Saga de l'Été 2025 - Épisode 4 : « Demi-teinte » : ce que révèlent les pratiques des Français cet été
« Demi-Teinte ». C’est le mot qui revient le plus pour rendre compte du mois de juillet 2025 vu, à peu près partout en France, par les professionnels de la restauration et de l’hôtellerie. Cet art de la nuance ne rend pas exactement compte de différences marquées : « un mois exceptionnel pour les Hauts-de-France, une tendance moyenne en Normandie (sauf pour les stations balnéaires et le Mont-Saint-Michel), des chiffres en berne pour les littoraux de l'Atlantique nord et sud, la Corse, la Lozère, le Var, les Hautes-Pyrénées ou la Nouvelle-Aquitaine. [En revanche], le tourisme haut-de-gamme tire une partie de la région PACA vers le haut avec Cannes et Nice[1] ». Dans le même temps, l’Espagne a vu son taux de fréquentation augmenter nettement, avec par exemple une hausse des réservations de 24,5% pour la Costa Brava et de plus de 14% pour le pays en général (par comparaison à 2024[2]).

Arbitrages parce qu’il faut d’abord se loger, ce poste représentant la plus grosse part du budget, entre 30 et 50% environ. En dépendent le confort, la qualité de l'hébergement, sa capacité à s’y reposer « après une longue journée sous le soleil de la plage ou un treck où on se donne à fond », d’où deux solutions : ou opter pour un hébergement qualitatif quitte à réduire la durée des vacances, ou au contraire choisir un logement plus simple pour pouvoir partir plus longtemps. Dans les deux cas, louer chez un particulier ou dans un camping en emplacement nu (« moins cher qu’un mobil home ») comme être hébergé dans sa famille ou chez des amis restent des alternatives aux hôtels traditionnels, souvent perçus comme « trop chers ». On notera que « les formules all including ne sont pas assez nombreuses en France, contrairement à l’Espagne, la Grèce, la Turquie, etc., et sont beaucoup plus adaptés aux familles. Le budget est connu à l’avance » : un modèle à suivre désormais ?
Le transport arrive en 2ème position, autour de 20-30% du budget avec un coût qui varie beaucoup selon la destination (France ou étranger) et le moyen de transport (voiture, train, avion). Vient ensuite l’alimentation (15-25% en moyenne), « la variable d’ajustement » avec de vraies transformations dans la manière de considérer les restaurants. Les sorties payantes (visites, excursions, activités et loisirs sur place) pèsent pour 10-20% et une petite proportion (5-10%) est enfin réservée aux extras : souvenirs, petits plaisirs, shopping, imprévus..., sur lesquels la plupart des participants affirment rogner sans complexe : « Les souvenirs made in China, c’est non ».
Les restaurants sont a priori ceux qui souffrent le plus des arbitrages et en effet selon l’Union des métiers de l’hôtellerie-restauration (UMIH), leur fréquentation est en baisse cet été de plus de 15%[1]. Les changements de comportements des Français n’y sont pas pour rien.
D’abord, sauf pour les plus locaux et les plus authentiques d’entre eux ou les plus gastronomiques – où ils sont sûrs que « tout est fait maison », les participants n’associent plus spontanément aller dans un restaurant et perspective de vrais plaisirs gustatifs. C’est avant tout à son poids dans le budget des vacances et au rapport qualité-prix qu’ils pensent : « ça a tellement augmenté qu’on n’y a va pas », « On fait moins de restos qu'avant l'inflation », « Les restaurants nous assomment avec des prix excessifs et s’étonnent qu’on ne suive pas, c’est le comble ! ». « Des prix délirants quand on voit la taille des assiettes ou les produits (pâtes, légumes, rien qui demande une préparation compliquée… », « Il n y'a qu'à voir pendant les Jeux olympiques, alors cet été ne va pas arranger les choses ».
Les programmes TV ou les commentaires dans les réseaux sociaux sur « les réchauffeurs » – « J’ai vu qu’il y avait 80% de faux restaurants qui passent des plats de Métro ou autres au micro-onde et ne cuisinent pas » – n’aident pas non plus à aborder avec confiance le monde de la restauration, surtout dans les lieux que l’on découvre à l’occasion des vacances, soupçonnés de « vouloir se faire de l'argent sur le dos des touristes ».
