Certains arguments déresponsabilisant le recours à la prostitution enfantine trouvent un écho auprès d’une partie des Français

A l’occasion de la journée internationale des droits de l’enfant, le 20 novembre, Ipsos a réalisé pour l’association Ecpat France une enquête sur l’exploitation sexuelle des enfants. Les résultats montrent notamment que derrière une condamnation massive de la prostitution enfantine, certains arguments économiques ou culturels déresponsabilisant le recours à un(e) prostitué(e) mineur(e) rencontrent un écho auprès d’une partie des Français.

Auteur(s)
  • Stéphane Zumsteeg Directeur du Département Opinion et Recherche Sociale, Public Affairs
  • Amandine Lama Directrice de Clientèle, Département Politique et Opinion, Public Affairs
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Si les Français jugent majoritairement acceptable la prostitution des majeurs, ils réprouvent massivement celle des mineurs.

Près de deux Français sur trois (61%) jugent acceptable qu’une personne majeure ait des relations sexuelles avec une personne prostituée de 18 ans ou plus. Les hommes sont sensiblement plus nombreux (66%) que les femmes (56%) à considérer qu’avoir recours aux services d’une personne prostituée majeure est acceptable. L’acceptabilité de cette pratique reste tout de même modérée : près d’un Français sur deux juge que de telles relations sexuelles sont « plutôt acceptables » (46%), contre seuls 15% qui les jugent « tout à fait acceptables ». Toujours est-il que la majorité des Français ne condamne pas le fait d’avoir des relations sexuelles tarifées avec un(e) majeur(e).

En revanche, les Français rejettent massivement le recours par un majeur aux services d’une personne prostituée mineure, qu’elle soit âgée de moins de 15 ans ou de 15 ans et plus : 99% des Français jugent le recours aux services d’une personne prostituée de moins de 15 ans inacceptable. Ils sont presque aussi nombreux à penser de même des relations avec une personne prostituée âgée de 15 à 17 ans (96%). Toutefois, une proportion non négligeable la condamne en termes mesurés : 14% estiment qu’avoir des relations sexuelles tarifées avec une mineure de moins de 15 ans est « plutôt » inacceptable, cette proportion s’élevant à 21% lorsqu’il s’agit de se prononcer sur les prostitués de 15 à 17 ans.

Pour une très petite minorité, les relations avec des prostitué(e)s mineures restent néanmoins acceptables. On note en effet que pour 3% des Français, avoir des relations sexuelles avec une personne prostituée âgée de 15 à 17 ans est quelque chose de « plutôt acceptable » (8% chez les 18-24 ans, plus proches de cette tranche d’âge).
Pour 1% des Français, ce sont même les relations avec des prostitué(e)s de moins de 15 ans qui sont acceptables. Les plus jeunes, cette fois-ci, ne font pas preuve d’une plus grande bienveillance que leurs aînés.

Près d’un Français sur deux considère la prostitution de mineurs courante en France. Elle serait majoritairement subie.

Près de la moitié des personnes interrogées (45%) estime que la prostitution de mineurs en France est une pratique courante (dont 8% « très courante »). Les femmes sont particulièrement nombreuses à juger ce phénomène courant (54% contre 35% des hommes). Seuls 5% des Français ont le sentiment que la prostitution des mineurs n’existe pas en France, ce qui implique que cette prostitution est visible (dans la rue par exemple) ou rendue visible par les médias.

Pour la majorité des Français, cette prostitution est subie : Si un tiers des Français pense que les personnes de 15-17 ans qui se prostituent en France le font souvent ou parfois par choix personnel, toutefois, pour une majorité de Français (61%), cette pratique est avant tout subie.

Derrière la condamnation massive, les arguments déresponsabilisant le recours à des prostitué(e)s mineures rencontrent un certain écho auprès d’une partie des Français…

Pour 14% des Français, les relations sexuelles avec des mineurs prostitués sont plus acceptables lorsque le mineur trompe son client en affirmant être majeur.  Les plus jeunes sont les plus nombreux à juger que cette tromperie sur l’âge constitue une circonstance atténuante (21% des 18-24 ans).

Pour près d’un Français sur 10 (9%), le fait que la personne mineure affirme se prostituer par choix personnel rend également les relations sexuelles avec elle plus acceptables. Encore une fois, ce sont les 18-24 ans qui se montrent les plus enclins à juger cet argument recevable (19%).

Enfin, l’attitude racoleuse du mineur est une circonstance atténuante aux yeux de 5% des Français (11% des 18-24 ans).

Si ces arguments ne rencontrent qu’un écho limité auprès des Français, une frange non négligeable les rejette assez mollement au regard de la gravité de la situation évoquée : entre 16% et 18% (en fonction de l’item testé) considèrent que ces circonstances ne rendent « plutôt pas » les relations sexuelles avec des mineurs prostitués plus acceptables.

… en particulier quand on évoque la prostitution des mineurs à l’étranger, dans les pays pauvres.

Les arguments qui peuvent parfois être entendus pour justifier la prostitution des mineurs, ou tout au moins pour déresponsabiliser ceux qui y ont recours, font davantage mouche lorsqu’on parle plus précisément de la prostitution de mineurs à l’étranger, dans les pays pauvres.

