Saga de l'été - Episode 4 : Quelle place pour le rêve ?
Cinq attitudes aux divergences majeures
Les Responsables se sentaient souvent déjà concernés par les sujets écologiques et sociaux (« Il y a longtemps que j'ai abandonné ce monde consumériste pour un style de vie autonome et résilient, cette crise me conforte dans ce choix de vie »). Depuis la crise, ils veulent s’engager plus concrètement, renoncer à des envies dont ils jugent négative l’empreinte environnementale, agir dans leur univers immédiat : « Il est essentiel de redonner du sens à nos achats du quotidien et de tirer les leçons de cette pandémie ! L'homme peut se montrer dangereux pour lui-même dans ses interactions avec la nature ! Consommer local, sain, bio si possible, me semble essentiel pour la planète mais aussi pour la survie de l'espèce humaine !!! », « J'ai arrêté d'acheter des choses provenant de l'étranger », « Pour mes déplacements, je préfère les moyens de transport écologiques, à savoir le vélo et le train, tout en diminuant mes voyages en avion afin de préserver l’environnement contre les gaz à émission de serre. De même pour l’alimentation, je préfère plus qu’avant la crise les aliments durables avec des labels certifiés et j’ai appris à mieux recycler ».
Les Satisfaits ont tiré un certain profit de ce que la crise a transformé, en créant par exemple des conditions pour travailler autrement, déroutiniser leur vie, voire abandonner des comportements contraints : « Je n'ai pas changé mes habitudes, ni mon comportement, je vis à peu près la même vie. Avec le télétravail, je passe un peu moins de temps à travailler, ce qui était mon objectif à moyen terme avant le Covid », « Étant confinée, j'ai cuisiné et je me suis même surpassée. J'avais le temps de toute façon. Et puis à quarante ans, j'ai découvert le vin rouge ; maintenant, je sais reconnaitre un Côtes-du-Rhône, un Malbec, un Bordeaux. J'ai découvert des producteurs locaux que je ne connaissais pas alors que ça fait douze ans que j'habite dans mon village. Je déguste, je découvre et je prends du temps », « Je n'étais pas fan de faire des bisous à tout le monde, les mesures sanitaires me permettent de l'éviter ».
Les Entreprenants étaient dans l’attente ou l’indécision. La crise a créé un choc en mettant sur la table des sujets que notre univers moderne avait pris soin d’éviter et de masquer depuis des années, comme la mort, le passage du temps, la vulnérabilité et la fragilité humaines ; ce choc a agi comme un catalyseur qui a résolu attentistes et indécis à se lancer dans un projet qu’ils repoussaient jusque-là, qu’il soit professionnel, personnel ou relève des loisirs : « Bizarrement, cette crise m'a donné envie de me mettre à mon propre compte et de pouvoir me lancer par mes propres moyens ; avant j'étais réticente et, à l'heure actuelle, c'est vraiment ce que je cherche à faire », « Mes principaux projets sont de déménager, d'arrêter de travailler et de faire un tour du monde. Ils sont accélérés par la pandémie. Mais ce sont des projets que je mets en attente, sauf celui d'arrêter de travailler, programmé pour la fin de l'année. Le tour du monde dépendra de la situation sanitaire et le déménagement dépendra si le tour du monde est réalisable ou pas », « Cela a été un bon prétexte pour partir en vacances en Islande ! Je voulais y aller, mais je trouvais qu'il y avait trop de touristes. Avec la crise sanitaire, il y en a eu beaucoup moins et le pays a un taux d'incidence très faible avec de strictes règles d'entrée, ce qui permet de garantir la non-circulation du virus ».
Il y a aussi dans cette catégorie ceux dont le désir de changer a été transformé, non en tant qu’intention, mais sur sa finalité-même : « Nous prévoyions de déménager dans une plus grande ville que celle où nous vivons actuellement avant la pandémie. Le confinement a profondément remis en question cette optique ; nous apprécions de plus en plus le silence, la tranquillité et la quiétude d'un lieu qui nous permet de retrouver goût à la solitude et la nature ».
Les Stoppés. Comme son nom l’indique, ce groupe se caractérise par le fait d’avoir renoncé à un projet à cause de la crise ou de son impact direct, comme les achats de résidences (principales ou secondaires) par des salariés de grands centres urbains avantagés par le télétravail : « Là où nous vivons, le prix de l'immobilier a flambé. Nous avions pour projet d’acheter, mais pour le moment, ce n’est plus dans nos moyens. Nous allons repousser ce projet le temps que les prix redescendent ». Même anecdotique à l’échelle d’une communauté qualitative on line, cette situation est un indice emblématique des enjeux économiques et sociaux pour une partie de la population française et s’inscrit dans les sujets d’une campagne électorale autant que de stratégies marketing à l’égard de personnes qui peuvent se sentir déclassées et frustrées dans leurs envies légitimes.