Ces augmentations continues ont leurs raisons que certains participants comprennent – hausse du coût de l’énergie et des matières premières, charges sociales, emprunts à rembourser, etc. – mais ils estiment que les restaurateurs les répercutent sans tenir compte de la réalité financière de leurs propres clients, eux-mêmes frappés par l’inflation, avec des salaires qui n’augmentent pas dans les mêmes proportions, des crédits, un pouvoir d’achat en baisse. Pour certains participants, il n’y a donc plus de petites économies : « Je ne donne jamais de pourboire en France ! On paye 15% pour le service au restaurant, c'est déjà suffisant », « Les nouvelles machines avec un pourboire à ajouter à la note sont insupportables, on se croirait obligé ».
Ensuite, ils considèrent aussi que ces augmentations se produisent comme si le paysage concurrentiel était resté le même (les seuls restaurants voisins) alors qu’il s’est transformé avec des points-restauration dans les enseignes de la grande distribution, les boulangeries ou les stations-services, la montée en gamme et la diversification des sandwiches, des pizzas et du snacking, etc. Ils préfèrent donc « les buffets à volonté où l’on paye pour deux et mange pour quatre », « les locations chez l’habitant où on fait la cuisine avec ce qu’on a acheté chez Leclerc ou Carrefour ou au marché local ». Enfin, notamment avec les nouvelles générations, les habitudes changent : « On ne passe plus des heures à table, surtout à midi », « On ne va pas quitter la plage pour revenir manger en ville », « On saute des repas », « On a les pique-niques avec ce qu’on a préparé nous-même, c’est plus sain », « C’est plus sympa de se retrouver le soir à la maison ».
Résultat, aller au restaurant relève d’un choix conditionné par sa capacité à satisfaire a priori l’exigence de prix perçus comme justifiés par la certitude d’expériences sensorielles : « Avec mon mari, nous aimons les découvertes culinaires, donc nous essayons de nous accorder quelques restaurants typiques de la destination de vacances ».
ExaspÉrations : Au-delà de cette critique des restaurants, c’est un sentiment de ras-le-bol face aux hausses de prix qui s’exprime alors qu’elles s’exacerbent pendant la période estivale. Si quelques participants y voient un équilibrage économique : « Il y toujours une hausse des prix sur les lieux touristiques ; c'est le jeu de l'offre et la demande, ça fait vivre les locaux qui travaillent beaucoup moins hors saison. Et si c'est trop cher, il ne faut pas acheter et rester raisonnable dans ses choix », beaucoup s'insurgent contre ces augmentations jugées abusives et opportunistes, violemment jugées comme « dégueulasses » et « aberrantes », relevant du « vol » et du « racket » : « J'habite dans une ville en bord de mer très touristique et je vois les prix flamber l'été. Je trouve que c'est une honte », « Comme par hasard en été, les promotions disparaissent de mon hyper ».
En réaction, les participants n’ont aucun scrupule à dire rechercher toutes les activités gratuites possibles et imaginables (« randonnées, balades, plages, VTT, piscine chez des amis : rien à payer »), à faire plus attention aux prix, à comparer pour sélectionner (« Je mange moins de viande ; les tomates côtelées sont à 5,99 euros le kilo, je prends alors des tomates en grappe trois fois moins chères ») avec un constat partagé : « La vie devient un luxe en France pour le Français moyen ».
Développer une stratégie mi-fourmi mi-cigale permet toutefois de continuer à se faire plaisir : « Nous parvenons à mettre suffisamment d'argent de côté durant l'année pour ne pas avoir à nous serrer la ceinture durant les vacances. Nous essayons de faire plaisir à nos ados. Nous pensons également à nous avec diverses sorties type visites et restaurants ».
Folies ? Pour celles et ceux qui peuvent se le permettre, restent des dépenses exceptionnelles qui vont permettre de vivre une expérience exclusive et constituer un souvenir impérissable :
- Restaurants étoilés ou gastronomiques.