Tout d’abord, si seulement 10% des Français considèrent que les mineurs de plus de 15 ans qui se prostituent en France le font « souvent » par choix, ils sont beaucoup plus nombreux à juger la prostitution des mineurs « choisie » dans les pays pauvres (ce qui, rappelons-le, rend les relations sexuelles tarifées avec des mineurs plus acceptables pour près d’un Français sur 10). Pour plus d’un Français sur quatre, les mineurs de plus de 15 ans qui se prostituent dans ces pays le feraient « souvent » par choix personnel (27%). Pour 16%, ce serait « parfois » le cas. Au total, ce sont donc 43% des Français qui estiment que la prostitution des mineurs est une activité choisie dans les pays pauvres (au moins parfois).

De plus, près d’un Français sur cinq (18%) souscrivent à l’argument selon lequel le tourisme sexuel impliquant des mineurs ne pourrait être considéré partout de la même manière, le contexte culturel du pays devant être pris en compte.

Mais surtout, près d’un Français sur deux (44%) considère que sans le tourisme sexuel, de nombreux enfants d’Afrique ou d’Asie n’auraient pas les moyens de subvenir à leurs besoins ou à ceux de leur famille. Cet argument économique trouve particulièrement écho chez les femmes (49%) et les moins de 35 ans (52%).

Plus prompts à excuser le recours à des prostitués mineurs à l’étranger, les Français seraient une minorité à le signaler.

Si une de leurs connaissances s’était rendue coupable de relations sexuelles tarifées avec un mineur à l’étranger (tourisme sexuel), moins d’un Français sur trois choisirait de la signaler, que ce soit à la police (18%), ou à une association (14%). Les femmes seraient légèrement plus nombreuses à le faire : 21% dénonceraient ce proche à la police, et 16% à une association.

La très grande majorité des Français choisiraient donc de ne pas dénoncer cet acte et se contenteraient de discuter avec la personne responsable (53%) ou même ne feraient rien, estimant que cela ne les regarde pas (13%).

Cette attitude peut s’expliquer en partie par le fait que 29% des Français ignorent ou ne se prononcent pas sur le fait que les relations sexuelles contre rémunération avec une personne de moins de 18 ans à l’étranger conduisent à des peines de prison en France.

Les sanctions encourues par les touristes sexuels à l’étranger restent ainsi moins connues que lorsque les faits se déroulent en France (87% des Français savent qu’ils risquent la prison s’ils s’aventuraient à avoir des relations sexuelles contre rémunération avec des mineurs en France, y compris s’ils sont âgés de plus de 15 ans, contre seulement 71% qui savent que les relations sexuelles contre rémunération avec un mineur à l’étranger sont passibles de sanctions pénales).

Plus d’un Français sur deux juge la consultation d’images pédopornographiques  facile et courante, malgré les sanctions encourues.

Pour 53% des Français, la consultation sur internet d’images pornographiques mettant en scène des enfants ou des adolescents est une pratique courante, voire même « très courante » pour 18% d’entre eux. Les femmes (64%) sont particulièrement nombreuses à juger cette pratique fréquente.

Si la consultation de telles images est aussi courante selon eux, c’est vraisemblablement parce qu’ils jugent l’accès à ce type de contenu « facile » : 62% le pensent (et même 66% des femmes).

Même s’ils jugent l’accès facile et courant à ce type d’images, les Français ne banalisent pas leur consultation : 97% d’entre eux jugent qu’il s’agit d’un acte « grave ». Parmi eux, 81% estiment qu’il s’agit d’un acte « très grave » (86% des femmes)

D’ailleurs, plus de neuf Français sur dix (94%) savent que le téléchargement et la possession d’images pornographiques mettant en scène des mineurs est passible de peines de prison. Les mieux avertis sont les 18-24 ans (100%), vraisemblablement en raison de leur plus grande sensibilisation aux nouvelles technologies d’information et de communication. Légèrement moins sûrs d’eux, les Français sont toutefois une majorité (86%) à affirmer que la seule consultation d’images pornographiques mettant en scène des mineurs est également passible de prison (lorsqu’elle est habituelle).

Un Français sur trois juge les pouvoirs publics inactifs en matière de lutte contre l’exploitation sexuelle des enfants et certaines décisions restent controversées.

Bien qu’ayant le sentiment que la prostitution des mineurs comme la consultation d’images pédopornographiques sont courantes en France, les Français estiment très majoritairement (63%) que les pouvoirs publics sont actifs dans la lutte contre l’exploitation sexuelle des enfants. Les femmes se montrent un peu moins nombreuses à le penser (53% contre 73% des hommes).

Toutefois, une proportion non négligeable d’entre eux (32%) déplore l’insuffisance de l’investissement des pouvoirs publics, jugés « plutôt pas actifs » en la matière (22%), voire « pas du tout actifs » (10%).

Les pouvoirs publics ne sont pas exempts de critiques aux yeux des Français. Ainsi, plus d’un Français sur deux (55%) considère que l’accord franco-roumain ratifié le 7 octobre dernier par les députés Français (et rejeté depuis par le Conseil Constitutionnel), qui autorise le renvoi des mineurs roumains isolés (sans passer par un juge pour enfants et sans rendre obligatoire une enquête sociale sur leur situation) sera synonyme d’une moins bonne protection de ces mineurs, car il sera moins facile de détecter s’ils sont victimes d’exploitation sexuelle. Seuls 34% considèrent au contraire que cet accord permettra d’assurer une meilleure protection aux mineurs, en les éloignant des réseaux susceptibles de les exploiter en France.

Auteur(s)
  • Stéphane Zumsteeg Directeur du Département Opinion et Recherche Sociale, Public Affairs
  • Amandine Lama Directrice de Clientèle, Département Politique et Opinion, Public Affairs

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