sur l’écoute, le dialogue et la recherche d’un consensus exigeant pour répondre aux enjeux d’aujourd’hui et de demain et éclairer la décision publique.

En savoir plus →


A propos de ce sondage

Enquête Ipsos pour le CESE, menée par téléphone du 2 au 13 septembre 2024 auprès de 1 001 personnes constituant un échantillon national représentatif de la population française métropolitaine et ultra-marine âgée de 18 ans et plus (méthode des quotas appliquée au sexe, à l’âge, à la profession de l’interviewé, à la catégorie d’agglomération et à la région).

Notes

[1] 25% des Français déclarant que l’accès aux éléments suivants est difficile là où ils vivent (logement/soins et santé, emploi, justice, transports publics, sécurité, éducation et formation, loisirs et culture, autres services publics).

Téléchargement
Auteur(s)
  • Brice Teinturier Directeur Général Délégué France, Ipsos (@BriceTeinturier)
  • Salomé Quétier-Parent Cheffe de groupe, Public Affairs
  • Jean-François Doridot Directeur Général Public Affairs

Société