- Croisière en voilier privé avec skipper et repas : « C'était magique, trois jours à naviguer avec skipper, repas, pêche, seuls au monde ».
- Vols en hélicoptère (survol de Manhattan, des Alpes ou de la Réunion), en avion historique (« Survoler en DC3 les plages du Débarquement »), en montgolfière ou en parachute.
- Sport (bateau, karting, jet ski, parapente – « une dépense de 300 euros + 100 euros de photos vidéo », canyoning, wakeboard, windfoil ...).
- Achats coups de cœur (parfum de luxe, blouson en cuir sur-mesure, tapis berbère, sac artisanal, bijoux en or).
- Alcools et vins fins (ex : whisky d'Écosse, Grand Cru, journée découverte des vins des Côtes de Provence).
- Nuit dans un château, hôtel de luxe (chambre avec vue sur le parc de Versailles au Trianon Palace), cabane dans les arbres.
- Photo avec le Père Noël en Laponie, baignade au lagon bleu en Islande…
LES NOUVELLES couleurS DES VACANCES Finalement, par comparaison aux années précédentes, le statut de ces vacances d’été 2025 est assez nouveau, entre pragmatisme subi (jongler entre dépenses incompressibles et incontournables – logement et transport – et toutes les autres), arbitrages choisis pour s’épargner ce qui semble devenu « déraisonnable avec des tarifs déconnectés » sur les lieux de vacances, et authentiques dépenses-plaisir. Dans tous les cas, l’écran du prix s’est imposé à la plupart des Français et filtre leur rapport aux offres, aux services et aux produits dans la plupart des domaines.
Un dernier point doit alerter les professionnels : les Juilletistes et sans doute les Aoûtiens ont vraiment changé.
Sur le plan économique, avec une panoplie idéale de l’été (« hôtel, restos, visites », « plage paradisiaque[4] ») qui s’est transformée en quelques années sous la pression de la réalité, avec deux ans de covid, trois ans d’inflation, un pouvoir d’achat fragilisé, et surtout un regard beaucoup plus exigeant sur le rapport qualité-prix. Internet avait fait des Français des machines à comparer ; les crises successives et les hausses continues en font des clients méfiants et sur leur garde avec deux conséquences : ou renoncer à une dépense mais en être frustré, ou céder à la tentation mais culpabiliser. Comment s’en étonner quand on sait que 14% des Français font leurs courses du quotidien à l'euro près, 20% à 5 euros et 31% à 10 euros près[2] ? En 2024, dans un sondage réalisé par Ipsos pour le Conseil Economique Social et Environnemental, 32% des Français déclaraient que « leur pouvoir d’achat leur permet tout juste de répondre à leurs besoins essentiels » et 13% qu’il « n’y suffit pas »[3].
Sur le plan psychologique et sociologique, les CSP plus aisés comme les jeunes générations se posent des questions sur le prix, la valeur réelle de l’expérience, leurs ressources n’étant pas illimitées, les classes moyennes supérieures aussi exprimant un certain sentiment de déclassement.
Et sur le plan culturel, voire philosophique, peu de participants se plaisent à affirmer « En vacances, je ne me refuse rien ». Au contraire, une interrogation de fond fait entendre sa petite musique : l’été est-il nécessairement le moment de l’explosion des dépenses ? Dans un contexte de critique du surtourisme comme traduction et limite d’une société de la surconsommation, c’est du sens du bonheur et de la vie dont nous aurons parlé, loin des demi-teintes.
[1] https://www.francebleu.fr/infos/societe/tourisme-un-mois-de-juillet-tres-contraste-selon-les-regions-avec-des-vacanciers-prudents-sur-les-depenses-2473720
Retrouvez tous les épisodes de
notre saga de l'été
Épisode 1 - Un irrésistible désir de vacances
Épisode 2 - « J’y fus » : le top de l'expérience
Épisode 3 - Partir, sans retour ?
Épisode 4 - Un été en demi-teinte
Pour en savoir plus sur les communautés Ipsos, contactez Charbel Farhat via le formulaire en bas de page
A propos de cette étude
Communauté engagée de 1 500 membres, disponible 24h/24 et représentative de la population française.