Vivre avec le SIDA en France : grande enquête et grandes émotions
Interroger plus de 3 000 personnes porteuses du VIH est un vrai défi. Comment vous y êtes-vous pris pour réaliser ce terrain ?
Le terrain de l'enquête VESPA2 a été mené entre avril 2011 et janvier 2012 sur un échantillon de 3022 personnes vivant avec le virus du sida et suivies à l'hôpital. Une investigation à grande échelle, d'autant plus que le questionnaire était long : les interviews ont duré une heure en moyenne. Le protocole de mise en place de l'étude s'est aussi avéré singulier : 67 hôpitaux ont été échantillonnés en amont sur la France entière. Le médecin proposait à ses patients de participer à l'étude, dans le cadre des consultations, en préservant l’identité des répondants grâce à un numéro d'anonymat présent sur chaque questionnaire. Il s’agissait d’avoir suffisamment d'enquêteurs partout en France et des personnes suffisamment délicates et aguerries pour porter ce genre de questionnaire.
Ne vous êtes-vous pas heurté à une vague de refus, un silence gêné?
Difficile, a priori, d'évoquer sa séropositivité - c'est une maladie dont on ne parle pas : jamais avec son employeur, rarement avec sa famille proche. Car s'il y a eu dans la société française une évolution positive dans la prise en charge médicale, le Sida est une maladie toujours autant stigmatisée dans la société. Le fait de nous situer dans un environnement sanctuarisé (l'hôpital), nous a permis d'établir une relation de confiance. Dès lors que le médecin propose, le patient accepte beaucoup plus facilement, non seulement de participer à l'enquête mais aussi d'apparaître devant l'enquêteur en tant que personne séropositive. Chose qui ne lui arrive jamais, ou presque, dans sa vie courante.
Quels ont été les retours du terrain ?
Ce fut, je dois dire, une enquête intense au plan émotionnel. Nous avons effectué un debriefing avec les enquêteurs au terme du recueil de données. Beaucoup ont fait état de moments forts. « J'ai souvent senti une grande libération à parler », nous dit l'un. « J'ai été particulièrement ému de rencontrer des survivants, des personnes qui reviennent de très loin. Leurs témoignages sont inoubliables », témoigne un autre enquêteur. « Pour la plupart, écrit un autre, c'était la première fois qu'ils se confiaient à quelqu'un d'extérieur au milieu médical. » Nous étions, je le répète, sur des questionnaires fouillés qui abordent des questions très intimes voire très sensibles. L'enjeu humain est fondamental. Nous avons beaucoup réfléchi à la manière de nous adresser à ces personnes. Comment gérer l'émotion des répondants ? Nous avons beaucoup demandé – tant aux répondants qu’aux enquêteurs. J'ai accompagné plusieurs fois les enquêteurs sur le terrain. C'était à chaque fois une expérience très forte. Certains ont réalisé plus de 100 interviews. Imaginez l'ensemble des histoires de vies qu'ils ont recueillies…
* VESPA2 a été financée par l'Agence nationale de recherche sur le sida (ANRS), et dirigée par deux équipes de chercheurs de l'Inserm. L'étude a été publiée le 2 juillet dans le Bulletin épidémiologique hebdomadaire (BEH).