Les Indifférents sont ceux pour qui la crise n’a pas d’impact, ni économique, ni social, ni moral, contrairement aux Responsables ; ils le soulignent avec une authenticité inattendue : « La pandémie n’a aucune incidence sur mes habitudes. J’ai les mêmes habitudes qu'avant et j'aurai les mêmes habitudes après. Mes projets ne sont pas influencés par la situation du moment », « Je n'ai aucun projet qui soit sorti de cette crise. Pas de changement notable dans mon quotidien, juste des ajustements contraints par les confinements, mais qui ont vite été balayés dès la liberté retrouvée. Mon seul projet ? Vivre normalement » ; en quelques mots, « La crise n'a pas fait de moi une nouvelle personne avec de nouveaux projets ». Le seul dommage collatéral de la situation depuis mars 2021 en France a été de les faire renoncer à des voyages, des vacances, des déplacements pour visiter famille ou amis, ou des concerts.
Et l’avenir dans tout ça ?
Logiquement, les Responsables mettent en avant la transmission de valeurs quand il est question de se projeter dans les dix ou vingt prochaines années (« J'espère que j’aurais donné une bonne éducation et un bon métier à mes enfants, c'est la priorité ») et leur propre volonté de s’engager (« Entrer dans une association de protection aux animaux, SPA, 30 millions d’Amis ou autre association. Je compte attendre que mes enfants soient grands pour pouvoir leur consacrer mon temps », « Je lutte pour rétablir une certaine souveraineté alimentaire locale en aidant des paysans bio à s'installer dans ma région, en mettant en place des réseaux d'entraide sur notre territoire. J'espère pouvoir continuer à le faire et transmettre cela dans les décennies à venir »).
Logiquement aussi, les Entreprenants et les Stoppés espèrent avoir réalisé leur(s) projet(s) dans le futur : « Travailler à mon compte, être heureuse et en bonne santé, pas plus ! », « Devenir propriétaire. Pour l’instant ça m’est impossible, mais j’espère pouvoir le devenir dans au moins dix ans ». Un point les rapproche des Responsables, le désir de donner un sens à leur vie (« Dans cinq ou dix ans, je voudrais avoir fondé une famille, avoir fini le Chemin de Compostelle – il me reste la partie espagnole – et avoir trouvé un autre emploi qui me permette de revenir dans ma région d'origine les Hauts-de-France », « Dans dix ans, j’espère avoir rencontré mon ame sœur, être mariée, avoir eu deux enfants, avoir changé de boulot et lancé ma propre société »), y compris en se retirant du monde : « Acheter un terrain isolé dans les bois ».
Les Satisfaits, en priorité, ont tendance à se dire plus Epicuriens, parce qu’ils se définissaient comme hédonistes avant la crise, ou parce que la crise invite à un carpe diem actif : « Personnellement, cette pandémie m'a fait prendre conscience que les plaisirs les meilleurs sont les plus simples : se retrouver sur notre terrasse en famille autour d'un barbecue, rire ensemble de banalités, ou voyager, même peu loin de chez nous avec quiétude et tranquillité d'esprit, sans se soucier de la distanciation et de l'endroit où l'on a oublié notre masque. C’est un rêve que l'on a hâte de revivre... », « A l’horizon de dix ou vingt ans, je serai déjà sur le chemin de la retraite et mon garçon de quinze ans aura terminé ses études d’ingénierie ; j’aurai également achevé ma propre entreprise et je serai là à la gérer tranquillement. La pandémie aura complètement disparu et nous vivrons une autre ère où je pourrai voyager en toute sécurité avec ma femme, explorer des endroits merveilleux et de nouveaux restaurants gastronomiques », « J'aimerai acheter une Austin Mini Cooper S de 1963 (rouge bien évidemment) ».
Des rêves aux philosophies opposées
Quand on demande aux Français de parler de leurs rêves pour l’avenir, c’est d’abord à court-terme qu’ils répondent, avec l’espoir que la pandémie disparaisse, ne soit suivie d’aucune autre et que ses traces se volatilisent ; certains en profitent pour affirmer des positions politiques ou sociales difficiles (« Faire sortir la France de l'Union Européenne et de la zone Euro », « Mon vœu le plus ardemment désiré est l'abaissement de l’âge de la retraite pour en bénéficier le plus rapidement possible »).
