Cantonales : les enjeux du scrutin

Les 20 et 27 mars prochains, la moitié des électeurs seront invités à voter aux dernières élections cantonales de l’histoire. Jean-François Doridot, Directeur Général d’Ipsos Public Affairs, nous délivre les clés du scrutin.

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  • Jean-François Doridot Directeur Général Public Affairs
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On entend peu parler des élections cantonales qui se tiendront les 20 et 27 mars prochains. Le désintérêt des medias signifie-t-il que l’on se dirige vers un record d’abstention ?

Jean-François Doridot : Les conditions semblent en tous cas réunies pour que l’abstention soit très forte. Un certain nombre d’éléments ont notamment empêché l’émergence d’un débat national, qui aurait pu mobiliser les électeurs. Pour la première fois depuis 1994, les Cantonales ne sont pas couplées à un autre scrutin. Ensuite, seule la moitié des cantons sont renouvelables, ces élections ne concernent donc qu’un Français sur deux. Comme en plus Paris n’est pas concerné, il n’y a pas de campagne dans la capitale, ce qui limite la résonnance de ces élections dans les médias nationaux. Enfin ce sont les dernières cantonales avant la réforme des collectivités territoriales et l’élection des conseillers territoriaux en 2014, les conseillers élus le 27 mars ne feront donc qu’un demi-mandat. Ainsi, tout indique qu’on se dirige vers une abstention importante, dans la lignée des records enregistrés depuis le début de la crise économique en 2008, aux Européennes de 2009 et aux Régionales de 2010. Si le record « Cantonales » était battu (51% d’abstention en 1988, pour une élection perçue comme secondaire, dans la foulée de la séquence présidentielle / législatives), on aurait là une preuve du désenchantement des Français vis à vis de la classe politique, de droite comme de gauche.

Une abstention autour des 50% et la moitié des cantons renouvelables : il se pourrait donc que moins d’un Français sur quatre aille voter. Ce scrutin sera-t-il néanmoins porteur d’enseignements pour 2012 ?

J-F. D. : L’interprétation des résultats du scrutin sera effectivement complexe. Les différentes configurations de candidatures et les alliances à géométrie variable selon les cantons ne permettront pas d’observer les scores force par force au niveau national. On devra se contenter d’un rapport de force global Gauche / Droite / Extrême Droite, sans pouvoir analyser séparément le poids du Front de Gauche, des Verts ou du PS. Sur l’ensemble des cantons on rencontre en effet à gauche quasiment toutes les configurations possibles : PS seul, PS allié avec les Verts, Verts soutenus par le PS, Front de Gauche avec les Verts, NPA allié au Front de Gauche, etc. Idem à droite, où les nombreuses candidatures divers droite et la quasi absence du Modem brouillent les cartes.
De toute façon, on manquera de base de comparaison. Les Régionales ne peuvent servir d’élection référence, ni même les Cantonales de 2008 puisqu’elles ne concernaient pas la même série de canton. Il faudrait donc en théorie remonter aux Cantonales de 2004, ce qui paraît un peu loin (le Modem et le Front de Gauche n’existaient pas). Ces Cantonales étaient en plus couplées aux Régionales 2004, et donc particulièrement favorables à la gauche (« vague rose »). A n’en pas douter, tout le monde sera donc gagnant au soir du 20 mars, et encore plus que d’habitude, car chacun pourra trouver une base de comparaison favorable.
Cela sera d’autant plus vrai qu’au niveau local les résultats ne seront pas clairs non plus. La gauche, qui a gagné successivement toutes les Cantonales depuis 1992, détient déjà 58 départements. On part donc d’un point très haut, et même avec un vote sanction fort, elle ne pourra pas progresser massivement. De plus, le changement de mode de scrutin complique la donne. Le nombre de suffrages nécessaires pour se maintenir au second tour a été réévalué, de 10% des inscrits à 12,5%. Vu la faible participation attendue, cela signifie qu’il n’y a aura presque aucune triangulaire (avec 50% d’abstention, il faudrait que le candidat arrivé 3ème au premier tour obtienne 25% des suffrages pour pouvoir se maintenir). En 2004, le FN avait pu se maintenir en triangulaire dans un grand nombre de cantons, favorisant l’élection du candidat de gauche. Là ce sera rarement le cas. On pourrait donc avoir une progression de la gauche en voix au premier tour, sans que cela ne se traduise par un gain de sièges au second tour. Si la gauche progresse, la modification du mode de scrutin limitera mécaniquement la concordance des évolutions en voix et en sièges.

Au delà de la complexité du scrutin et de l’absence de référence absolue, y a-t-il quand même des niveaux qui permettraient de déterminer un vainqueur ?

J-F. D. : En terme de seuil, on pourra effectivement parler de succès pour la gauche parlementaire si elle confirme le 20 mars au soir le résultat des Régionales de 2010, où elle avait dépassé pour la première fois les 50% des voix au premier tour. Entre 45% et 50%, on serait dans la tendance des dernières Cantonales et des scrutins intermédiaires, traditionnellement favorables à l’opposition. Sous les 45%, ce serait plutôt un échec compte tenu du climat actuel.
De son côté, le Front National pourrait se féliciter de dépasser le score obtenu aux Régionales (11,4%), alors qu’il ne sera présent que dans trois cantons sur quatre. Au dessus de 10%, cela confirmerait le renouveau de l’année dernière, après les faibles scores de 2007-2008. Quant à la droite, un total supérieur à 40% marquerait le retour d’une dynamique favorable, après les basses eaux des Régionales. Sous les 35% en revanche, le score serait historiquement bas pour des Cantonales, et confirmerait les difficultés actuelles de la majorité.

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  • Jean-François Doridot Directeur Général Public Affairs

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