Adultes-adolescents : dialogue de sourds

Les adolescents se sentent bien mais les adultes sont inquiets ; les adultes ont une bonne image des adolescents mais les adolescents croient le contraire ; les adultes pensent "qu'on ne peut rien leur dire", les adolescents regrettent un manque d'autorité... S'appuyant sur un dispositif quali inédit – 2 mois d'observation des réflexions et des échanges entre un groupe d'adolescents de 13 à 18 ans, des parents et des professionnels – complété par un sondage classique sur deux échantillons représentatifs d'adultes et d'adolescents, l'enquête réalisée par Ipsos Insight Santé, en exclusivité pour la Fondation Wyeth, propose les regards croisés entre deux mondes si proches et si éloignés. C’est à l’occasion du 3ème Forum Adolescent, en mars 2007, que les premiers résultats ont été présentés…

95% des adolescents "parlent" régulièrement ou de temps en temps avec des  membres de leur famille, 84% avec des amis de la famille ou d'autres adultes de leur entourage, 76% avec les parents d'amis, et tous s'accordent sur l'importance de maintenir le dialogue... Les deux mondes paraissent pourtant cloisonnés. L’univers des adolescents prend des allures de boîte noire pour les adultes, et inversement : « On a un peu de mal à les cerner. Pour préserver leur intimité, ils donnent peu d’informations, sur ce qu’ils font, ce qu’ils pensent, ce qu’ils projettent… » Mère- Paris / « On sait que les adultes travaillent, qu’ils ont des soucis, mais ce qu’ils font vraiment précisément, ce qu’ils pensent on n’en sait rien. Tout ce qui est sur eux vraiment, ils n’en parlent pas trop, c’est plus centré sur nous, à nous poser des questions. (…) Les adultes, je trouve qu’ils sont un peu secrets.» Adolescent-Toulouse.
De fait, les jugements qu'ont adultes et adolescents les uns sur les autres sont aussi tranchés que contradictoires. Autant les adolescents déclarent aller bien, autant les adultes sont inquiets : 72% des adultes pensent que les adolescents sont souvent "mal dans leur peau", mais seulement 19% des adolescents ; 73% des adolescents se sentent bien à l'école, la majorité des parents pensent le contraire ; les adultes pensent que les adolescents n'arrivent pas à leur parler, les adolescents trouvent que c'est facile. Le décalage est omniprésent.  Symptomatiquement, 71% des adolescents  pensent que les adultes ont une mauvaise image d'eux, alors que 86% des adultes ont une bonne image des adolescents.

Un besoin de distance et d'autorité

Cette somme de malentendus se comprend mieux si l'on admet qu'elle est quelque part entretenue par les adolescents, qui revendiquent cette "différence de longueur d'onde". La question de la distance est cruciale. Cette distance évolue à chaque instant, par une sorte d'effet yoyo : « Elle passe de la femme responsable, à la fillette insouciante en moins de temps qu’il faut pour le dire. Je ne sais jamais trop à qui je m’adresse… C’est ma principale difficulté en ce moment.» Mère- Toulouse. Les adolescents vivent mal l’intrusion dans leur espace, peuvent être déstabilisés par une trop faible distance ou une connivence exagérée, mais sont aussi blessés par un excès de distance, une absence d’empathie ou une impression d’indifférence. L’équilibre qu’ils décrivent est assez simplement formulé. Ils apprécieraient « des adultes à leur place », mêlant les cinq qualités qu’ils apprécient le plus chez eux : bienveillance, autorité, équité, confiance et optimisme.
Plus largement, cette question de distance rejoint celle de l'autorité. Les adolescents jugent normal et souhaitable que les adultes ne partagent pas leur point de vue et leur imposent des limites. Ils regrettent même que ce rôle ne soit pas pleinement rempli. Ils réclament des règles de la part de leurs parents comme des enseignants. Certains relatent dans leurs relations avec les adultes des situations d’évitement, de négociations qui remettent en cause leur crédibilité. Alors que les adultes dénoncent un certain rejet et l’irrespect de l’autorité par les adolescents de 2007 - "on ne peut rien leur dire"-, ces derniers observent et critiquent un délitement de l’autorité parentale et scolaire.

L'avenir : la question centrale

L’observation sur deux mois a aussi montré combien l’avenir était au cœur de la relation quotidienne entre les adolescents et les adultes. « Ca revient toujours sur le tapis, les gens vous demandent sans arrêt "qu’est-ce que tu veux faire plus tard?" » Adolescent- Toulouse. Les adultes, parents, professeurs, médias, développent un discours pessimiste sur l’avenir, et s’irritent de ne pas voir leur inquiétude mobiliser davantage les adolescents. Mais là encore, deux mondes s'opposent. « Est-ce normal de ne pas savoir quoi faire à 15 ans ? Moi je crois que oui, mais c’est un gros conflit familial. Ma mère crise à mort. J’ai la pression là-dessus. » Alexis- 15 ans, Paris
Dans un environnement décrit comme incertain (précarisation, difficultés quotidiennes), les adultes espèrent le meilleur pour leurs enfants. Ils interviennent alors dans la formulation du projet professionnel, le valident ou le censurent. Mais les adolescents se considèrent soumis à une trop forte pression. « Ils déversent leur stress sur nous » / « Le prof nous dit si tu continues comme ça, tu vas devenir SDF. / L’autre jour le prof de techno a dit à une élève qui bavardait « tu n’auras pas de boulot ».  Sophie- 14 ans « Mes parents me disent combien c’est dur, que certains sortent avec un bac+5 et sont au chômage, les salaires sont bas, la vie est chère. Ils m’encouragent à travailler plus pour m’en sortir bien financièrement. Mais moi je suis très découragée et je me dis que des gens comme moi, qui vont essayer, il y en a des millions et donc vu mes capacités communes, je ne vois pas comment je vais surmonter ça. » Emilie - 14 ans, Paris
En fait si les adultes s’angoissent, les adolescents, rationnels et pragmatiques, refusent de trop s’en faire. Plus embêtant, ils semblent prendre le pessimisme et les craintes de leurs parents, les conseils ou commentaires des professeurs comme un manque de confiance dans leur capacité à mener à bien leur projet. Ils se confondent parfois avec l’avenir. « Si l’avenir c’est nous, alors si les adultes doutent de l’avenir, c’est qu’ils doutent de nous. » On relève dès lors une forte demande de considération et de confiance.  Les adolescents apprécient d'évoquer l’avenir, à condition de le présenter sous un jour positif, de manière constructive : le partage d’expériences, l’observation concernant la vie professionnelle comme promesse d'un dialogue concret, positif, à même de les aider. Autant les adolescents sont sensibles aux encouragements et à la confiance exprimée par les adultes, autant ils peuvent se montrer affectés par des marques de défiance. Omniprésente et symptomatique du quiproquo, la question de l'avenir devient ici centrale, puisqu'elle permet de part et d'autre d'actionner les leviers pour que la relation s'harmonise.

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