A moyen et long terme, les Responsables rêvent, se faisant peu d’illusions, d’un monde vertueux sur le plan de la consommation, conscient de ses actes mais tiennent à manifester altruisme et désir d’utopie (« Que tous les humains soient bons et pensent au bien-être de tous, que tout le monde vive en harmonie, et qu'on répare la terre », « Juste qu'il n'y ait plus de notions d'argent et que malgré tout, tout se passe bien ! Pas de pauvres, pas de riches, juste des gens qui partagent leurs compétences, leurs savoir-faire et savoir-être : qu'on arrête de courir pour et à cause de l'argent »), en cédant parfois à des tentations radicales : « Supprimer tous ces réseaux sociaux qui nuisent à la santé mentale de nos jeunes ».
Les Epicuriens rêvent de parcourir le vaste monde, dans une aventure à la fois hédoniste et philosophique (« Si c'était possible, je partirais dans tous les pays. Je pense qu'il n'y a rien de plus enrichissant et qu’on peut en retirer plein de valeurs personnelles, l'humilité / l'ouverture d'esprit / l'adaptation… »). Cette envie les pousse à imaginer un monde libéré des pesantes contraintes spatiotemporelles d’aujourd’hui : « Pouvoir se rencontrer avec la famille et les amis dans n'importe quel endroit du monde à n'importe quel moment. On se dit : – demain, aux Caraïbes pour un barbecue sur la plage ou, la semaine prochaine, une retraite dans un temple au Tibet pour se ressourcer ensemble, ou dans trois jours pour un pique-nique sur la Lune ».
Quant aux Indifférents, on ne se sera pas étonné de les voir tentés par le Suprême Détachement, à la fois par pragmatisme, la crise actuelle interdisant de se projeter, ou par philosophie : « Je ne prévois rien au-delà du jour qui vient. Donc, je ne sais pas ce que sera demain ».
En conclusion
Comme nous l’avions déjà noté à propos de la vaccination obligatoire et comme les réactions au passe sanitaire le confirment, trois populations se distinguent de plus en plus les unes des autres en termes de valeurs, de rapport aux autres ou aux Autorités, de vision politique et sociale.
La première « joue collectif » et attend civisme, responsabilité et engagement. On y trouve souvent les personnes favorables aux mesures gouvernementales et – ce qui n’empêche pas – les plus déçues de voir que la situation créée par la Covid-19 n’a pas été l’opportunité qu’elles croyaient possible, qu’il n’y aura pas de « monde d’après » et qu’il ne restera qu’une occasion ratée : « Un moment, j'ai rêvé que tous les pollueurs de notre planète s'arrêtent et que l'on vive autrement mais, hélas, ce rêve s'est déjà envolé », « Rien de positif, un grand gâchis et un sentiment d'une humanité à la dérive et de gouvernements manipulateurs », « Aucune capacité d'adaptation, aucun sens des réalités... Darwin serait ravi de pouvoir nous étudier », « Une terre brûlée. Désolé. Les tensions intra-population ont explosé. Juste envie de m'isoler dans une grotte ».
La deuxième « joue perso », parce qu’elle suit en priorité sa propre logique, fondée sur ses aspirations individuelles (réussir, être propriétaire, fonder une famille…), parce que la crise n’a pas fonctionné comme « révélateur » pour une prise de conscience spécifique, ou – pour une minorité – parce qu’elle revendique sa « liberté » absolue, y compris à rebours du lien social.
Et la troisième « joue le jeu », sous contrainte et peut-être avec une certaine rancune. Elle se soumet aux mesures imposées par le gouvernement et ne se serait sans doute pas fait vacciner sans l’obligation du passe sanitaire. Pour autant, elle manque de perspective et ne croit plus qu’en elle-même.
On se consolera en citant le Soutra du Diamant qui rappelle que, jusqu’à la libération du Nirvâna, tout est illusion : « Comme les étoiles, les mouches ou la flamme d’une lampe, comme un tour de magie, une goutte de rosée ou une bulle, comme un rêve, un éclair ou un nuage, ainsi devrait-on considérer tous les phénomènes[1]».
Retrouvez tous les épisodes de
notre saga de l'été
Episode 1 - Oserez-vous oser ?
Episode 2 - Eté 2021 : restrictions, balades et apéros !
Episode 3 - Le tourisme spatial, ultime tentation ?
Episode 5 - "Et si..?" ou les enchantements de l’oisiveté
Episode 6 - Embarquement pour un voyage à travers le temps